Castrorum metatores
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Empire romain
Les ingénieurs militaires romains spécialisés dans l’édification des camps et des fortifications
Les légions romaines sont le pilier principal d’un Empire qui a dominé la majeure partie de l’Europe pendant presque six siècles.
La plupart des historiens militaires s’accordent sur le fait qu’il aura fallu attendre l’époque napoléonienne pour retrouver un sens aussi développé concernant l’organisation d’une armée.
L’un des aspects les plus rigoureux, les plus techniques de l’armée romaine, concerne sans aucun doute la castramétation c’est-à-dire « l’Art » d’édifier des fortifications militaires et plus particulièrement les fameux camps de marche des légions romaines.
Chaque jour, en fin d’après-midi, en deux heures à peine, un camp d’étape fortifié avec des palissades en bois (castra aestiva) surgit de terre pour être aussitôt rasé dès le départ des troupes le lendemain matin. Suivant les époques, le camp « idéal » est soit carré (de Polybe à Flavius-Josèphe) soit rectangulaire (dès le 2ème siècle après J.C.). Cependant, dans la réalité, l’archéologie a maintes fois relevé des castrae aestivae de forme patatoïde.
Le choix du site et les premiers tracés sont confiés à une catégorie bien précise de spécialistes les Metatores ou Mensores.
Les castrorum metatores marchaient en avant de la légion avec des soldats de l’avant-garde (antecessores) voire même avec ceux qui faisaient des reconnaissances (speculatores) afin de choisir l’emplacement du camp (castrorum locus) pour l’installation des troupes.
Ces metatores devaient prendre en compte un certain nombre de facteurs avant de se déterminer sur le choix définitif de l’emplacement.
Pseudo-Hygin donne les précisions suivantes à ce sujet :
Quant au choix du terrain sur lequel on doit faire le tracé, nous dirons qu’on préfère avant tout le terrain qui de la plaine, s’élève en pente douce vers une éminence…Le camp est dit obligatoire (castra necessaria) quand on a pas le choix du terrain…
Dans quelque position que ce soit, le camp devra être placé près d’une rivière ou d’une source.
Et Pseudo-Hygin de rajouter quelques limitations complémentaires : pas de point en hauteur à proximité ni de forêt, de ravin ou de vallon où l’ennemi pourrait facilement espionner le camp ni même de rivière torrentielle trop proche qui pourrait inonder le camp en cas d’orage violent.
Une fois l’emplacement du camp choisi, les metatores déterminent son étendue qui est fonction de l’importance de la troupe et de son impedimenta. Les plus chevronnés exécutent cette opération à vue d’œil, les novices quant à eux mesurent l’espace nécessaire au moyen de la portée des flèches qu’ils font lancer successivement.
Laissons maintenant la parole à l’historien grec Polybe qui nous explique comment les metatores procédaient au tracé de l’emplacement du camp :
On détermine d’abord le point où la tente du consul doit être dressée, puis le côté de l’enceinte ménagé autour de cette tente où devront camper les légions. Ce choix étant fait, ils mesurent l’enceinte de la tente (prétoire), et après cela, la ligne droite sur laquelle seront placées les tentes des tribuns, puis encore une autre, qui lui est parallèle et à partir de laquelle les légions commencent à établir leur camp. Ils mesurent ensuite, en y traçant les lignes, l’espace qui se trouve de l’autre côté du prétoire, suivant les dimensions habituelles. Tout cela ayant été rapidement exécuté…Ils plantent un premier drapeau à l’endroit où doit être placée la tente du consul, un second sur le côté du prétoire qui a été choisi, un troisième au milieu de la ligne sur laquelle on doit élever les tentes des tribuns, et un quatrième sur la ligne à partir de laquelle les légions s’établissent : ces drapeaux sont de couleur pourpre, excepté celui du consul qui est blanc. Sur les autres points, ils plantent tantôt des hastes, tantôt des drapeaux de toutes les couleurs ; cela fait, on trace les rues en plantant des hastes dans chacune d’elles ; par conséquent, dès que les légions arrivent à proximité, et que l’emplacement du camp devient visible, elles connaissent immédiatement tous les détails en regardant le drapeau du consul et en se guidant sur lui.
L’appareil qui permettait d’aligner les piquets munis de drapeaux et les hastes s’appelle une groma.
Cet instrument est le symbole même de l’arpenteur, celui-ci était parfois appelé gromaticus. Son nom est vraisemblablement d’origine étrusque, mais emprunté au grec; la groma est aussi parfois désignée sous ses appellations latines: ferramentum ou stella.
La groma est une équerre optique ou équerre d’arpenteur qui divise l’espace en quatre quadrants et sert à tracer des lignes droites et des angles droits.
La partie supérieure de l’instrument est composée d’une croix à 4 branches perpendiculaires de dimensions égales qui servent d’équerre de direction; à chacune des branches est suspendu un fil à plomb appelé perpendicula.
Ce dispositif est fixé sur un bras de recherche métallique qui le relie à un long pied servant à la mise en station.
Une fois la groma installée à l’endroit souhaité par l’agrimensor ou le metator et l’équerre de visée positionnée dans la direction voulue, les opérations peuvent commencer:
dans l’axe de visée de l’oeil, le 1er fil à plomb cache le second fil et tout jalon ou toute perche positionné dans cet axe est forcément aligné par rapport aux fils à plombs qui ont servis pour la visée. On peut ainsi obtenir un alignement parfait de perches sur une distance raisonnable.
Pseudo-Hygin utilise même le mot groma pour désigner l’endroit proche de l’entrée du praetorium où, initialement avait été posé l’instrument sur un pied de fer afin de réaliser le tracé du camp et les lignes droites dirigées vers les portes. C’est aussi vers cet endroit que les soldats devaient se rendre lors des allocutions ou pour assister aux jugements ou aux sacrifices rituels.
L’emplacement initial de la groma appelé aussi tetrans correspond au point de rencontre des deux allées principales du camp : la via praetotia et la via principalis.
Les allées secondaires étaient déclinées, parallèles à ces deux voies jusqu’à former un
quadrillage parfait. Ainsi organisé, le camp devenait une véritable ville où toutes les ressources étaient réunies, mais bien ordonnées et commodément placées.
L’autre avantage de ce quadrillage était, pour les camps de marche, d’avoir, quelque soit les circonstances, un emplacement identique de chaque contubernium.
Ainsi, le légionnaire, harassé par une longue marche et par des travaux de terrassement, était certain de l’emplacement de sa tente, toujours identique, quelque soit le camp.
En outre, celui-ci avait dans le camp, un « souvenir de la patrie » : il en connaissait d’avance toutes les dispositions, toutes les rues comme celles de sa ville natale.
L’extraordinaire organisation des camps romains garantissait aux légions une protection efficace en cas d’attaque ennemie. Le choix judicieux de l’emplacement ainsi que la structure interne du camp facilite aussi la vie quotidienne et la gestion du personnel au sein même du castrum.
Cependant, il convient de replacer dans un cadre plus large cette science de la castramétation : les grecs, avant les romains avaient eux aussi construit bien des camps militaires mais sans jamais égaler en rigueur « géométrique » ou en organisation minutieuse les légions de Rome.
Comment expliquer alors cette différence ?
Pour le tracé des camps, comme pour celui des villes ou le partage des terres, les romains suivaient les règles fixées par une science augurale qu’il détenait des Etrusques.
Un corps de géomètres appelé agrimensores dont les techniques de relevés topographiques sont assez proches de celles des castrorum metatores jouait un rôle très important dans la Rome Antique procédant entre autres à la cadastration des terres de l’Empire.
C’est toute une philosophie du monde que l’on retrouve dans cette conception « géométrique » du sol au travers de la ratio pulcherrima que l’on pourrait traduire par le plus beau système, c’est-à-dire la conformité au système idéal d’organisation des terres.
Cet amour de la ligne droite, de la perpendiculaire, des formes rectangulaires ou carrées est aussi une façon pour les romains de montrer à tous que leur civilisation est capable de dominer les caprices de la nature en imposant sa marque.
Dès lors quoi de plus naturel que cette conception du monde trouve son apogée dans l’impérialisme romain concrètement représenté par l’art militaire de la castramétation.
Bibliographie
- Polybe, livre VI
- Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio mis en ligne sur Internet par l’université Toulouse le Mirail
- Chouquer/Favory, l’arpentage romain, Ed. Errance 2001.
- Jean-Yves Guillaumin, l’écriture scientifique des agrimensores romains. Institut des sciences et techniques de l’Antiquité U.M.R. 6048, Université de Franche-Comté.
- Laurent Cabot, Les agrimensores : géomètres du temps romains et leurs instruments de mesures, revue l’Achéologue n°89 avril-mai 2007
L.C.