Le vin chez les Gallo-Romains

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Introduction

Depuis l’Antiquité la Gaule est une région viticole. L’art de faire le vin a été semble-t-il amené par les Grecs dans la région de Massalia vers 600 av.JC, et rapidement cet art s’est répandu à travers toute la Gaule du sud jusqu’au nord à partir du Ier siècle av.JC. Les Gaulois sont rapidement devenus importateurs et exportateurs de vin, certains historiens romains avançant même que c’était ce goût pour cette boisson qui les aurait poussés dans leur invasion de la péninsule italienne au IVe siècle av.JC.
Lorsque la Gaule fut conquise par Jules César, les échanges commerciaux furent alors développés au point qu’il fallut des réglementations dans ce commerce afin de protéger les prix et les productions de l’Italie même. Le décret de 92 promulgué par Domitien est très connu puisqu’il fait demander l’arrachage de la moitié des vignes dans les territoires occidentaux de l’Empire, et interdit tout nouveau plant en Italie. Cependant les traces écrites nous montrent que cet édit ne fut pas suivi. Il faudra attendre le règne de l’empereur Probus deux siècles plus tard pour que cette interdiction soit levée. Elle intervient après les guerres civiles qui ont fait beaucoup de dégâts et il y a sans doute là un souhait de l’empereur de revigorer l’économie des provinces dévastées. Pourtant on trouve peu de restes pour illustrer cette reprise de la production de vin en Gaule, sans doute parce que les amphores sont petit à petit remplacées par l’utilisation des tonneaux : plus légers et plus simples à transporter (par flottage par exemple), réutilisables, et avec une contenance plus grande. Sauf que le bois supporte mal l’usure du temps contrairement à la céramique des amphores. On sait cependant que les vignobles se maintiennent et seront bien attestés à partir de la christianisation, le vin étant indispensable au service de la messe et la multiplication des communautés monastiques va répandre la culture de la vigne.
Toutefois les sources concernant les vignobles sont relativement rares pour la Bourgogne. Il y a peu la seule source principale à attester l’existence de ce vignoble était le rhéteur Eumène que l’empereur avait envoyé à Augustodunum (Autun) afin de restaurer l’enseignement des écoles méniennes, plus vieille université connue de France. Dans un panégyrique daté de 311 environ à l’adresse de Constantin (alors empereur associé au sein de la Tétrarchie), Eumène mentionne l’état catastrophique des vignobles de la région d’Autun et surtout leur changement de localisation : ils passent de la plaine aux côteaux ! Hormis cela il n’y avait aucune source, il y a bien des amphores mais comment assurer que le vin est de Bourgogne et non d’ailleurs ? C’est alors qu’intervient une grande découverte à Gevrey-Chambertin : un vignoble gallo-romain du Ier siècle est découvert au lieu-dit « Au-dessus de Bergis » au cours de fouilles en 2008 et 2009. Celles-ci en plus d’attester sans aucun doute possible de la culture du vin en Bourgogne ont fait apparaître l’application de techniques viticoles qui étaient mentionnées par Columelle.

Origines des vignobles de Gaule

Variété des vignes

Même si les Grecs ont amené la vigne((vitis vinifera sativa)), il y avait déjà des vignes sauvages((vitis vinifera sylvestris)) en Gaule avant leur arrivée, cette plante étant endémique de l’Europe. Ainsi même si ce sont des pieds étrangers qui ont d’abord été exploités pour la production du vin, on mangeait déjà du raisin en Gaule. Cependant il y eut sans doute des hybridations, surtout lorsque la culture de la vigne s’est répandue à travers la Gaule, notamment aux abords des grands fleuves qui facilitent le transport des marchandises mais aussi parce que les vignes sont cultivées en plaine car la vigne est gourmande en eau. Pline mentionne en pays biturige((sans doute le Bordelais et non le Berry)) et allobroge((région du Lac Léman, la Savoie et le Dauphiné)) des variétés de vignes qui résistent au gel.

Commerce originel

Les colonies grecques ont permis une diffusion des vins à travers la Gaule, ceux-ci en étant friands. Cependant ils ne le coupaient pas d’eau, ceci est peut-être lié à une forme de tabou : on ne coupe pas un liquide qui est assimilé au sang. Cela n’aurait ainsi aucun lien avec une pratique « barbare » de la consommation du vin comme le disent les auteurs latins, comme boire le vin pur est pour les Méditerranéens un signe d’ivrognerie. A noter que les vins sont essentiellement liquoreux avec un fort taux d’alcool, donc cela facilite leur conservation et permet un plus grand transport en quantité. Les vignobles ont d’abord été cultivés sur la côte méditerranéenne et petit à petit ont remonté le couloir rhodanien, même si les Romains vont garder un interdit sur la culture du vin dans la Gaule Transalpine et une réglementation stricte de l’importation des vins. Ces réseaux commerciaux sont bien connus car les noms des cités et des producteurs sont sur les amphores que l’on retrouve à travers toute la Gaule.

Le cratère de Vix et autres récipients

La dégustation du vin en Gaule était particulièrement prisée par les aristocrates, qui n’hésitaient pas à faire importer les cratères pour contenir le vin avant de le servir aux invités. Suivant la coutume grecque, le maître de maison faisait verser le vin dans un cratère avant d’y ajouter l’eau pour le couper avant de le servir à ses invités, contrairement à la coutume romaine où chacun faisait son mélange d’eau et de vin dans sa coupe. Le cratère de Vix est certainement la pièce la plus célèbre illustrant ce commerce entre la Grèce et la Gaule, puisque ce grand vase en bronze retrouvé dans le tombeau d’une princesse celte a sans doute été fabriqué en Grande Grèce, c’est-à-dire en Italie du Sud. Le cratère trouvé dans la tombe princière de Lavau en 2015 est de facture soit grecque soit étrusque.

Le cratère de Vix est un grand vase de bronze utilisé pour contenir le vin, découvert dans la tombe d’une princesse celte à Vix (Côte-d’Or) en 1953 et daté d’environ 510 av. J.-C.. Il est aujourd’hui conservé et exposé au Musée du Pays Châtillonnais, à Châtillon-sur-Seine.

Le décret de Domitien et ses suites

Le décret de 92 de Domitien

Au cours du Ier siècle, le vignoble gaulois s’étend et la production prend de l’ampleur ce qui inquiète le pouvoir romain. Or en l’an 92 la production de blé est catastrophique et a contrario la production de vin abondante, ce qui joue fortement sur les prix. Domitien prend alors la décision d’interdire toute plantation de vigne et de faire arracher la moitié des vignes en dehors de l’Italie. On soupçonne Domitien d’avoir voulu maintenir les prix du vin d’Italie, sans doute pour avantager ses alliés politiques qui subissent la concurrence des vins à moindre prix des provinces, concurrence d’autant plus rude que la disparition des vignobles de Pompéi((grande région productrice)) et ses environs a permise. Une autre explication est que beaucoup abandonnent la culture du blé pour la vigne car elle est plus rentable, il s’agit ainsi de restimuler la production de blé en cette année de disette. Mais le décret est impopulaire et Domitien finalement renonce à le faire appliquer strictement, d’autant plus que la production de blé repart à la hausse dès l’année suivante.

L’abrogation de 280 par Probus

Au cours du IIe siècle, la production de vin continue ainsi à progresser en Gaule et les techniques viticoles s’améliorent et s’uniformisent. Cependant dès la fin du IIe siècle et plus encore au IIIe siècle, les vignobles de Gaule entament un long déclin dont les causes sont encore mal connues. Ce qui est certain c’est que les petits producteurs cèdent le pas aux exploitations plus grandes et certaines régions viticoles se « désertifient ». On parle d’un possible appauvrissement des sols suite à des décennies de surexploitation, voire une chute des prix du vin qui a pu être causée par une mauvaise gestion des cours économiques, l’époque connaissant des troubles politiques importants((dont des usurpations sur le territoire des Gaules)), ou encore d’une raréfaction de la main d’œuvre qualifiée. A la fin de ces troubles vers 280, l’empereur Probus abroge le décret de Domitien ce qui permet une reprise des vignobles mais sans doute moins vigoureuse qu’elle a pu l’être auparavant.

Modifications des vignobles

La production du vin se modifie à partir du IVe siècle. En effet il semble que l’utilisation du tonneau se généralise, ce qui fait que nous avons moins de traces de ce commerce, de plus les sources nous manquent pour cette période. Il est donc difficile de dire si la reprise de cette économie a porté ses fruits ou si elle est restée à un niveau plus local. Il est possible également que les sites de production d’amphores aient souffert économiquement de l’utilisation du tonneau, en particulier à Augustodunum qui est un des sites de fabrication d’amphores à destination des vignobles bourguignons.
Le panégyrique de Constantin écrit par le rhéteur autunois Eumène, nous parle de l’état désastreux des vignobles, envahis par les marécages et les ronces dans les plaines, alors qu’il mentionne le côté florissant des vignobles et des terres plus au nord. En conséquence il se demande également si cet état n’est pas dû à une paresse des travailleurs. Apparemment c’est à cette époque que les vignobles bourguignons se déplacent sur les côteaux, mais cela fut sans doute laborieux car le sol est décrit comme pierreux et sujet aux gelées blanches : peut-être de cette époque nous vient l’apparition des premiers meurgers (du latin muricula, petits murs) typiques du vignoble bourguignon même si la reprise véritable du vignoble bourguignon fut sans doute le fait des moines à la fin de l’Empire.

Cépages antiques

Il est difficile de dire quels cépages antiques sont encore connus aujourd’hui, notamment du fait de la crise du phylloxéra à la fin du XIXe siècle qui réduisit presque à néant les vignobles anciens et imposa leur réimplantation via des porte-greffes d’Amérique. De plus la classification des vignes n’intervient que tardivement au XVIIIe siècle. Cependant on a retrouvé des pieds de vignes de Carménère d’avant cette crise en 1991 au Chili. Les cépages dont l’existence est la plus lointaine seraient la Mondeuse (parent de la Syrah), et tous les raisins noiriens (pinot noir, gamay, chardonnay et aligoté entre autres) qui semblent d’après les dernières études génétiques descendre de la vitis allobrogica et sont cultivés originellement en Bourgogne (à noter que la Bourgogne originelle ou Burgondie comprenait toute la zone du bassin de la Saône et du Rhône, et que celle-ci fut plus ou moins épargnée par les invasions de la fin de l’Empire romain, ce qui a pu aider à la sauvegarde de cépages anciens). Toutefois tous les cépages connus en Gaule descendent du mélange de variétés de vitis vinifera et de vitis sylvestris.

  • Le Cabernet franc : c’est le cépage le plus ancien de Gironde, puisqu’il est attesté au Ier siècle de notre ère. Il a sans doute été sélectionné à partir de variétés locales et du nord des Pyrénées. Croisé avec le Gros cabernet (qui est lui-même issu du Cabernet franc) il donne le Carménère qui est originaire du Médoc et qui survit aujourd’hui en dehors de son aire d’origine (au Chili en particulier).
  • Le Gouais : ce cépage est un des plus anciens de France puisqu’il aurait été introduit par les Romains il y a 2000 ans, on le trouvait essentiellement dans l’est de la France. Aujourd’hui il a presque disparu du fait qu’il produit un vin de mauvaise qualité avec un faible degré alcoolique (ce fait est déjà attesté au XIIIe siècle), mais on le cultive encore dans le haut Valais suisse sous le nom de Gwäss. Cependant ce raisin est à l’origine d’autres cépages avec une plus grande renommée comme le Jurançon blanc, la Muscadelle ou la Folle blanche.
  • La Magdeleine des Charentes : appelée également Madeleine noire, est un cépage très ancien qui a été redécouvert en 1996 en Bretagne et dont les analyses ont montré qu’il est l’ancêtre de cépages très connus comme le Merlot noir, le Malbec (tous les deux issus d’un mélange avec le Prunelard, cépage très ancien de la région de Gaillac) ou l’Abouriou.
  • La Mondeuse blanche : D’après des études génétiques récentes, cette variété est sans doute la plus ancienne qui ait été cultivée en Savoie, blanche d’origine elle donne la Mondeuse noire en s’hybridant avec le Tressot (autre cépage très ancien mais guère utilisé de nos jours). La Mondeuse blanche est à l’origine de la Syrah en s’hybridant avec la Dureza (cépage également très ancien venu du nord de l’Ardèche, dont le Pinot noir est un parent).
  • Le Pinot noir : ce cépage est très certainement d’origine bourguignonne et un des plus anciens connus, comme il est à l’origine de la plupart des cépages de France hors Aquitaine. C’est par mutation génétique que se sont développés le Pinot blanc et le Pinot Gris. Ce raisin fait la renommée des vins de Bourgogne depuis que Jean Sans Peur (XVe siècle) fit décréter l’arrachage du Gamay (qui est un mélange du Gouais et du Pinot noir) sur ses terres afin de produire des vins de meilleure qualité : à noter que cet acte ainsi que son décret sur les règles de fabrication de la bière furent une des causes de la guerre franco-bourguignonne et de la disparition des Etats bourguignons.
  • Le Chasselas est également très connu et très ancien mais comme raisin de table essentiellement, quand il est utilisé pour le vin on l’appelle Fendant car le grain de raisin se fend quand on le presse entre les doigts.

En dehors de la Gaule nous avons encore des vins ici et là dont l’origine remonte à la Haute Antiquité. En voici une liste restreinte :

  • Le Muscat à petits grains est bien connu pour les vins qu’il donne ainsi que les raisins de table et bien sûr la plupart des raisons secs (Malaga, Corinthe, Izmir,…) et dont l’origine remonte à l’Antiquité grecque.
  • La Malvoisie a la même origine et fut commercé largement par les Vénitiens au Moyen-Âge, mais aujourd’hui les vins produits sous ce nom sont essentiellement des Pinots, à l’exception de ceux d’Italie.
  • L’Amarone est un cépage de vin paillé italien de la région de Vérone dont les origines remonteraient également à l’Antiquité.
  • Le Sangiovese (sang de Jupiter) qui est le cépage de base du Chianti (Toscane) remonte aux Etrusques, on a des textes du XIIIe siècle réglementant déjà les parcelles qui sont à cette époque encore fixées sur les parcelles viticoles de l’époque romaine : ce cépage très ancien provient du Montenuovo (Calabre) qui a semble-t-il disparu et du Ciliegiolo (peut-être d’Espagne).
  • Le Trebbiano (connu en France sous le nom d’Ugni) remonterait à l’Antiquité car il est cité par Pline, mais rien ne permet d’affirmer comme pour beaucoup de ces raisins qu’il s’agit bien des mêmes ; ce serait un cousin du Vermentino qui est originaire d’Anatolie qui est amené en Italie par les Génois au Moyen-Âge.
  • Il y a encore le Rossese qui est attesté formellement au XVIe siècle en Italie mais dont l’origine serait plus lointaine.
  • Le Grenache originaire d’Aragon a lui aussi une origine très ancienne, attesté au Moyen-Âge, mais rien ne permet d’affirmer son caractère antique.
  • Le Falerna quant à lui était un vin très réputé d’Italie dans l’Antiquité produit en Campanie. On le buvait âgé d’une quinzaine d’années, et préparé de plusieurs manières : rude, doux et léger. Ce vin était tellement réputé que son nom a été vulgarisé, on disait d’un bon vin que c’était un falerne. Mais à l’époque de Pline on voit qu’il y a un appât du gain sur ce vin et on n’hésite pas à produire en quantité plutôt qu’en qualité, il y a même des falernes de contrebande (une inscription de Pompéi semble le montrer).
  • Le Caecubum était également un vin réputé produit dans le Latium qui est passé dans l’expression « Buvons, au nez des Catons, le vin de tous nos cantons. Coulez, cécube et falerne ! ». D’après l’œnologue André Tchernia ce vin produit sur hautain dans des zones marécageuses a sans doute été proche du Sauternes.
  • On connaît encore le Calenum qui était produit en Campanie également. Ces deux derniers vins sont cités par Horace dans ses Odes.

Production des vins

Procéder à la vinification du raisin demande une série d’opérations qu’il est possible de reconstituer à partir des vestiges archéologiques mis au jour en Provence.
Dans un premier temps, il s’agissait de fouler le raisin : cette opération s’effectuait dans une cuve dont le sol était bétonné et pourvu d’un exutoire en pierre ou en plomb. Du fouloir, le jus du raisin ou jus de goutte s’écoulait dans une cuve enduite de béton de tuileau((un mortier à base de briques et de tuiles)) comportant une cuvette de vidange et parfois un escalier. Les rafles((tiges de la grappe)) étaient ensuite rassemblées sous le pressoir. Dans les grands domaines, on rencontre des pressoirs à levier et contrepoids. L’usage de la vis, connu en Italie dès la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère, ne se diffuse en Narbonnaise qu’à partir du IIe siècle de notre ère. Le jus de presse (jus obtenu à l’issue du pressage) coulait ensuite dans une cuve.
Pendant l’Antiquité, le raisin est foulé aux pieds. Sitôt récolté, il est transporté et déversé dans l’aire de foulage. Des ouvriers le piétinent au son des flûtes, en s’aidant de cordes pour ne pas perdre l’équilibre. Le liquide qui jaillit des grappes s’écoule par une rigole vers des baquets de bois, des jarres ou des cuves maçonnées. Les peaux de raisin subissent une première séparation d’avec le jus obtenu, appelé moût. Le marc est conservé à part, à proximité du fouloir. Ensuite, le pressurage est assuré mécaniquement par des pressoirs, dont deux types existent alors.
En Narbonnaise, les pressoirs sont semblables à ceux de la péninsule italienne, de conception déjà ancienne : un gros tronc d’arbre est maintenu en position horizontale, et l’une de ses extrémités est fixée au moyen de cales tandis que l’autre est abaissée et élevée par des câbles reliés à un système de poulies. Le poids du tronc, sous l’effet du mouvement de levier, écrase le marc de raisin. Un second modèle de pressoir, à levier et contrepoids, probablement d’origine grecque, se diffuse dans cette même région au début de l’Empire : le treuil permettant de mobiliser le tronc de l’arbre est fixé à un bloc de pierre qui se soulève. Ce modèle sera amélioré aux IIe et IIIe siècles, le treuil et les câbles étant alors remplacés par une vis verticale. En allégeant l’intervention humaine, cette innovation permet d’accroître le rendement, de gagner du temps, et présente l’avantage d’être plus fiable en termes de sécurité.
Le processus de vinification proprement dit débute une fois le raisin pressé et le moût mis en cuve. En Narbonnaise méridionale, les dolia, immenses jarres d’argiles, étaient enterrées et maintenues par un remblai. Ceci présentait l’avantage d’empêcher qu’elles ne se brisent et permettait leur remplissage au moyen d’un tuyau. Mais surtout, l’enfouissement de ces jarres offrait des conditions idéales pour la conservation du précieux breuvage, la masse de terre absorbant les écarts de température extérieure, mais aussi ceux liés au dégagement calorique lors de la fermentation des levures et de la transformation du sucre en alcool. Seul inconvénient, ces dolia en argile étaient des récipients poreux, qu’il fallait donc étanchéifier au moyen d’un enduit de poix végétale bouillant, obtenu à partir d’un résineux. Enduire ces grandes jarres représentait un travail fastidieux et considérable qui devait être renouvelé chaque année. Conséquence inévitable : le vin héritait d’une saveur de poix caractéristique, proche de celle d’une fumée, voire de goudron ! Tant et si bien que certains consommateurs habitués à ce goût allaient jusqu’à demander des vins spécialement additionnés de poix !
Les Anciens appréciaient particulièrement les vins blancs. Avant de boire les plus grands crus d’Italie, il fallait attendre plusieurs années : cinq ans pour le vin de Nomentum, dix ans pour le vin de Sabine, une vingtaine d’années pour le Falerne, et pas moins de vingt-cinq ans pour le vin de Sorrente. Pour les autres vins, et sans doute afin de réduire l’attente, les Romains avaient mis au point des procédés permettant de donner à des vins plus jeunes le goût de ceux qui avaient vieilli pendant de longues années. Au cours de la vinification, diverses substances étaient ajoutées, cuites et broyées, en très petites quantités, ce qui permettait de « faire vieillir un moût sans force », selon l’agronome Columelle, à qui l’on doit une recette de ce procédé.
Le fenugrec (Trigonella foenum grecum, ou « foin grec ») est l’un des ingrédients majeurs de cette recette : on a découvert depuis que la molécule responsable de ce goût caractéristique, le sotolon, plutôt rare à l’état naturel, est justement présente dans la plante. Les anciens vinificateurs avaient bien trouvé le moyen de faire vieillir, avec l’ingrédient idéal, des vins qu’il eût fallu élever des années pour obtenir le même goût ! Une expérience associant archéologue, historien et vigneron a consisté à préparer une cuvée produite à partir d’un moût issu d’un cépage blanc (de l’ugni) auquel on a ajouté du fénugrec : il s’est avéré que la recette de Columelle donnait un vin proche du Xérès ou d’un vin jaune du Jura.

Transport des vins

Transport par bateau

Avec le développement de son commerce, il devient nécessaire de trouver le moyen de transporter le vin en grosses quantités. Des épaves de « bateaux-citernes » ont été mises au jour et fouillées sur la côte méditerranéenne dans la région de Rome, en Corse et autour des îles d’Hyères. Ces navires, équipés spécialement pour transporter le vin, abritent entre deux et quinze dolia, hautes de 1,60 m à 1,80 m, et peuvent charger jusqu’à 2 500 litres ! Les dolia étaient fixées à l’intérieur des embarcations, sans doute au moment de la construction. Pour la douzaine d’épaves retrouvées, toutes les dolia portent l’estampille de leur fabricant, spécialisé dans ce type de contenant. En plus de ces grandes cuves, les bateaux accueillaient fréquemment quelques centaines d’amphores, placées à l’avant et à l’arrière.
Utiliser de grandes cuves est plus avantageux que de recourir aux amphores, dont la contenance est moindre et qui occupent plus d’espace. Il fallait des ports aménagés spécialement pour leur déchargement (canaux, quais, et entrepôts de stockage). Le vin était transvasé depuis les bateaux dans des entrepôts abritant des dolia de stockage avant d’être reconditionné et distribué. Ces formes d’aménagements ont été identifiées à Ostie, l’avant-port de Rome, à Marseille, à Lyon et à Narbonne. En revanche, on ignore encore comment le vin était transvasé : peut-être à l’aide d’un système de pompe, mais aucune trace n’a été mise à jour. Les épaves retrouvées sont datées entre -10 et le milieu du Ier siècle de notre ère. Il est probable que ce mode de transport ait été délaissé à cause de la grande fragilité des dolia, qui pouvaient se casser et provoquer le naufrage du bateau.

Le commerce du vin à Lugdunum

Grâce aux amphores, on prend la mesure de ce que pouvait être le commerce du vin dans la capitale des Trois Gaules. L’étude des inscriptions et des timbres montre l’activité des négociants alors organisés en une puissante corporation. On situe les entrepôts et les quais de ce négoce dans le quartier des Canabées (actuel quartier d’Ainay). Lyon était non seulement un centre de consommation, mais aussi un centre de redistribution. Le vin y arrivait de toutes les régions de l’Empire. Il en repartait notamment vers les régions du Nord (Rhin, Moselle), comme l’attestent des mentions de négociants de Trèves découvertes sur des amphores.
La présence d’amphores en provenance d’Étrurie, de Campanie et d’Adriatique semble prouver que les vins d’Italie étaient importés bien avant la Conquête de la Gaule en -52. Après la Conquête, les amphores deviennent minoritaires dans le transport du vin, le restent au cours du Ier siècle de notre ère, puis disparaissent, probablement remplacées par le tonneau. L’importation de vins des îles de Méditerranée orientale (Rhodes, Cos, Chios…) au Ier siècle de notre ère se manifeste par un nombre significatif d’amphores de ces régions. Des amphores datées des Ve et VIe siècles ont été identifiées comme provenant de Gaza, qui produisait alors un vin réputé. On a même retrouvé des amphores ayant servi à l’importation de vin de Maurétanie (Afrique du Nord) à partir du IIIe siècle !
Des vins de la péninsule ibérique arrivent à Lyon dès la fin du Ier siècle avant notre ère dans des amphores originaires de Létanie (Catalogne) et de Bétique (Andalousie), lesquelles ne laissent plus trace à partir du IIe siècle de notre ère.

Le tonneau gaulois

Les archéologues trouvent rarement des tonneaux à étudier : la matière organique dont ils sont faits se décompose et ne laisse pas de traces. Trois cents vestiges de tonneaux et tonnelets ont cependant été découverts en Europe du Nord, entre l’Ecosse et la Hongrie, principalement du côté du Rhin. Ils sont datés du Ier au IVe siècle de notre ère, dont une grande majorité des deux premiers siècles.
Les tonneaux de l’Antiquité se composaient d’un nombre variable de planches, les douelles ou douves, appelées aussi tabulae. Les fonds étaient faits d’un ou de plusieurs morceaux, selon leur taille, qui étaient encastrés dans des jables, les rainures incisées situées aux deux extrémités du fût. L’essence majoritairement employée pour leur fabrication était, jusqu’au IIe siècle, le conifère puis le chêne. Ces tonneaux étaient cerclés avec des lanières d’un bois plus souple, comme le noisetier. Des différences de taille, de formes et de volumes permettent d’en dresser une typologie.
En Gaule, l’usage du tonneau pour le transport du vin s’est répandu à la fin du Ier siècle avant notre ère, au moment où la viticulture et le commerce se développaient considérablement. À Lyon, son utilisation semble avoir été très importante, entre les Ier et IIe siècles, pour l’acheminement des vins produits dans la région. Les tonneaux étant marqués au fer rouge, les inscriptions renseignent sur l’identité du tonnelier, des négociants, du producteur, ainsi que sur le contenu. Ce conditionnement a pu être préféré aux amphores, peu adaptées au transport sur les fleuves et les routes et moins maniables dans les transbordements. En outre, d’une contenance supérieure à celle des amphores, les tonneaux étaient plus rentables.

Icare tient les rênes d'un char à deux-roues tiré par des bœufs, chargé d'outres de vin. Plus loin à droite, on voit deux bergers en état d'ébriété et une mention en grec « ΟΙ ΠΡΩΤΟΙ ΟΙΝΟΝ ΠΙΟΝΤΕC », soit « Les premiers buveurs de vin ». Mosaïque datant du IIIème siècle de la villa de Dionysos -Parc archéologique de Paphos
Icare tient les rênes d’un char à deux-roues tiré par des bœufs, chargé d’outres de vin. Plus loin à droite, on voit deux bergers en état d’ébriété et une mention en grec « ΟΙ ΠΡΩΤΟΙ ΟΙΝΟΝ ΠΙΟΝΤΕC », soit « Les premiers buveurs de vin ». Mosaïque datant du IIIème siècle de la villa de Dionysos -Parc archéologique de Paphos

Techniques viticoles

Culture en hautain

Cette technique de culture de la vigne est une des plus anciennes, et était apparemment très pratiquée dans tous le bassin méditerranéen ainsi que sur les bords de la Mer Noire. Cette méthode est mentionnée par Columelle, et au niveau archéologique on en a des traces par des mosaïques.
Cette technique consiste à se servir d’un arbre comme tuteur pour la vigne, ce qui lui permet également de profiter de l’ombre de l’arbre. On utilise également des tuteurs pour remplacer les arbres, en montant la vigne en spirale autour de quatre pieux comme cela est attesté en Afrique du Nord. Cette technique a sans doute été copiée sur l’aptitude de la vigne sauvage à grimper le long des arbres, d’autant qu’elle permet d’éviter que les animaux au niveau du sol ne viennent manger ou uriner sur les raisins, les renards en particulier. L’ombre peut également être utilisée pour les cultures potagères, c’est le principe de la joualle.

Culture en pergola

Cette technique est utilisée en particulier dans les jardins domestiques où la vigne procure ainsi de l’ombre et permet de créer des cloisons donnant un côté plus intimiste au jardin en y adjoignant des treillages. Le système de pergola est également utilisé pour les vignobles : on fait pousser le cep le long d’un tuteur d’environ un mètre et l’on conduit les sarments sur un treillage oblique qui monte jusqu’à plus deux mètres afin que la vigne prenne mieux le soleil. Cette technique a également pour avantage de garder au frais une partie du sol qui pourra mieux recueillir la rosée et de faire une galerie pour permettre au travailleur d’œuvrer à l’ombre, la collecte des grappes étant réalisée par en-dessous.

Provignage

Le provignage est une technique proche du marcotage qui permet la multiplication des pieds de vignes en déployant sans doute en étoile un tapis au sol, à moins que la multiplication ne se fasse en suivant des rangées. Cette technique consiste à coucher un sarment (ou une vieille souche) qui va prendre racine dans une fosse en reproduisant fidèlement les caractéristiques du pied originel. Cette méthode décrite par Columelle est attestée à l’époque romaine sur le site de la villa de Gevrey-Chambertin qui était en activité aux Ier et IIe siècles.

Sources

((La construction des climats viticoles en Bourgogne, la relation du vin au lieu au Moyen Âge, par Jean-Pierre Garcia, 2014. http://acrh.revues.org/5979
Apogée et déclin de la viticulture gallo-romaine. http://archeologie-vin.inrap.fr/Archeologie-du-vin/Histoire-du-vin/Antiquite/p-13148-Apogee-et-declin-de-la-viticulture-gallo-romaine.htm#.VZuRnEYxApI
Le vignoble de Bourgogne : né de l’Empire romain, élevé par les moines. http://www.vins-bourgogne.fr/nos-vignerons-nos-savoir-faire/une-histoire-vivante/il-y-a-2-000-ans/le-vignoble-de-bourgogne-ne-de-l-empire-romain-eleve-par-les-moines,2402,9251.html?
Vins antiques d’Occident http://archeoaaccea.chez.com/AAC_Vineyards11.pdf
VITIS, la Vigne et le Vin http://vitis.free.fr/accueil.html
Le vignoble gallo-romain de Gevrey-Chambertin « Au-dessus-de Bergis », Côte-d’Or (Ier-IIe s. ap. J.-C.) : modes de plantation et de conduite de vignes antiques en Bourgogne, par Jean-Pierre Garcia, Sébastien Chevrier, Alexa Dufraisse, Marion Foucher et Ronan Steinmann. http://rae.revues.org/6289
Le vignoble gallo-romain de Gevrey-Chambertin. http://www.artehis-cnrs.fr/Le-vignoble-gallo-romain-de-Gevrey
Panégyrique de Constantin, Eumène. http://www.archive.org/stream/xiiieduodecimpa00baeh#page/132/mode/2up
Histoire Naturelle, Pline l’Ancien.
De rerum rustica, Columelle.))

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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