Le verre chez les Romains

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Les origines

Le verre est une matière exploitée par l’homme depuis les origines, et celui-ci savait l’utiliser avant même de découvrir les principes de sa fabrication. Le verre se compose essentiellement de silice (c’est-à-dire du sable) auquel on ajoute un fondant (en général de la soude, mais il y a aussi la potasse, l’alumine, le fer, etc…). Chauffé à des températures allant de 650°C jusqu’à 1500°C, le minéral devient liquide et la vitrification se produit par un refroidissement, phase plus ou moins longue en fonction de la composition du sable et des effets recherchés. Si on peut dater la découverte de la fabrication du verre vers le Ve millénaire avant JC par les Sumériens et les Egyptiens, les Romains vont en étendre l’utilisation à de nombreux éléments de la vie courante, en en faisant un matériau non plus destiné à l’élite mais à toutes les couches de la société. Le verre gagnera aussi sa place dans la société par le fait qu’il est recyclable à volonté, ce qui n’est pas le cas de la céramique.

 

Verres naturels

Les plus anciennes utilisations du verre remontent à environ 100.000 ans. Pour cela les premiers hommes utilisent des verres naturels issus de l’activité volcanique. C’est en particulier le cas de l’obsidienne qui servit à créer des armes telles que des pointes de lance ou de flèche. Ces gisements étant rares, ils feront l’objet d’un commerce important à travers toute la Méditerranée. L’île de Lipari dans les îles Eoliennes, au nord de la Sicile, fut un des nombreux sites utilisés depuis l’Antiquité, de même que les mines du Mont Arci en Sardaigne et l’île de Gyali dans le Dodécanèse. A noter que Gyali/Γυαλί, veut justement dire « verre » en Grec.

La lapis specularis, ou pierre spéculaire, était selon le témoignage de Pline l’Ancien utilisée pour confectionner des vitres. Aux alentours de Segobriga, en Espagne, on peut trouver des gisements de gypse d’une très grande clarté qui permettent de réaliser des carreaux de fenêtre, cette pierre est d’une qualité suffisante pour qu’on puisse la découper en feuilles très fines.

Gypse Lubin Pologne.
Lapis specularis (pierre spéculaire) est un terme de l’antiquité romaine donné à plusieurs minéraux : les micas (surtout la muscovite), le talc et le gypse. Ici morceau de gypse provenant d’une mine de Pologne.

Invention légendaire du verre

Pline nous a également retranscrit une histoire légendaire de la découverte de la fabrication du verre.

« Il est dans la Syrie une contrée nommée Phénicie, confinant à la Judée, et renfermant, entre les racines du mont Carmel, un marais qui porte le nom de Cendevia. On croit qu’il donne naissance au fleuve Bélus, qui, après un trajet de cinq mille pas, se jette dans la mer auprès de Ptolemaïs, colonie. Le cours en est lent, l’eau malsaine à boire, mais consacrée aux cérémonies religieuses. Ce fleuve limoneux et profond ne montre qu’au reflux de la mer le sable qu’il charrie. Alors, en effet, ce sable, agité par les flots, se sépare des impuretés et se nettoie.

On pense que dans ce contact les eaux de la mer agissent sur lui, et que sans cela il ne vaudrait rien. Le littoral sur lequel on le recueille n’a pas plus de cinq cents pas, et pendant plusieurs siècles ce fut la seule localité qui produisit le verre. On raconte que des marchands de nitre y ayant relâché, préparaient, dispersés sur le rivage, leur repas; ne trouvant pas de pierres pour exhausser leurs marmites, ils employèrent à cet effet des pains de nitre de leur cargaison : ce nitre soumis à l’action du feu avec le sable répandu sur le sol, ils virent couler des ruisseaux transparents d’une liqueur inconnue, et telle fut l’origine de verre. »

Ce récit a souvent été pris pour une légende car il faut une température bien plus haute que celle d’un feu de camp pour permettre au sable d’entrer en fusion. Cependant Jean Hartwig((maître-verrier membre de l’Association Française pour l’Archéologie du Verre)) s’est penché sur le problème et penche plutôt pour que cette légende soit possible sous certaines conditions. Tout d’abord il ne faut pas voir dans ce verre obtenu un beau verre, mais sans doute une matière vitrifiée. Il précise qu’un sable avec 65% de plomb peut entrer en fusion à une température de 650°C, température qu’un feu de camp en milieu sec (ce qui est le cas dans cette région que l’on situe près de Saint-Jean d’Acre) peut largement atteindre. Cependant si cela reste faisable, il est très improbable qu’une caravane de marchands ait découvert le travail du verre de cette façon.

Pour cette expérience d’archéologie expérimentale, il a repris la recette retrouvée dans la bibliothèque d’Assourbanipal à Ninive((plus ancienne recette connue du verre)), puis estimé l’emplacement du site décrit par Pline afin d’y prélever du sable ainsi que des plantes qui servent également dans la confection du verre((en particulier la salicorne, riche en sel)). Il a utilisé également du natron d’Egypte. Résultat : ce sable se vitrifie en le chauffant à une température de 700-800°C, ce qui n’est pas le cas à 1100-1200°C.

Toutefois même cette histoire racontée par Pline est possible, la découverte du verre est bien antérieure, en témoigne cette caravane d’Egypte transportant du natron sur la route de Ninive : en fait le natron et le sable à verre utilisé par les Babyloniens viennent justement de ces sites. Au moment que Pline évoque, cette route commerciale est déjà une route du verre !

 

Invention historique du verre

Cette découverte remonte sans doute au IVe millénaire avant JC, et provient apparemment de Mésopotamie ou d’Egypte. Le verre ayant l’énorme avantage de ne pas gâter le goût des aliments et des boissons, il s’utilise au début comme glaçure pour recouvrir la céramique, ces dernières ayant justement ce désavantage bien connu des anciens. Mais rapidement l’homme parvient à mouler des pièces de verre qu’il reste alors à polir pour lui donner l’aspect final.

Le verre simple a une teinte bleu vert qui lui est caractéristique à cause des oxydes de fer naturellement contenus dans le sable, et en ajoutant différents minéraux – mais également des charbons végétaux – on peut en modifier la couleur (couleur rouge avec de l’or, verte avec du fer, bleue avec du cobalt, blanche avec l’antimoine, etc…). Ces techniques vont permettre l’apparition des verres millefiori. Jusque-là on n’obtient que des verres opaques, mais au cours du IIe millénaire avant JC, on découvre le verre translucide. Cependant ce verre, s’il laisse passer la lumière, ne peut être considéré encore comme un verre transparent. Pour cela il faut attendre le VIe siècle avant JC où l’on découvre qu’en ajoutant du dioxyde de manganèse, le verre perd sa teinte naturelle bleu-vert. C’est à cette époque également que commence à se populariser l’utilisation du verre creux, qui sert pour faire des vases ou des bouteilles.

Le soufflage du verre est quant à lui inventé vers le IIIe siècle avant JC. Cet art est particulièrement connu grâce à des fresques égyptiennes montrant ce travail sans ambiguïté. Cet art va permettre de produire un grand nombre de pièces avec une quantité de sable bien moindre, c’est donc à partir de cette époque que le verre va se démocratiser et se répandre dans toutes les couches de la société, même s’il faudra attendre la pax romana pour que tous les effets de cette découverte puissent se faire sentir. Au Ier siècle avant JC, on découvrira même la possibilité de faire des vitres.

Flacon en forme de poisson IIIème - IVème siècle Verre bleuté soufflé à la volée Autun, Musée Rolin
Flacon en forme de poisson IIIème – IVème siècle Verre bleuté soufflé à la volée Autun, Musée Rolin

Les ateliers de verriers

Le travail du verre se répand au travers de l’Empire, et l’on compte un très grand nombre d’ateliers en Gaule, dont à Augustodunum, où l’activité verrière semble avoir été en lien avec l’activité métallurgique ; en Germanie près de Colonia Claudia Ara Agrippinensium (Cologne), des maîtres-verriers étaient fournisseurs des légionnaires romains cantonnés dans la ville, et on a retrouvé dans la forêt d’Hambach des sablières et des fours tout proches, des pièces sorties de ces ateliers ont été retrouvées jusque dans des tombes vénètes (c’est-à-dire la région de Vannes dans le Morbihan) ; également en Bretagne à Camulodunum (Colchester, ville déjà en ce temps réputée pour ses huîtres), ainsi que dans le centre de Londinium (c’est-à-dire Londres) où l’on a retrouvé tout un quartier de maîtres verriers avec pas moins de huit fours.

L’archéologie a pu mettre en évidence différentes formes d’ateliers. En effet les ateliers travaillent rarement le verre depuis l’étape initiale jusqu’à l’étape finale. Ceci est lié au fait que les matières premières sont souvent très localisées. Les régions productrices de sable (dites ateliers de type 1), à l’exemple de Volturnus en Italie, la Judée ou la Germanie inférieure, procèdent généralement, mais pas toujours, à la première étape où le sable est d’abord réduit à l’état de fritte avant d’être véhiculé dans les différentes régions de l’Empire : ce sont les ateliers de type 2. On a d’ailleurs retrouvé dans le sud de la France des épaves de navires qui contenaient des frittes de verre. L’une de ces frittes a d’ailleurs été utilisée en archéologie expérimentale il y a quelques années pour faire des bracelets en verre tels que les Gaulois les aimaient. Pour l’anecdote, cet art du bracelet de verre se poursuit toujours aujourd’hui dans le nord de l’Inde et au Pakistan : rien dans la technique n’a changé depuis l’Antiquité.

Là d’autres ateliers (de type 3) peuvent fondre les frittes en lingots : c’est lors de cette phase que les verres sont enrichis en différents métaux et oxydes afin de leur donner de la couleur. Enfin, les ateliers de type 4 procèdent à la mise en forme de la matière terminale. Toutefois les ateliers sont souvent de plusieurs types à la fois : un atelier de type 3 est souvent associé à un atelier de type 4. Ces ateliers vendent des lingots de verre d’une certaine couleur et en importent d’autres couleurs, comme les différents oxydes ne se retrouvent pas tous dans la même région.

 

Utilisation du verre

Le verre a servi pour nombre d’usages dès l’Antiquité. Que ce soit tout d’abord les perles de verre pour les bijoux, mais aussi bien sûr tout ce qui a trait à la vaisselle, ainsi que les mosaïques, et la vitrerie.

différents motifs de verre - Musée Rolin Autun (71)
différents motifs de verre – Musée Rolin Autun (71)

Perles de verre

Même si l’archéologie a tendance à rapprocher le verre de la céramique, du fait de son utilisation dans les objets de la vie courante, le verre a bien plus à voir avec le travail des métaux. On observe en effet qu’archéologiquement, l’apparition du travail du verre coïncide avec le travail des métaux. Les premiers objets connus en verre sont des perles. Celles-ci se forment souvent lors de la purification des minerais en métal, la partie minérale se vitrifiant lors de la fonte, elles étaient récupérées avec une canne en bois. Visiblement cette pratique a eu cours jusqu’à la fin de l’Empire Romain, on a souvent retrouvé de ces perles dans des ateliers métallurgiques. Ces perles de verre, outre leur aspect ornemental, ont servi parfois de monnaie d’échange ou pour des imitations de pierres précieuses.

Perles de verre présentant toute la diversité et la finesse de la technique dite millefiori ou mille-fleurs - musée Rolin Autun
Perles de verre présentant toute la diversité et la finesse de la technique dite millefiori ou mille-fleurs – musée Rolin Autun

 

Les contenants

Le verre a servi très tôt pour réaliser des plats ou des jattes. Pour cela on coulait le verre dans des moules, il suffisait alors de polir le verre pour lui donner la forme attendue. Mais dès lors que sera découvert le soufflage du verre dans les derniers siècles précédents l’ère chrétienne, les artisans pourront créer facilement des bouteilles, des vases, des aiguières, et des coupes qui prendront par métonymie le nom de verre, signe de la grande popularité du matériau dans cet usage. Le verre servira dans l’alimentation pour des raisons très simples : le verre n’altère pas le goût des liquides contrairement à la céramique ou au métal. Ce matériel se retrouvera très fréquemment dans le mobilier des tombes, ce qui montre son utilisation quotidienne puisqu’on attend du mort qu’il en ait besoin dans l’autre vie. Les dimensions des objets sont très variées selon l’usage attendu, comme les flacons de parfum qui sont très petits.

Un des objets les plus célèbres, parmi les nombreuses œuvres d’art qui nous sont parvenues, est la coupe de Lycurgue (au British Museum). Cette coupe datée de la fin du IVe siècle tient son nom des représentations mythologiques de Lycurgue, roi des Thraces mentionné dans l’Iliade, figuré sur cette coupe. D’une hauteur de 16,5cm, sa célébrité tient à son utilisation du rubis doré : un mélange de verre, de nanoparticules métalliques d’or et d’argent, avec des traces de cuivre. C’est la plus ancienne utilisation connue de ce type de verre qui a pour particularité d’être vert pâle et opaque à la lumière ambiante, mais qui devient rouge quand on l’éclaire de l’intérieur. Le pied du verre est en argent, en effet la technique du verre à pied que nous connaissons sera découverte plus tard.

différents types de contenants – Musée Rolin Autun (71)

 

Le verre-camée

Le Grand Camée de France est réalisé en sardonyx qui est un verre naturel. Ce camée est daté du début du Ier siècle, sans doute une commande de Tibère à Dioscoride((célèbre joaillier)), qui représente l’Olympe ainsi que des membres de la famille impériale. Ses dimensions exceptionnelles en font le plus grand camée connu de l’Antiquité. Cependant l’art du camée fut utilisé également en lien avec le travail du verre, c’est ce qu’on appelle le verre-camée. Il semble que les Romains en soient les inventeurs, et il en reste des exemples somptueux comme le vase bleu de Pompéi ou le vase Portland. Dans le cas du vase Portland, on pense que l’artisan a soufflé une bulle bleue qu’il a plongée ensuite dans un bain de verre blanc avant de le souffler pour lui donner sa forme finale. Un joaillier aurait alors terminé le travail pour lui donner l’aspect qu’on lui connaît.

Le Grand Camée de France, dont l’hypothèse la plus courante serait qu'il aurait été commandé par Tibère, en l'an 20, au célèbre graveur de pierres précieuses Dioscoride pour orner l'urne funéraire de Germanicus mort près d'Antioche le 10 octobre 19. Il est en sardonyx à cinq couches. Il mesure 31 cm de hauteur et 26,5 cm de largeur. Il est le plus grand camée antique connu.
Le Grand Camée de France, dont l’hypothèse la plus courante serait qu’il aurait été commandé par Tibère, en l’an 20, au célèbre graveur de pierres précieuses Dioscoride pour orner l’urne funéraire de Germanicus mort près d’Antioche le 10 octobre 19. Il est en sardonyx à cinq couches. Il mesure 31 cm de hauteur et 26,5 cm de largeur. Il est le plus grand camée antique connu.
au centre verre-camée entouré d'intailles - Musée Rolin Autun (71)
au centre verre-camée entouré d’intailles – Musée Rolin Autun (71)

Tesselles de mosaïque

Le verre fut également utilisé pour réaliser des tesselles de mosaïque, en particulier pour obtenir des couleurs plutôt rares dans la nature et remplacer des matériaux de base qui auraient été trop coûteux. Cependant l’usage de tesselles en verre n’est pas prédominant sous l’Empire, ce sont les Byzantins au VIe siècle qui en feront le plus grand usage, au point de qualifier ce type de mosaïques de « byzantines ». Les Romains se serviront des tesselles en verre essentiellement pour les bassins et les fontaines, afin de donner un bel aspect à l’eau grâce à la réfraction de la lumière.

Échantillon de tesselles en pâte de verre permettant de souligner les nuances du dessin d'une mosaïque - Musée Rolin Autun (71)
Échantillon de tesselles en pâte de verre permettant de souligner les nuances du dessin d’une mosaïque – Musée Rolin Autun (71)

 

Vitrerie

Bien avant l’usage du verre, on se servait de cuir ou de membranes animales, ainsi que de pierres spéculaires pour protéger l’intérieur des maisons des aléas climatiques. Vers le Ier siècle avant JC, on commence à avoir recours au verre pour les vitrages. Celui-ci ne se rencontre d’abord que dans les grands bâtiments publics et dans une moindre mesure dans l’habitat de l’aristocratie. Les thermes en particulier auront recours au verre, celui-ci étant résistant à l’humidité et permettant une meilleure conservation de la température. La pierre spéculaire présente les mêmes avantages mais elle est beaucoup plus coûteuse, du fait des gisements peu nombreux, alors qu’au cours du Haut Empire la maîtrise du travail du verre se confirme et devient bien plus bon marché.

Au cours du Ier siècle après JC, cet emploi se généralise tout au moins en milieu urbain, et les maisons auront des vitres en verre comme c’est le cas à Pompéi. Cependant ce verre, s’il est translucide, n’est pas transparent comme c’est le cas aujourd’hui. De plus il est rare que l’on ait recours à de grandes vitres ; en général les vitres sont redécoupées en carreau d’environ 30x30cm que l’on insère dans des cadres en bois ou en métal, voire que l’on fixe au moyen d’un enduit. Cette méthode, dite du verre grugé, a deux avantages : tout d’abord il est moins coûteux de ne réparer qu’un petit carreau, et ensuite la déperdition de chaleur est d’autant plus grande que la vitre est grande. Cette volonté de conserver la chaleur se retrouve aussi dans la manière de faire le verre : le verre soufflé a été utilisé pour des vitres, on le soufflait en cylindres qu’on étalait ensuite à plat en le coupant dans sa hauteur, mais ce verre perd plus facilement l’énergie ; pour palier à cela on coulait le verre sur une plaque de marbre, et ensuite on l’étirait à l’intérieur d’un cadre. Cette dernière technique, utilisée majoritairement au cours du Haut Empire, est constatée par le fait que les verres ont les coins arrondis, ils sont également plus épais d’un côté que de l’autre, et on peut apercevoir les traces des pinces en métal que l’on utilisait pour étaler le verre sur la plaque.

Au cours de l’Empire tardif on s’aperçoit que le verre soufflé est de nouveau utilisé car il permet une utilisation moindre des matériaux, le verre produit est en effet plus fin et son épaisseur plus régulière. Il est possible également que l’utilisation de cette technique, en plus de son goût esthétique, ait été pratiquée pour des considérations économiques propres à l’insécurité croissante des routes de commerce et donc de la raréfaction des matériaux.

Pour les ouvertures en hauteur, on a également utilisé ce qu’on appelle des oculi ((des yeux)), c’est-à-dire un verre circulaire et bombé. Ces verres conçus d’un seul bloc étaient insérés dans un châssis, et servaient essentiellement à l’éclairage. L’originalité de cet usage est de montrer qu’une vitre n’était pas nécessairement plane.

Dans les thermes, les caldaria devaient maintenir une forte température, ce qui n’était pas toujours évident, même en utilisant des carreaux plus petits. C’est pourquoi les Romains ont développé une technique connue sous le nom de double vitrage. Cependant la technique est bien moins performante qu’aujourd’hui, et si le double vitrage des Romains permet un bon maintien de la température en journée, ce système est insuffisant pour maintenir une température optimale après disparition du soleil. Il fallait donc compléter l’usage du double vitrage avec un système de volets extérieurs ou de tampon thermique. Ce système a également pour avantage de limiter la condensation sur les fenêtres et on estime qu’il aurait permis le maintien d’une température de 28°C dans la salle 4 des thermes du Forum d’Ostie.

 

Les ancêtres du vitrail

Le vitrail tel que nous le connaissons est une invention médiévale, mais son origine provient directement de l’utilisation du verre dans l’Empire Romain. Même s’il nous en reste peu de traces (à Rome et à Thessalonique entre autres), on sait que les vitraux sont devenus une mode dans la décoration des églises au VIe siècle, ceux-ci étaient alors encore enchâssés dans des cadres de bois. Cette manière de faire semble remonter à l’utilisation de verres millefiori qui étaient également utilisés dans le vitrage des thermes pour tamiser la lumières. Or au début du VIe siècle, on a la trace de commandes en Bretagne de verres de ce type en provenance de Gaule, et la quantité supposée de ces matériaux semble montrer une forte activité de cette industrie en Gaule au milieu du Ve siècle.

Le seul écueil de cette démonstration, c’est le manque de découvertes sur le terrain, qui ne permettent pas d’affirmer avec certitude cette existence du vitrail à la fin de l’Empire. Tertullien parle de vitraux décorant les églises au IIIe siècle, mais n’est-ce pas une erreur de traduction ? La rupture des routes commerciales en Méditerranée après les invasions islamiques (le natron vient principalement d’Egypte), ont pu pousser les maîtres-verriers à refondre les verres plus anciens, ce qui expliquerait que nous n’en ayons aucune trace.

Par contre il ne semble pas y avoir de rupture dans la transmission du savoir, et le verre du Haut-Moyen-Âge en Occident est bien le descendant direct du savoir-faire romain.

 

Verre mou et incassable

Une anecdote est rapportée par Pétrone dans son Satyricon, concernant un verre incassable et surtout malléable. Cette anecdote reprise par Dion Cassius, ainsi qu’Isidore de Séville, semble tout à fait légendaire. N’oublions pas que Pétrone écrit un livre satirique, burlesque, il serait difficile de prétendre qu’il y a une réalité derrière si ce n’est une forme de conte qui équivaudrait chez nous à reconnaître l’existence de la pierre philosophale. Trimalcion raconte cette histoire après avoir observé un de ses convives qui examinait un de ses vases qu’il dit être de Corinthe, rapport à un alliage légendaire de bronze, d’argent et d’or rapporté à Corinthe depuis Troie, lui précisant que son vase est d’un artiste qui se nomme Corinthe. L’autre dit qu’il préfère le verre bien qu’il soit si fragile.

« Pourtant, dans le temps, un ouvrier trouva moyen de fabriquer un vase de verre impossible à briser. Admis devant César pour le lui offrir en présent, il le lui redemanda et le jeta sur le pavé. L’empereur ne put qu’avoir les plus vives inquiétudes pour le cadeau qu’il avait reçu. Mais l’autre ramassa le vase, qui n’était que bossué. Tirant alors un petit marteau de sa ceinture, il le répara tranquillement, comme s’il eût été d’airain. Après ce beau chef-d’œuvre il pensait que l’Olympe allait s’ouvrir devant lui quand César lui dit : « Quelque autre que toi connaît-il la recette de ce verre ? Réfléchis bien à ta réponse ! – Personne, répondit l’artisan. Immédiatement, César lui fit trancher la tête, dans la crainte que son secret divulgué ne fît de l’or un métal vil. »

Au-delà de cette histoire, il faut voir que Tibère (car c’est de lui qu’il s’agit) juge cette invention dangereuse pour l’économie du verre qui devient très importante sous l’Empire. Le verre à cette époque est déjà démocratisé et ne reste plus circonscrit à une élite.

 

La correction optique

On rapporte que l’empereur Néron, pour regarder les spectacles de gladiateurs, utilisait une émeraude pour corriger sa myopie. Il s’agissait peut-être d’ailleurs d’un béryl, qui est une émeraude incolore. Cette histoire nous est rapportée par Pline. Cependant il semble que cette anecdote provienne d’une erreur de traduction par Helmholtz au XIXe siècle ! Erreur qui sera reprise par Ernest Renan dans son Antéchrist, qui parle en plus d’un lorgnon purement imaginaire, et ainsi transmise à la postérité via les gravures, les tableaux puis les péplums. Le texte de Pline dit : Nero princeps gladiatorum pugnes spectabat in smaragdo. Ce que Helmholtz a traduit par : L’empereur Néron regardait les spectacles de gladiateurs « au travers d’une émeraude ». Or dans ce cas le in suivi de l’ablatif se lit « dans une émeraude ». Pour comprendre la nuance, il faut lire ce qui précède dans ce que Pline dit au sujet des émeraudes : il parle de leurs capacités réfléchissantes. Celles-ci servent de miroir pour réfléchir la lumière renvoyée par les sables de l’arène qui sont enrichies en poudre de gypse pour le rendre plus luisant. Il faudrait plus voir cette émeraude comme un ancêtre des lunettes de soleil que des lunettes de vue. Preuve supplémentaire de ce sens, si Néron avait été myope et que son émeraude servait à corriger sa vue, il l’aurait utilisée au quotidien.

Sénèque parle quant à lui d’une sphérule de verre remplie d’eau, qui donne un effet de loupe pour permettre de lire des textes plus facilement. On précisera que les textes étaient d’autant plus difficiles à lire qu’on ne mettait pas d’espace entre les mots et que les signes de ponctuation sont très rudimentaires. En général on donnait plutôt le volumen à un serviteur, celui-ci lisait le texte sans prendre la peine de le comprendre, et l’on écoutait le texte plus qu’on ne le lisait, l’oreille se chargeant de restituer le sens de ce qui était lu. Ainsi cette sorte de loupe n’a sans doute jamais été utilisée pour corriger la vue, mais plus pour aider à la lecture.

De plus des recherches récentes semblent indiquer que la myopie a tendance à se développer chez les personnes qui passent beaucoup de temps en intérieur, l’œil s’adapterait ainsi à son environnement et perdrait petit à petit sa faculté à voir de loin. Si ces recherches ont raison, il y a fort lieu de croire que la myopie était quelque chose de rare en ce temps-là, comme l’essentiel de la population vivait en extérieur. Ceux qui vivaient le plus en intérieur étaient les personnes les plus riches, or il est bien plus simple d’avoir un jeune esclave pour vous lire un texte que de se faire préparer une « lentille » pour corriger la vue.

 

Sources                                                                                                       

Ateliers de verriers de l’Antiquité à la période pré-industrielle


http://www.souffleur-de-verre-de-la-recherche-scientifique.org/le-verre.html
http://www.cristallerie-hartwig.com/fichiers%20PDF/DEC.pdf
https://cem.revues.org/1486
http://www.verre-histoire.org/colloques/verrefenetre/pages/p202_01_vipard.html
https://www.cairn.info/revue-archeologique-2009-2-page-283.htm
http://www.verre-histoire.org/colloques/verrefenetre/pages/p204_02_cosyns.html
http://www.verre-histoire.org/colloques/verrefenetre/pages/p207_01_cubells.html
http://next.liberation.fr/culture/2006/02/07/les-romains-piques-de-verres_29114

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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