Histoire de l’artillerie antique

Par • Publié dans : Armée romaine

Les origines

De tout temps, les hommes ont cherché à acquérir la suprématie guerrière sur leurs semblables, seule capable de garantir soit l’expansion territoriale soit, plus rarement, leur propre sécurité. La réussite de leur entreprise belliqueuse repose sur un axiome sempiternel : atteindre et neutraliser l’adversaire en étant soi même le moins touché possible.

Mais comment détruire les protections ennemies ? Pendant des centaines d’années la seule réponse valable portait le nom de catapulte. Katapeltès en grec signifie « qui transperce les boucliers ».

Même si nous n’avons aucune certitude absolue en ce qui concerne l’époque exacte de l’apparition des premières catapultes, nous disposons cependant d’un témoignage précis quant aux circonstances et à la date où elles apparurent en Occident.

L’historien grec Diodore de Sicile écrivit ceci en 399 aC.((Olympiade 95 an II))

« Il ( le tyran Denys de Syracuse) fit donc assembler d’abord par une ordonnance publique tous les ouvriers répandus dans les villes de sa domination […] car il voulait se munir d’armes et de traits de toute espèce et de toute forme… Après avoir distribué à ce grand nombre d’ouvriers les ouvrages qui leur étaient propres, il leur donna pour inspecteurs les premiers d’entre les citoyens et il proposa des prix considérables à ceux qui réussiraient le mieux, surtout dans la fabrique des armes… Ce fut en ce temps-là que les catapultes furent inventées à Syracuse par le concours de tant d’excellents ingénieurs assemblés en un même lieu, éclairés les uns par les autres et animés chacun en particulier par les prix proposés à ceux qui se distingueraient par quelque invention praticable et utile […] Il eut aussi des catapultes et des arbalètes de toute espèce et une quantité innombrable de traits. » (Diodore de Sicile, Histoire Universelle, Livre XIV, 13)

D’autres sources, historiquement plus discutables existent. Elles attribueraient des origines plus anciennes et plus exotiques à l’invention des catapultes. Ainsi, nous retrouvons dans un passage de la Bible (second livre des Chroniques) :

«  Il (le roi Ozias ) fit faire à Jérusalem des machines inventées par un ingénieur, et destinées à être placées sur les tours et sur les angles, pour lancer des flèches et de grosses pierres. Sa renommée s’étendit au loin, car il fut merveilleusement soutenu jusqu’à ce qu’il devînt puissant. »

Difficile de ne pas voir dans ce passage qu’il s’agit bien de catapultes même si le mot n’est pas écrit. Or, le roi Ozias de Jérusalem régna de 810 à 758 aC. Soit plus de quatre siècles avant la création des catapultes citée par Diodore de Sicile. Son règne particulièrement long et glorieux fut jalonné de brillantes conquêtes militaires sur ses proches voisins. De plus, nous savons que les Assyriens possédaient déjà des armes de sièges sophistiquées telles que des tours d’assaut ou des béliers. Rien n’interdit donc de penser que le roi Ozias, lui aussi, ait pu disposer de machines de siège.

Il existe cependant une différence de taille entre une tour d’assaut et une catapulte et aucune preuve archéologique, aucun bas-relief, aucun autre texte ne vient confirmer ce passage de la Bible dont on sait qu’il fut rédigé en Hébreu vers le début du VIème siècle a.C. Ce texte ne fut traduit en Grec que bien longtemps après l’époque citée probablement vers le milieu du IIIème siècle aC. C’est-à-dire bien après l’invention des catapultes selon Diodore de Sicile.

Et que penser de l’énumération invérifiable et non datée de Pline l’Ancien qui, dans son histoire naturelle, au chapitre des inventeurs soutient :

«  Les javelots (furent inventés) par les Étoliens… les épieux et le scorpion, machine de guerre, par les Crétois; la catapulte par les Syriens, la baliste et la fronde par les Phéniciens… » (Pline l’Ancien, histoire naturelle, livre VII, LVII, 10)

Enfin, Plutarque raconte qu’Archidamos roi de Sparte, ayant entendu parlé de cette nouvelle invention se serait écrié :

« que désormais le courage de l’homme lui devenait inutile ». (Plutarque, apophtegmes des lacédémoniens, Archidamos, 219)

Selon toute probabilité, il s’agit du roi eurypontide Archidamos III ayant régné de 360 à 338 a.C. époque qui correspond assez bien avec la généralisation de l’utilisation des catapultes dans les conflits. La phrase que Plutarque met dans la bouche de ce roi spartiate montre de façon évidente la révolution qu’engendra l’apparition de premières catapultes : une révolution que l’on peut comparer à celle produite par les premières mitrailleuses apparues dans la seconde moitié du 19ème siècle à une époque ou les fusils de guerre tiraient péniblement 3 coups à la minute.

Les premières catapultes

On attribue habituellement à Zopyrus de Tarente l’invention de la gastraphètes, c’est-à-dire une petite catapulte à flèche très proche de l’arbalète au niveau du design et qui s’armait en exerçant une pression ventrale sur la crosse. Héron d’Alexandrie dans son traité sur les machines, s’il ne nous renseigne pas sur l’époque ou sur le lieu de leur invention est plus explicite sur la démarche qui conduisit à leur création.

A partir d’un arc à main, quand on tenta de lancer avec cet instrument un trait plus conséquent à une distance plus considérable tout en gardant une vitesse suffisante, on fit l’arc plus grand et on renforça l’extrémité flexible des branches pour donner plus de rigidité. Comme ce nouvel arc devenait plus difficile à bander pour les muscles humains, on fixa l’arc sur une crosse munie d’une rainure à queue d’aronde en son milieu et d’une crémaillère sur le côté. Pour parvenir à projeter un trait encore plus imposant ou un boulet, la seule solution consistait donc à augmenter les dimensions du propulseur ce qui implique de nouvelles contraintes dues à la traction de la corde archère et, pour les modèles les plus puissants à l’obligation, à cause du poids, de poser le propulseur sur un socle.

Désormais, la seule force humaine devenait insuffisante pour armer l’engin. L’arc de la catapulte devenant très puissant, il fallait pour ramener vers l’arrière la corde archère, un treuil et un système à crémaillère pour bloquer le dispositif à la tension voulue. L’objectif était atteint : les traits éjectés par la catapulte pouvaient causer des dégâts importants et l’engin remplissait sa fonction, transpercer les boucliers.

L’invention du ressort de torsion

La solution qui semblait être trouvée s’avéra cependant assez vite restreinte. Plus la catapulte devenait imposante et puissante, plus les bras composites finissaient par avouer leur faiblesse. Leur structure faite de bois au centre, de corne, et de tendons à l’extrémité permettait certes d’allier flexibilité et puissance mais la résistance de ces matériaux avouait sa limite face aux dimensions sans cesse croissante des catapultes.
De plus, outre leur relative fragilité, ses bras composites étaient complexes et longs à fabriquer comme le souligne Héron d’Alexandrie dans son Belopoiika((81))

« …Cherchant à fabriquer des bras d’arc plus puissants, mais n’étant pas capable d’atteindre leur objectif avec des bras composites, ils fabriquèrent des bras avec du bois très résistant et de plus grandes dimensions. Ils assemblèrent un cadre avec de fortes sections et utilisèrent un cordage à base de tendons d’animaux comme ressort de torsion à l’intérieur du cadre et fixèrent un bras au milieu de chacun de ces cordages. »

Les ingénieurs de Philippe II de Macédoine et plus particulièrement son architecte Polyeidos inventèrent aux environs de 340 a.C. le principe du ressort à torsion qui allait rapidement s’imposer car il permettait d’obtenir une puissance appréciable sans dommage pour les machines. Ils se sont en effet rendu compte que les propriétés de puissance de solidité et d’élasticité des tendons d’animaux utilisés pour les arcs composites pouvaient être exploitées différemment pour une meilleure efficience.

Les tendons utilisés étaient dûment sélectionnés sur des critères stricts combinant solidité, flexibilité et longueur suffisante. On choisissait ainsi prioritairement les tendons des cous des taureaux ou des jambes des cerfs et des chevaux que l’on faisait tremper dans l’eau puis on les battait pour les séparer dans leur longueur ; on les réduisait en filasse, puis on les peignait et on les filait pour finalement les transformer en écheveau. D’autres matériaux pouvaient cependant être utilisés comme le souligne l’historien romain Végèce : des crins de chevaux voire, plus discutable, des cheveux de femmes.

Au lieu de travailler en flexion combinés à d’autres matériaux potentiellement plus fragiles (bois et corne), les tendons tressés sous forme de cordes constituent un ressort qui agit par tension puis par torsion et procurent un maximum de puissance aux bras qui sont fichés à l’exact milieu de chaque ressort. Chaque catapulte dispose de deux ressorts de torsion insérés dans un solide cadre en bois renforcé de métal et réglés grâce à des barillets (deux par ressort) situés aux extrémités hautes et basses du cadre. Cette tension est essentielle au bon fonctionnement de la machine car, comme le précise l’ingénieur grec Philon de Byzance, on risque d’amoindrir la portée et l’intensité du jet en affaiblissant la machine par la torsion oblique du faisceau ce qui enlève au cordage leur force et leur élasticité naturelles. Dans la détente, au contraire, il se montre affaibli, relâché, comme si la torsion qu’il a reçue en excès se traduisait par une perte de force équivalente.

Si les résultats obtenus par ce nouveau principe permettaient d’obtenir des performances bien meilleures, ces nouvelles machines que les Romains appelèrent rapidement « tormenta » souffraient cependant d’un défaut majeur : leur extrême sensibilité aux variations météorologiques. Les différences rapides de température et surtout des conditions particulières de degré d’humidité tel un brouillard froid et humide dérangeaient les réglages et diminuaient fortement les performances. Les catapultes restaient opérationnelles mais leur puissance en pâtissait surtout dans les limites septentrionales de l’empire romain.

ressort de torsion2

Cette vue en coupe montre comment les faisceaux en tendons d’animaux sont reliés à chaque extrémité à deux barillets en bronze. La vue de dessus d’une catapulte montre que c’est la rotation de chaque barillet dans un sens précis qui une fois les écheveaux correctement tendus assure la torsion voulue permettant d’obtenir la puissance nécessaire à la projection du trait.

 

Engins euthytones et palintones

euthytones et palintones
euthytones et palintones
vue arrière d'un tablier de scorpion - Marle (02) 2010
vue arrière d’un tablier de scorpion – Marle (02) 2010

 

baliste - rassemblement Marle (02) en 2010
baliste – rassemblement Marle (02) en 2010

Ainsi, dès le milieu du 4ème siècle a.C., Grecs et Macédoniens disposent d’une véritable artillerie névrobalistique composée de machines dites euthytones dont les ressorts de torsion sont insérés dans un cadre en bois monobloc renforcé de métal (voir dessin de gauche) et d’engins palintones (voir photo de droite), plus imposants, dont chaque ressort de torsion est inséré dans un bloc qui lui est propre, les deux blocs étant ensuite reliés entre eux par des traverses en bois. Ce système présente plus d’avantages pour les gros projectiles : à la fois parce que, la course des bras étant plus longue, l’effort développé pouvait être plus grand, et parce que la forme en V, que prenait la corde au moment du bandé, était commode pour retenir et guider le boulet.

D’après Héron d’Alexandrie, les engins euthytones propulsent exclusivement des traits tandis que les palintones jettent à volonté des pierres ou des traits et même simultanément les deux sortes de projectiles.

Etymologiquement, les catapultes (katapeltes) étant destinées à lancer des traits capables de transpercer des boucliers sont donc euthytones, les Grecs les nomment doryboles ou oxybèles tandis que les balistes, plus imposantes et nécessitant davantage de puissance sont de type palintone, elles projettent surtout des boulets en pierre, ce sont donc des engins lithoboles ou petroboles.

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

A voir aussi