les machines de jet : les écrits d’historiens grecs et romains

Par • Publié dans : Armée romaine

Beaucoup d’auteurs antiques ont mentionné l’utilisation des catapultes et autres balistes dans leurs écrits mais à quelques exceptions près, ils se sont finalement assez peu intéressés à ce sujet.
Il faut tout d’abord distinguer les auteurs techniciens qui rédigent de véritables traités sur les machines de jet comme Héron d’Alexandrie, Philon de Byzance, Biton chez les Grecs ou l’ingénieur romain Vitruve, des historiens comme Diodore de Sicile, Tite Live, Dion Cassius, Tacite, Flavius Josèphe, César, Ammien Marcellin, Végèce…
Si les premiers nous renseignent sur la conception et la fabrication de ces engins, ce sont les seconds qui nous montrent comment ils étaient utilisés. La plupart du temps, ces historiens préfèrent mettre en avant les actes héroïques, les ruses de guerre ou la stratégie et si les textes évoquent fréquemment la présence de catapultes ce n’est que plus rarement qu’ils daignent expliquer leur rôle dans les sièges et les batailles.
Voici donc les quelques extraits les plus intéressants qui sont regroupés selon une thématique qui met en avant les aspects les plus importants de l’artillerie antique.
Pour chacune de ces parties, les textes seront présentés et commentés en fonction de la chronologie des événements narrés par les auteurs.

Description de l’artillerie et des machines de jet

Leur nombre

A propos du siège de Carthagène pendant la deuxième guerre punique, l’historien Tite Live nous donne une indication primordiale qui nous permet de bien appréhender la quantité de machines de jet pouvant être utilisés par les légions romaines lors d’un siège :

 «  Cette conquête mit de plus en son pouvoir un appareil formidable de machines de guerre : cent vingt catapultes de la première grandeur, deux cent quatre-vingt-une d’une grandeur moindre, vingt-trois grandes balistes, cinquante-deux petites, un nombre prodigieux de scorpions grands et petits, d’armes offensives et défensives, et soixante-quatorze drapeaux. » (Tite Live, XXVI, 5, 6)

L’écrivain juif Flavius Josèphe, lors du conflit qui opposa Rome aux juifs nous narre en détails le siège de Jotapata en Galilée en 69 p.C. Voici un extrait qui indique la quantité et le type de machines de jet utilisés. On y apprend en outre qu’archers et frondeurs lançaient leurs projectiles en même temps que l’artillerie

«  Vespasien installa tout autour les pièces d’artillerie, en tout cent soixante engins et commanda de tirer sur les hommes postés sur le rempart. Alors, en même temps que les catapultes faisaient siffler leurs traits, les pierriers lançaient de grosses pierres d’un talent (env. 36kg), du feu, une grêle de flèches, tous projectiles qui rendaient intenable aux juifs non seulement le rempart mais encore, à l’intérieur, tout espace à la portée du tir. Car, de fait, l’important contingent d’archers arabes, les lanceurs de traits et des frondeurs tiraient tous en même temps que l’artillerie. » (Flavius Josèphe, guerre des Juifs, III, 166-168)

Il faut faire un grand bond dans le temps jusqu’à la période tardive de l’empire romain pour qu’un autre écrivain, Végèce, nous donne une information d’importance sur le nombre de pièces d’artillerie qui pouvaient être utilisées par une légion :

Des outils et machines de la légion.

« Ce n’est pas seulement par le nombre des soldats que la légion remporte le plus souvent la victoire, mais par le choix des armes. La plus redoutable est cette espèce de javelot, à l’épreuve duquel il n’y a ni bouclier ni cuirasse, lorsqu’il est lancé par ces machines appelées carrobalistae. Chaque centurie a à sa suite une de ces machines tirée par des mulets, et servie par onze soldats ; plus elles sont grandes, plus elles chassent loin et raide les javelots dont on les charge : on ne s’en sert pas seulement pour la défense des camps ; on les place encore sur le champ de bataille, derrière les pesamment armés ; et ni la cavalerie, ni l’infanterie, armées de boucliers, ne résistent aux traits qu’elles lancent. Il y a donc cinquante-cinq de ces machines dans une légion ; de plus, dix onagres, c’est-à-dire une par cohorte : on place ces sortes de machines sur des chariots armés, tirés par deux boeufs, afin qu’en les transportant du côté du camp où on prévoit l’attaque de l’ennemi, on puisse le repousser de loin à coups de pierre, de dard et de javelot. » (Végèce, De l’art militaire, Livre II, XXIV.)

Un lanceur de traits par centurie et un lanceur de boulets par cohorte, si on se fie à Végèce le principe de dotation d’une légion en pièces d’artillerie est assez simple. Il faut cependant prendre ces données avec des pincettes : tout d’abord, ce texte a été rédigé entre la fin du 4ème et le début du 5ème siècle p.C. il ne saurait être considéré comme valable pour l’époque du haut empire et encore moins pour l’époque républicaine. De plus, carrobalistes et onagres sont des machines qui sont probablement apparues au début de l’ère chrétienne. Enfin, il faut bien faire la distinction entre une dotation théorique ( ?) d’une légion et un siège en règle qui nécessite une quantité plus importante de machines de jet.

Leur description

Les descriptions les plus complètes et les plus précises proviennent toutes de textes d’auteurs de l’époque tardive entre Ammien Marcellin auteur du 4ème siècle et Procope auteur byzantin du 6ème siècle. Nous avons trois textes particulièrement riches qu’il convient de présenter dans leur intégralité.

Ammien Marcellin

Description des machines de guerre ( Tormenta) en 363 :

La baliste : On ajuste une grande pièce de fer solide allongée à la manière d’une longue règle, entre deux petites traverses. De sa gouttière arrondie, que dispose en son centre une technique raffinée, se détache assez longuement une tige de section carrée, creusée en ligne droite d’une étroite rainure, et reliée à cette corde de multiple torons en boyaux qui se tordent. Deux cabestans en bois lui sont très exactement adaptés ; près de l’un d’eux se tient un servant pointeur, qui maintient dans la rainure du timon une flèche de bois armée d’une grosse pointe. Ceci fait, de part et d’autre, de jeunes soldats robustes font tourner énergiquement la manivelle du treuil. Quand le bout de la pointe est parvenue au point extrême de tension des cordes, la flèche est décochée par un déclenchement interne de la machine s’envole hors de la vue de la baliste. Il arrive que son échauffement extrême lui fasse lancer des étincelles et que, bien souvent, avant d’avoir aperçu le projectile, on en sente douloureusement la mortelle atteinte.
Quant au scorpion, appelé maintenant « onagre », en voici la structure. On taille deux pièces de chêne ou d’yeuse, on les incurve légèrement pour qu’elles présentent une saillie pareille à une bosse, on les assemble comme pour fabriquer une scie à châssis, et l’on y creuse de chaque côté de très larges trous ; on attache entre ces barres, en les faisant passer par leurs orifices, des cordes solides qui maintiennent ce bâti pour l’empêcher de se disloquer brutalement. Du milieu de ces câbles, une tige de bois se dresse en biais, levée tout droit à la manière d’un timon d’attelage, on l’assujettit étroitement par des boyaux noueux, mais de telle sorte qui l’on puisse la relever et l’abaisser, et l’on adapte à son extrémité des crochets en fer auxquels est suspendue une fronde en courroie tressées ou en fer. Devant cette armature de bois, on étend par terre une énorme banquette : un sac en poil de chèvre, bourrée de menue paille, puissamment amarré et reposant sur des mottes de gazon entassées ou des remblais en briques. Car si l’on dispose une énorme machine de guerre de ce genre sur un mur de pierre, elle est capable de disloquer tout ce qu’elle rencontre sous elle, non point par son poids, mais par la violence du choc. Quand le moment de l’engagement est donc venu, on pose un boulet de pierre sur la fronde, quatre jeunes soldats, de chaque côté, tendent vers l’arrière les barres dans lesquelles sont engagées les cordes, et incline ainsi la tige, presque jusqu’à la coucher au sol. C’est seulement à ce moment que l’officier qui se tient en haut, près de l’engin, déclenche d’un coup de mailloche la gâchette qui tient bandée toute la machine : par suite, la tige, libérée brutalement par ce coup, amortit sa course sur le sac en poil de chèvre qu’elle vient heurter, et projette le boulet de pierre avec une force qui lui fera broyer tout ce qu’elle rencontrera. On appelle cette machine tormentum, du fait que toute sa détente s’opère par torsion ; et scorpion, parce qu’elle a un aiguillon dressé au dessus d’elle ; le nom d’onagre, que tout récemment on lui a aussi donné, vient de ce que les ânes sauvages, quand on les chasse à courre, projettent au loin, par leurs ruades, des pierres derrière eux, jusqu’à transpercer la poitrine de leurs poursuivants, ou même à leur faire éclater la crâne en leur broyant les os. » (Ammien Marcellin, Hist. XXIII, IV, 1-7)

Ce texte du 4ème siècle P.C. bien que très détaillé pose un problème majeur pour qui ne maîtrise pas l’évolution de la terminologie des pièces d’artillerie antiques.

Voici quelques explications sur cette évolution que nous donne Philippe Fleury dans son ouvrage « la mécanique de Vitruve » :

L’évolution de la nomenclature des machines de jet gréco-romaines
Les termes de tormenta, ballista et catapulta sont souvent confondus et cela dès l’époque romaine. Ainsi le scorpion qui désigne un petit lanceur de flèche à deux bras, chez César, devient chez Ammien Marcellin, deux siècles plus tard, un lanceur de boulet à un seul bras. Voici, pour s’y retrouver, une petite chronologie succincte de l’artillerie antique. On peut les classer en deux grandes catégories, selon la nature de leurs projectiles respectifs : d’une part, les oxybèles qui décochaient des traits de bois allant de la simple flèche à la poutre et, d’autre part, les lithoboles qui lançaient des boulets de pierre.

  • Pour Vitruve (1er siècle a.C.)
    Les lanceurs de traits (oxybèles en grec) sont des catapultes dont le terme générique est scorpion.
    Les lanceurs de boulets (lithoboles en grec) sont regroupés sous le terme générique de baliste.
  • Pour Héron d’Alexandrie et en général du 1er siècle p.C .au début du 2ème siècle p.C.
    Avec l’apparition du cadre métallique pour les lanceurs de traits, on fait la différence entre les lanceurs individuels appelés chirobaliste et les lanceurs collectifs nommés carrobaliste.
  • Pour Ammien Marcellin et en général au 4ème siècle p.C.
    Les lanceurs à deux bras qu’ils propulsent indifféremment boulets ou traits sont appelés des balistes, tandis que les lanceurs à un bras projetant exclusivement des boulets sont appelés scorpion puis onagre.
  • Enfin pour Végèce, (fin du 4ème début du 5ème p.C.)
    Il fait la différence entre les lanceurs lourds à deux bras qu’il appelle comme Ammien Marcellin baliste et les lanceurs lourds à un bras qu’il nomme exclusivement Onagre.
    Et les lanceurs légers qui propulsent traits et balles de fronde et qu’il appelle Scorpion ou manubaliste s’ils sont pourvus d’un système à torsion ou arcuballista s’ils en sont dépourvus.

Toutes ces précisions, si elles peuvent paraître fastidieuses, sont cependant indispensables car suivant l’époque et l’auteur, on peut être amené à confondre facilement le type de machine utilisée et ne plus comprendre pourquoi César dit d’un scorpion qu’il propulse des traits qui transpercent les corps ennemis tandis qu’Ammien Marcellin évoque une énorme machine qui projette de lourds boulets sur les murs des cités assiégées.

Le texte d’Ammien nous décrit deux machines, une baliste à flèches pourvue d’un cadre métallique et ce qu’il nomme un scorpion plus connu sous le nom d’onagre qu’il nous présente comme un terme récent. La description de cette pièce est unique, nul autre auteur antique ne nous fournit autant de précisions. Comme par ailleurs, il n’existe pas de bas-reliefs avec des onagres, ce texte fait référence. Il est dommage qu’Ammien ne nous renseigne pas sur les dimensions de l’engin ni sur le poids des projectiles (il le qualifie simplement d’énorme machine de guerre).

onagre de Schramm et de Marsden
onagre de Schramm et de Marsden

L’historien militaire Végèce est peut être celui qui nous fournit le plus de détails sur l’armée romaine, il évoque aussi les machines de jet qu’il nous présente ici sous l’angle des assiégés, les pièces d’artillerie sont les mêmes, seule la finalité change, les catapultes qui pour lui servent à lancer des pierres capables de « briser même les plus fortes machines ».

Ce texte est intéressant avant tout parce qu’il nous montre un glissement sémantique spécifique à l’artillerie romaine et l’héritage qu’il a laissé dans notre vocabulaire actuel.

Ainsi, de nos jours, une catapulte dans l’esprit du plus grand nombre est une grosse machine projetant des boulets alors qu’un lanceur de traits, de dimensions plus modestes est assimilé à une grosse arbalète.

Des machines propres à la défense des murs.

« Les assiégés opposent machine à machine, en se servant de balistes, de catapultes, de scorpions, d’arbalètes, et de différentes sortes de frondes.
La baliste est une machine qui se bande par des cordes ou de lin ou de boyaux ; plus on donne de longueur à ses bras, plus elle lance loin les javelots. Lorsqu’on la construit suivant les règles de la mécanique, et qu’on en confie le service à gens d’expérience qui en aient bien mesuré la portée avant que de l’employer, elle pénètre tout ce qu’elle frappe.
La catapulte sert à lancer des pierres, dont on détermine la pesanteur suivant la longueur et la grosseur des cordes. De toutes les machines de trait, ces deux-ci sont les plus meurtrières, surtout la catapulte. Si on la charge d’aussi grosses pierres qu’elle en peut lancer, elle écrase hommes et chevaux, elle brise même les plus fortes machines avec une impétuosité semblable à celle de la foudre.
Ce que nous appelons actuellement arbalète s’appelait autrefois scorpion, parce que, malgré la finesse et la légèreté des traits qu’elle lancait, elle ne laisse pas d’être très meurtrière. La description des diverses sortes d’arbalètes serait inutile, l’usage qu’on en fait aujourd’hui les mettant sous les yeux de tout le monde. »(Végèce, De l’art militaire,   livre IV, XXII)

Enfin, on ne peut passer sous silence ce texte de Procope de Césarée qui, même s’il déborde sur la période byzantine (6ème siècle p.C.) nous apporte des renseignements intéressants :

«Les Goths apprêtèrent aussi une grande quantité de fascines, afin de combler les fossés, et d’approcher les machines des murailles. Cela fait, ils brûlaient d’envie, de commencer l’attaque. Bélisaire préparait de son côté des machines, que l’on nomme des balistes. Elles sont de la même figure qu’un arc, au dessus duquel est une corne creuse, suspendue avec une chaîne de fer, et appuyée sur une barre. Quand on s’en veut servir, on approche les deux extrémités de l’arc, par le moyen d’un noeud que l’on y fait, et on met dans le creux de la corne une flèche, qui est plus courte que les flèches ordinaires, mais qui est quatre fois plus grosse, et qui au lieu de plumes, a de petits morceaux de bois, qui ont presque la même forme. Enfin, après que l’on y a mis une pointe de fer, proportionnée à la grosseur du bois, plusieurs hommes bandent des deux côtés, des cordes avec des machines qui font partir de la corne la flèche qui est dedans, avec une telle impétuosité, qu’elle surpasse, du double l’effet des flèches ordinaires, et qu’il n’y a point d’arbre, ni de pierre qu’elle ne mette en pièces. On lui a donné le nom de baliste, à cause qu’elle a la force de lancer des flèches, à une distance fort éloignée. Les assiégés mirent aussi sur les murailles des instruments propres à jeter des pierres, lesquels on appelle des onagres, et qui sont semblables à des frondes. » (Procope, histoire de la guerre contre les goths livre I, XXI, 3)

L’utilisation de balistes et d’onagres est toujours d’actualité dans l’armée byzantine au 6ème siècle, les balistes projettent des traits dont on découvre les dimensions et la nature de l’empennage mais leur description étonne surtout avec cette corne creuse, suspendue avec une chaîne de fer, et appuyé sur une barre qui ne ressemble en rien avec ce que l’on connaît par ailleurs sur les balistes. La description des onagres est quant à elle assez laconique et correspond davantage à ce que l’on sait.

 

Performances et dégâts causés par les machines de jet

Nous abordons ici un thème fréquemment évoqué par les auteurs antiques : si les performances mesurables sont rarement mises en avant, les effets de ces terribles machines sur les fortifications comme sur les humains semblent avoir particulièrement marqué les historiens et cela quelles que soient les époques.

Les tirs de scorpions et de chirobalistes

Voici un texte évoquant un événement survenu lors de la 2ème guerre punique pendant le siège de Locre par Scipion en 205 a.C. On prend conscience de la dangerosité des tirs de scorpion et de la nécessité de s’en protéger en restant hors de portée.

« En s’approchant des remparts, ayant vu frapper par un projectile de scorpion un de ses officiers qui se trouvait par hasard le plus près de lui, effrayé par un accident si dangereux, il (Scipion) fait sonner la retraite, et fortifie un camp hors de portée des traits. » (Tite Live, XXIX, 7, 6)

César, lors du siège d’Avaricum (Bourges) en 52 a.C. nous raconte avec une froide précision l’incroyable efficacité des tirs de scorpion dont il semble presque impossible de se prémunir :

« Il y avait devant une porte un Gaulois qui jetait vers la tour en feu des boules de suif et de poix qu’on lui passait de main en main ; un trait parti d’un scorpion lui perça le flanc droit et il tomba sans connaissance. Un de ses voisins, enjambant son corps le remplaça dans sa besogne ; il tomba de même, frappé à son tour par le scorpion ; un troisième lui succéda, et au troisième un quatrième ; et le poste ne cessa d’être occupé par des combattants jusqu’au moment où, l’incendie ayant été éteint et repoussé sur tout le front de bataille, le combat prit fin. » (Jules César, guerre des Gaules, VII, 26)

Laissons pour une fois, la parole à un poète : Lucain qui dans la seule de ses œuvres qui nous soit parvenue, la Pharsale évoque dans ce court extrait les dégâts considérables que provoquent l’artillerie :

« Mais tout à coup, du haut de ces tours mouvantes, tombe sur eux une grêle de dards. De leur côté, volent sur les Romains des traits plus terribles encore ; car ce n’est point à force de bras que leurs javelots sont lancés : décochés par le ressort de la baliste, ils partent avec la rapidité de la foudre, et au lieu de s’arrêter dans la plaie, ils s’ouvrent une large voie à travers l’armure et les os fracassés, y laissent la mort et volent au-delà avec la force de la donner encore. » (Lucain, La Pharsale, Livre III)

Dans « la guerre des Juifs », Flavius Josèphe, s’il est fort disert sur les dégâts causés par les lanceurs de boulets est beaucoup plus discret sur les méfaits commis par les scorpions qu’il nomme oxybèles et catapultes et précise que

« dans leur violence ils transperçaient plusieurs hommes d’un seul coup » (Flavius Josèphe, guerre des Juifs, III, 243).

A une époque plus tardive, les scorpions furent remplacés par des balistes à flèches toutes aussi performantes comme le soulignent ces deux textes d’Ammien Marcellin et de Procope de Césarée :

Lors du siège d’Amida (Mésopotamie) en 359, Ammien Marcellin raconte :

«  Le roi des Chionites Grumbatès s’avançait vers les remparts (…) ; mais, ayant remarqué qu’il arrivait déjà presque à portée de trait, un pointeur très adroit actionna sa baliste et atteignit son fils, adolescent de la première jeunesse, qui ne quittait pas le côté de son père, lui transperça la cuirasse et la poitrine et vida de son cheval ce jeune homme que sa taille et sa beauté mettait au dessus de ses compagnons. » (Ammien Marcellin, Hist. XIX, 1)

Quelques siècles plus tard, lors d’un siège, celui de Rome par les Goths, Procope de Césarée met en avant la puissance destructrice et l’effet psychologique que produit un tir de baliste à flèches sur les assiégeants :

«  Il y avait vers la porte Salaria un fort brave homme, et fort célèbre parmi les Goths, qui au lieu de se tenir dans le rang des autres, était debout proche d’un arbre, armé d’un casque, et d’une cuirasse, d’où il tirait incessamment sur les murailles. Il fut par hasard atteint d’un trait, poussé par une machine qui était du côté gauche au haut d’une tour, percé de part en part avec sa cuirasse, et attaché à l’arbre. Les Goths épouvantés d’un accident si extraordinaire, se mirent hors de la portée du trait, et cessèrent d’incommoder les assiégés. » (Procope, histoire de la guerre contre les Goths livre 1, XXIII, 2)

Concernant la portée des lanceurs de traits, la seule occurrence connue provient de l’ingénieur grec Athénée le mécanicien qui cite comme

«  exceptionnelle la machine palintone construite par Agesistrate, qui portait à 4 stades((740m)), un trait de 4 coudées((1,33m)) ».

Pour en savoir plus, nous sommes obligés de nous éloigner un peu des textes antiques pour nous tourner vers le monde de la reconstitution : la restitution la plus performante de ce genre de machine est l’œuvre d’un officier d’artillerie du second empire Verchère de Reffye qui construisit d’après les traités d’Héron et de Philon une oxybèle qui projetaient un trait de 1,30m de long pesant 85 grammes à 310m, c’est-à-dire à moins de 2 stades. La plupart des historiens modernes qui se sont penchés sur la question estiment que la portée maximale (en tir parabolique) des scorpions devait se situer en 400 et 500m.

scorpion verchere de reffye
Illustration du scorpion construit par Verchère de Reffye.

Tirs de balistes et d’onagre

Ce court passage d’Appien évoque le combat opposant un général de Mithridate, Archélaos au grand Sylla. Il a pour intérêt principal de nous montrer que l’art de la mitraille existait déjà dans la période antique et que les frondeurs n’étaient pas les seuls à projeter des balles de plomb.

« Archélaos plaça une autre grande tour sur le mur vis-à-vis de la tour romaine, et ces deux tours se combattaient, lançant sans arrêt toutes sortes de traits jusqu’à ce que Sylla, grâce à ses catapultes qui lançaient vingt balles de plomb très lourdes à chaque fois, ne tuât un grand nombre d’ennemis et ne fît vaciller la tour d’Archélaos qu’il rendit instable, et Archélaos fut obligé, par crainte de son écroulement, de la retirer rapidement en arrière. » (Appien, Mithridatique, 34)

Voici la deuxième partie du texte de Lucain sur les dégâts causés par l’artillerie et qui concerne cette fois les lanceurs de pierres.

« Cette machine formidable lance des pierres d’un poids énorme, et qui, pareilles à des rochers déracinés par le temps et détachés par un orage, brisent tout ce qu’elles rencontrent. C’est peu d’écraser les corps sous leur chute, elles en dispersent au loin les membres ensanglantés. » (Lucain, La Pharsale, Livre III)

Il est intéressant de mettre en parallèle ce court passage à la comparaison « poétique » avec le texte plus explicite encore de Flavius Josèphe qui ne nous épargne pas les détails les plus sanglants dignes des pires films d’horreurs dont sont friands un grand nombre d’adolescents…

« […] les pierres lancées par l’engin avec un bruit strident emportaient les merlons et ébréchaient les angles des tours. Il n’est pas en effet, de file d’hommes si ferme qu’elle ne puisse être renversée jusqu’au dernier rang par la force et la masse de cette pierre. On se ferait une idée de la puissance de cette machine d’après ce qui se produisit cette nuit-là. Un des soldats qui se tenait près de Joseph sur le rempart atteint par cet engin, eut la tête arrachée par la pierre et son crâne fut projeté, comme par une fronde, à trois stades((env. 530m)). Quand il fit jour, une femme enceinte fut atteinte au ventre au moment où elle venait de sortir de sa maison : le coup expulsa à un demi stade((près de 90m)) l’enfant qu’elle portait. Telle était la puissance de ce pierrier. Plus effrayant que les machines elles-mêmes était leur grincement et plus effrayant que les projectiles le bruit de leur impact. » (Flavius Josèphe, guerre des Juifs, III, 243-247)

Dans le même ouvrage, l’auteur nous fournit une indication très précieuse sur la portée des lanceurs de pierre lors du siège de Jérusalem par la Xe légion en 69 P.C.

«  Pour admirable que fut la construction des machines de toutes les légions, celles de la dixième légion les surpassaient : ses oxybèles étaient plus puissants et ses pierriers d’un modèle plus grand ; ces engins permettaient non seulement d’atteindre ceux qui tentaient une sortie, mais aussi d’écarter ceux qui étaient postés sur le rempart. Les pierres qu’ils lançaient, en effet pesaient un talent((env. 26kg)), avec une portée de deux stades et plus((plus de 350m)) […] »

D’après la table des proportions du traité d’artillerie de Philon, une machine projetant un boulet d’un talent devait avoir des dimensions voisines de 7,60m en projection horizontale et 7m de hauteur.

 

L’utilisation de projectiles enflammés

Curieusement les textes sont assez rares sur le sujet et Tacite est notre source unique.

Le premier texte extrait des Annales peut être daté de la fin 19 ou au tout début de 20 p.C. Il évoque les différents projectiles utilisés dont des torches enflammées lancées par des machines lors de la prise de la forteresse de Celenderis en Cilicie :

«  Alors Sentius fait sonner les clairons et les trompettes, ordonne qu’on marche au rempart, qu’on dresse les échelles, que les plus résolus montent à l’assaut, tandis que d’autres, avec les machines, lanceront des traits, des pierres, des torches enflammées. » (Tacite, Annales, II, 81)

 Le second texte est extrait des Histoires, il raconte une tentative infructueuse des hordes germaines de prendre d’assaut un camp romain et qui se retrouvent à leur tour assiégés de feux produits par les javelines enflammées :

« Ces barbares n’ont aucune industrie : les transfuges et les prisonniers leur apprenaient à construire en charpente une espèce de pont, qu’ils plaçaient sur des roues et poussaient en avant, afin que les uns, debout sur le plancher, combattissent comme du haut d’une terrasse, tandis que les autres, à l’abri par-dessous, saperaient les murailles. Mais les pierres lancées avec la baliste renversèrent ces informes constructions. A mesure qu’ils voulaient établir des claies et des mantelets, nos machines leur envoyaient des javelines enflammées, et les assiégeants étaient eux-mêmes assiégés de feux. » (Tacite, Histoires, IV, 23)

Comment se protéger des tirs d’artillerie ?

Nous allons voir dans les textes suivants par quels procédés aussi divers qu’astucieux il était possible de se protéger au moins partiellement des dégâts terribles que pouvait causer l’artillerie névrobalistique :

«  Cependant comme ceux-ci, gens de mer et industrieux, avaient dans leur ville un grand nombre d’hommes pleins d’inventions et de ressources, les défenses n’étaient ni moins singulières, ni moins variées que les attaques. Ils imaginèrent contre les traits des espèces de grandes roues traversées en dedans de bâtons posés en tout sens : de sorte que les mettant en mouvement par un poids, ou ils brisaient les traits, ou ils en détournaient le coup, ou enfin ils en ôtaient toute la force. A l’égard des pierres, ils les recevaient sur des toiles épaisses, ou doublées, ou matelassées, au bas desquelles elles tombaient sans aucun effet. Les Tyriens de leur côté tiraient un grand secours de leurs machines et de leur adresse à les employer. » (Diodore de Sicile, Histoire Universelle, livre XVII, VII, 43 extraits)

«  Alexandre faisant aussi ajouter des machines à lancer des pierres à celles qui lançaient des traits, continuait de battre et de ruiner les murs de la ville, pendant que les traits continuaient de nettoyer les remparts et les tours de leurs défenseurs. Les Tyriens de leur côté faisant tourner sans cesse des roues de marbre posées en travers, rendaient souvent ces traits inutiles et les écartaient à droite et à gauche, ou bien ils les recevaient sur des cuirs doublés, qui en amortissaient le coup. » (Diodore de Sicile, Histoire Universelle, livre XVII, VII, 45 extraits)

 Ces deux passages de l’historien grec Diodore de Sicile nous expliquent comment les Tyriens assiégés par l’armée d’Alexandre le Grand (332 a.C.) cherchaient à se protéger des machines de jet macédoniennes par des sortes d’énormes matelas qui amortissaient l’impact des boulets de pierre les rendant ainsi quasi inoffensifs ou, plus original et incontestablement plus spectaculaire, par d’énormes roues de marbre qui en tournant déviaient les flèches : si le principe de fonctionnement est clairement décrit par Diodore, les dimensions de ces roues nous sont inconnues, l’auteur se contente d’”espèce de grandes roues.”

D’assiégés à assiégeants, César nous explique avec détails comment, lors du siège de Massilia (49 a.C.) ses légionnaires renforcèrent une tour grâce à divers matériaux pouvant les protéger contre le feu et le tir de l’artillerie ennemie.

«  Les légionnaires, qui travaillaient aux ouvrages de la droite, remarquèrent qu’une tour de briques élevée au pied de la muraille pourrait leur être d’un grand secours contre les fréquentes sorties des ennemis. […]Ils choisirent ces poutres un peu longues et dépassant un peu le mur, afin qu’on pût y attacher de quoi mettre à couvert les ouvriers occupés à la construction de la muraille; ils couvrirent ce plancher de briques et de mortier pour qu’il fût à l’épreuve du feu, et jetèrent par-dessus de grosses couvertures, de peur que le plancher ne fût brisé par les traits des machines, ou que les briques ne fussent détachées par les pierres que les catapultes lanceraient. Après cela ils formèrent trois nattes avec des câbles servant aux ancres des vaisseaux, de la longueur des murs de la tour et d’une largeur de quatre pieds, et les attachèrent aux extrémités saillantes des poutres, des trois côtés du mur qui faisaient face à l’ennemi: les soldats avaient éprouvé ailleurs que ce rempart était le seul qui fût impénétrable aux traits et aux machines.[…] C’est ainsi que, sans s’exposer à aucune blessure, à aucun danger, ils construisirent six étages. On avait eu soin d’y ménager des ouvertures dans les endroits convenables pour le service des machines. » (Jules César, guerres civiles, II, 2, 8-9)

Quelquefois, la meilleure protection reste l’attaque : se protéger des tirs ennemis, c’est bien, neutraliser ces tirs, c’est mieux ! Voici un passage de Tacite qui narre l’exploit d’un « commando suicide » lors de la bataille de Crémone (69 p.C.) afin de réduire au silence une énorme baliste ennemie en détruisant les cordages servant aux ressorts de torsion. Un procédé que l’on retrouvera des siècles plus tard avec l’enclouage des canons adverses.

«  Pour raffermir ses lignes ébranlées, Antonius fit avancer les prétoriens. Arrivés en présence, ils repoussent l’ennemi, puis en sont repoussés. Les Vitelliens avaient réuni toutes leurs machines sur le milieu de la route, afin qu’elles battissent librement et à découvert ; car auparavant leurs coups dispersés allaient se briser contre les arbres, sans nuire à l’ennemi. Une baliste d’une grandeur extraordinaire, appartenant à la quinzième légion, écrasait les Flaviens avec d’énormes pierres. Elle eût fait dans leurs rangs un vaste carnage, sans l’action mémorable qu’osèrent deux soldats. Ils ramassent les boucliers sur le champ de bataille et vont, sans être reconnus, couper les cordes qui servaient au jeu de la machine. Ils furent percés à l’instant, et leurs noms ont péri ; quant au fait, on ne le révoque pas en doute. » (Tacite, Histoires, III, 23)

 

L’artillerie entre les mains des ennemis de Rome

L’empire romain, à son apogée était le seul à véritablement disposer d’une artillerie complète avec des ingénieurs qualifiés et des artilleurs compétents et entraînés. Il arriva exceptionnellement que les légions romaines se retrouvent face à des machines de jet romaines, prises de guerre et que les ennemis de Rome utilisèrent avec plus ou moins de bonheur.
Dans sa guerre des juifs, Flavius Josèphe nous explique que, au moins dans un premier temps, ces prises de guerre ne constituèrent pas une grande aide pour les juifs :

« Simon (…) installa son artillerie sur le rempart, tant les machines naguère enlevées à Cestius que celles qu’il avait prises en capturant la garnison de l’Antonia. Mais c’était pour la plupart d’entre eux une acquisition inutile, faute de savoir s’en servir ; si quelques-uns instruits par les transfuges, se servaient des machines, c’était maladroitement. » (Flavius Josèphe, guerre des Juifs, V, 267-268)

Si cette technologie était étrangère à beaucoup d’ennemis de Rome, ces derniers, avec du temps et de l’opiniâtreté parvinrent à la maîtriser au moins dans son utilisation sur un champ de bataille ou lors d’un siège :

« Les juifs (…) étaient maintenant complètement formés au maniement des machines, la pratique quotidienne ayant peu à peu développé leur habileté. Or, ils disposaient de trois cents oxybèles et de quarante pierriers, grâce auxquels ils rendaient le travail des terrassements difficile pour les romains. » (Flavius Josèphe, guerre des Juifs, V, 359)

Dion Cassius dans son histoire romaine nous rapporte que lors des guerres daciques, l’empereur Trajan récupéra des balistes et autres machines de jet ainsi que des « machinistes » que les Daces avaient capturés une quinzaine d’années plus tôt après avoir tué le général romain Fuscus et détruit la légion V Alaudae :

« Trajan s’empara de montagnes fortifiées, et il y trouva les armes, les balistes, les captifs et l’enseigne prise sur Fuscus. Aussi Décébale, surtout lorsque, dans le même temps, Maximus eut pris sa soeur et une place forte, se montra-t-il disposé à traiter à n’importe quelle condition, non qu’il eut l’intention d’y rester fidèle, mais il voulait respirer un moment. On exigeait de lui, en effet, qu’il livrât les machines, les machinistes, qu’il rendît les transfuges, qu’il démolît ses fortifications, évacuât les territoires conquis, et, de plus, qu’il tînt pour ennemis et pour amis ceux qui le seraient des Romains ». (Dion Cassius, histoire romaine livre LXVIII, 405.)

Ce bas relief exposé au musée de la civilisation romaine à Rome corrobore le texte de Dion Cassius puisqu’on y voit deux daces en train d’utiliser une manubaliste romaine
Ce bas relief exposé au musée de la civilisation romaine à Rome corrobore le texte de Dion Cassius puisqu’on y voit deux daces en train d’utiliser une manubaliste romaine

 

L’artillerie de siège

Nous terminerons cette revue de textes historiques sur l’artillerie antique par quelques extraits montrant l’artillerie en action lors des sièges et des batailles en rase campagne.

Le siège de Tyr par Alexandre en 332 a.C. déjà abordé dans le chapitre « comment se protéger des tirs d’artillerie ? » tel qu’il est décrit par Diodore de Sicile, montre comment pouvaient être utilisées les différentes machines de jet aussi bien par les assiégés que par les assaillants :

« Effrayés d’ailleurs de l’augmentation journalière de cette chaussée posée devant leurs murailles, ils (les tyriens) s’avivèrent de charger un grand nombre de petites barques de catapultes et d’autres machines à lancer des traits, accompagnées d’hommes habiles à s’en servir; et voguant autour des ouvriers de la chaussée, ils en tuèrent un assez grand nombre et en blessèrent encore davantage : car tirant sur des hommes désarmés et dont le travail demandait qu’ils fussent fort près les uns des autres, aucun trait ne partait en vain : et les différentes barques des tireurs les prenant par devant et par dernière, ils ne pouvaient se garantir d’un côté sans s’exposer de l’autre. .. Il (Alexandre) répara ensuite les dommages faits à la chaussée et l’approchant de plus en plus des remparts il plaça dessus ses machines. Les unes servaient à battre les murs à coups de pierre et les autres à écarter les assiégés à coups de traits. Les flèches et les frondes étaient également employées à cet usage, et le nombre des blessés augmentait considérablement parmi les Tyriens. » (Diodore de Sicile, Histoire Universelle, livre XVII, VII, 42 extraits)

Cet extrait montre bien comment les Tyriens assiégés procédaient à des sorties avec des scorpions de taille modeste puisque transportés sur des petites barques afin d’accabler de toutes parts les ouvriers qui construisaient une gigantesque chaussée pour accéder aux murailles de l’île de Tyr. De son côté Alexandre utilisa cette chaussée pour placer à portée de tir balistes et scorpions projetant de lourds boulets sur les fortifications et des traits meurtriers sur les assiégés. Ces quelques lignes nous éclairent sur l’importance que pouvait avoir l’artillerie lors d’un siège à la fois pour gêner les assaillants et préparer l’assaut final d’une cité fortifiée.
Le siège de Syracuse 213 a.C. par les Romains tel qu’il est raconté aussi bien par Plutarque que par Polybe met en avant le génie d’Archimède. Si les fameux miroirs sont passés à la postérité, c’est oublier un peu vite que ce génial inventeur avait su faire construire des balistes de dimensions et d’une puissance sans égale comme le montrent les passages ci-dessous :

« Arrivés au pied des murailles, où ils se croyaient bien à couvert, ils furent encore assaillis d’une grêle de traits, ou accablés de pierres, qui tombaient à plomb sur leurs têtes; il n’y avait pas un endroit de la muraille d’où l’on ne tirât sur eux. Ils prirent donc le parti de reculer; mais ils s’étaient à peine éloignés, qu’Archimède fit pleuvoir sur eux, dans leur retraite, une si grande quantité de traits, qu’il leur tua beaucoup de monde et fracassa un grand nombre de leurs vaisseaux, sans qu’ils pussent eux-mêmes faire aucun mal aux ennemis, car Archimède avait dressé la plupart de ses machines à couvert derrière les murailles, et les Romains, accablés de toutes parts, sans voir d’où les coups partaient, semblaient combattre contre les dieux. » (Plutarque, vie de Marcellus, XX et X)

« Tout étant préparé, les Romains se disposaient à attaquer les tours ; mais Archimède avait aussi de son côté construit des machines propres à lancer des traits à quelque distance que ce fût. Les ennemis étaient encore loin de la ville, qu’avec des balistes et des catapultes plus grandes et plus fortement bandées, il les perçait de tant de traits qu’ils ne savaient comment les éviter. Quand les traits passaient au-delà, il en avait de plus petites proportionnées à la distance, ce qui jetait une si grande confusion parmi les Romains, qu’ils ne pouvaient rien entreprendre ; de sorte que Marcellus, ne sachant quel parti prendre, fut obligé de faire avancer sans bruit ses galères pendant la nuit. » (Polybe, Archimède, livre VIII, V)

Selon l’ingénieur Philon de Byzance, Archimède fit construire huit balistes capables de projeter des boulets de trois talents((env. 80 kg)) à plus d’un stade((env. 185m)). Or, dans son traité d’artillerie, Philon nous donne une table de construction des machines de jet en fonction du poids du projectile. Cette table va jusqu’à trois talents ce qui nous donne des balistes de 9m 35 de haut soit la hauteur de trois étages d’immeuble ! Les dimensions de ces machines étaient telles qu’elles ne pouvaient être installées sur les murailles mais leurs performances permettaient de les positionner à l’intérieur même de l’enceinte syracusaine ce qui les cachait aux yeux des assaillants : hors de portée et hors de vue, l’idéal !

Il existe aussi des utilisations plus tactiques des pièces d’artillerie lors d’un siège : domaine dans lequel Jules César semblait exceller.
Nous avons vu dans le chapitre « Performances et dégâts causés par les machines de jet » que la précision de tir d’un scorpion pouvait rendre une sortie suicidaire, voici un autre extrait qui illustre toujours l’efficacité de ce type de machine lors du siège d’Uxellodunum en 51 a.C.

« S’étant rendu compte des difficultés que rencontrait l’ennemi (pour accéder à la rivière), César posta des archers et des frondeurs, plaça même des machines sur certains points en face des pentes les plus aisées, et ainsi, il empêchait les assiégés d’aller puiser l’eau de la rivière. » (Jules César, guerre des Gaules, VIII, 40)

L’artillerie de campagne

Les textes abordant spécifiquement l’artillerie de campagne sont plus rares. Le plus souvent, ils montrent, au moins pendant les premiers siècles, une utilisation marginale des pièces d’artillerie qui ne semblent être utilisées que pour « donner un coup de main » plutôt que d’être véritablement intégrées dans un plan de bataille.

« Néanmoins tout étant disposé pour le passage, les troupes sous les armes aux bords du fleuve, Alexandre fait jouer les machines : quelques Scythes sont blessés ; un d’entre eux, atteint par un trait terrible qui perce le bouclier et la cuirasse, tombe de cheval ; épouvantés, les autres reculent. » (Arrien, Expéditions d’Alexandre, IV, 1)

Polybe évoque dans les deux passages ci-dessous le transport et l’utilisation des machines de jet mais on remarquera qu’à chaque fois, il ne se répand pas vraiment en informations sur le sujet : tout au plus apprend-t-on que l’artillerie venait après les soldats transportée par des bêtes de somme. Le deuxième texte est plus intéressant : pendant la bataille, les catapultes étaient disposées avec circonspection dans le but d’accabler les soldats ennemis mais l’ennemi tint compte de cela et adapta sa stratégie en conséquence.

« Il((Machanidas)) se dirigea vers Mantinée ; il conduisait en personne, à l’aile droite, la phalange; ses mercenaires, qui bordaient les deux flancs de l’avant-garde, marchaient sur une ligne parallèle ; après eux venaient les bêtes de somme chargées d’une foule de machines et de traits à catapulte. » (Polybe, histoire générale, livre XI, 11)

« Machanidas, d’abord par ses manœuvres, fit mine de vouloir attaquer, en élevant sa phalange sur une longue ligne, l’aile droite des Achéens; mais, après avoir fait quelques pas et s’être ménagé une place suffisante, il fit faire un à-droite et donna à son aile droite l’étendue de l’aile gauche des Achéens; puis il disposa les catapultes de distance en distance sur le front de l’armée. Philopœmen, qui pénétra son dessein et vit bien qu’il voulait frapper de ces machines les cohortes de la phalange, lui blesser ainsi du monde, et répandre par là le désordre dans toute l’armée, ne lui en laissa pas le temps, et livra résolument le combat, par ses Tarentins, sur le terrain qui entoure le temple de Neptune, et qui, étant plat, est très favorable à la cavalerie. Machanidas, à cette vue, fut forcé d’en faire autant, et de lancer ses mercenaires de Tarente. » (Polybe, histoire générale, livre XI, 12)

Naturellement, le positionnement des pièces d’artillerie sur une hauteur devint vite une nécessité : plus facile à protéger, une meilleure vision du champ de bataille, une portée des traits en tir parabolique plus importante en faisait un terrain de choix comme l’illustre de court passage de la guerre des Gaules :

« Mais comme le marais situé entre les deux camps pouvait retarder la poursuite, à cause de la difficulté du passage, et que de l’autre côté de l’eau, la hauteur touchait presque au camp ennemi, dont elle n’était séparée que par un petit vallon, il jeta des ponts de claies sur le marais, fit passer les légions, et gagna rapidement la hauteur dont la pente servait de rempart des deux côtés. Les légions y montèrent en ordre de bataille, et, parvenues au sommet, s’y déployèrent dans une position d’où les traits lancés par nos machines pouvaient porter sur les rangs ennemis. » (César, Guerre des Gaules, VIII, 4 et 5)

Le positionnement des machines de jet semble être une constante que Végèce aborde dans son traité militaire. Comment une armée se range en bataille, pour que, dans le choc, elle soit invincible.

« …On a formé quelquefois un cinquième rang de machines propres à lancer des pierres ou des javelots, et de soldats destinés à servir ces machines, ou à lancer eux-mêmes différentes armes de traits. » (Végèce, De l’art militaire, Livre III, XIII)

Enfin, la protection de rivages ou de ponts est aussi un cas de figure dans lesquels les machines de jet jouèrent un rôle primordial comme le montrent ces deux passages de Tacite :

Prise de Volande par Corbulon : ((Corbulon contre les parthes 58-64 p.C.))

« Pendant ce temps, Corbulon, qui n’avait pas un moment négligé la rive de l’Euphrate, la garnit de postes plus rapprochés que jamais ; et, afin que les bandes ennemies, qui déjà voltigeaient avec un appareil redoutable dans la plaine opposée, ne pussent l’empêcher de jeter un pont, il fait avancer sur le fleuve de très grands bateaux, liés ensemble avec des poutres et surmontés de tours. De là, il repousse les barbares au moyen de balistes et de catapultes, d’où les pierres et les javelines volaient à une distance que ne pouvait égaler la portée de leurs flèches. » (Tacite, Annales, XV, 9)

Les partisans d’Othon et ceux de Vitellius se rassemblent de part et d’autre d’un pont de bateaux sur le Pô :

« L’entrée du pont était fermée par une tour qu’on avait poussée du rivage sur le dernier bateau, et d’où des catapultes et des balistes serviraient à repousser l’ennemi. De leur côté, les othoniens avaient élevé une tour sur la rive d’où ils lançaient des pierres et des brandons. » (Tacite, Histoires, II, 34)

 

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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