La musique militaire romaine

Par • Publié dans : Armée romaine

Nous connaissons tous les légions romaines. Outil militaire par excellence qui a permis de conquérir le monde et de défendre les frontières de l’empire jusqu’à l’aube du Vème siècle après JC. Mais passé cette représentation finalement vague, souvent imprégnée d’images hollywoodiennes, que savons-nous vraiment de ces soldats et de leur organisation ? Comment les légionnaires vivaient, étaient commandés, et a fortiori sur un champ de bataille comment les ordres étaient transmis ? A l’heure d’internet et des radiocommunications, le fait de transmettre un message nous semble trivial, mais il en était autrement pendant l’antiquité. Ce rôle était échu aux musiciens des légions.

Cornicen
Cornicen

En effet, la musique dans l’armée romaine était essentielle comme outil de communication, d’ailleurs, le son des cuivres symbolisait le monde militaire aux yeux des contemporains. A tel point qu’Ovide évoquant l’âge d’or mythique des temps anciens, où la concorde et la paix régnaient, insistait sur le fait qu’à cette époque les sonorités rauques des trompettes n’avait pas leur place :

« NON TUBA DIRECTI, NON AERIS CORNUA FLEXI , point de cors recourbés pour faire résonner le bronze. Sans avoir besoin de soldats, les nations passaient au sein de la paix une vie de doux loisirs. » (Ovide , Met., I, p98)

Contrairement aux idées reçues, l’épigraphie, l’archéologie, et les auteurs classiques sont formels, seuls les cuivres résonnaient dans la musique militaire romaine, aucune percussion. A ce titre, il existait trois types de musiciens aux fonctions bien précises, nommés selon leur instrument.

Les cornicen

Les cornicen, jouaient du cornu, trompette recourbée à la sonorité proche du cor de chasse actuel. Leur rôle était de diriger les signa (enseignes) des cohortes selon les consignes du légat (général) sur le champ de bataille (Tacite, An. I, 28, 3). Ils avaient donc un rôle tactique indispensable, chaque manoeuvre était associée à une mélodie connue de tous. Elles étaient jouées à chaque exercitatio, c’est-à-dire à l’entraînement quotidien des légionnaires pour éduquer leur oreille à reconnaître les ordres musicaux. Au nombre de 36 par légion, les cornicen étaient répartis dans les cohortes et auprès de l’état-major.

Les tubicen

Les tibicen, joueurs de tuba, longue trompette droite pouvant mesurer jusqu’à 1,20 m d’un son plus clair, avaient pour tâche d’annoncer le début des hostilités et l’éventuelle retraite (Frontin, Strat., I,1,13; Flavius Josèphe, G.J. III,5,3).

Un joueur de tuba, le tubicen
Un joueur de tuba, le tubicen
Reconstitution de tuba
Reconstitution de tuba

On peut juger de leur importance par un fait qui nous est parvenu grâce au livre écrit par Caius Iulius Caesar (Jules César) sur la guerre des gaules. En 52 av JC, pendant la bataille de Gergovie, 700 légionnaires périrent pour ne pas avoir perçu l’ordre de retraite annoncé par les tubicen. La topologie du terrain était telle, qu’une colline empêchait la propagation des sons vers la ligne de front. Cet événement montre aussi les limites du système, aucun ordre ne pouvait être transmis hors de portée des instruments. Dans la vie au camp, le règlement militaire romain le stipulait, tout soldat se trouvant en dehors de portée du son des trompettes sans autorisation se rendait coupable de désertion. De ce fait, celle-ci étaient fabriquées non pour leurs qualités musicales, d’ailleurs relativement médiocre, mais pour leur puissance. Les Tibicen étaient quant à eux 39 par légion.

Le buccinator

Enfin, le buccinator, ou joueur de buccin, trompette relativement courte dont le rôle reste encore incertain. Il semblerait, selon Végèce (Végèce, II, 22) auteur de la fin de l’empire romain, que le buccin était utilisé par les cornicen ou tubicen en plus de leur instrument.

Etre musicien dans l’armée

Ainsi organisés, dans le tumulte des armes, cornicen et tibicen jouaient de concert pour faire effectuer des manœuvres précises. Ils étaient, avec la discipline, l’un des piliers de l’armée romaine en ordre de bataille. On comprend bien que la transmission des ordres par signaux musicaux complexes ne pouvait être efficace qu’en la présence d’un véritable code, permettant à chacun de saisir le sens des notes attendues. Cependant ce code ne nous est pas parvenu, au même titre que la musique « civile » qui ne nous a laissé que quelques bribes de partitions récemment décryptées par Anne Bélis (CNRS/ENS). Les mélodies antiques nous resteront, sauf découverte archéologique, peut-être à jamais inconnues.

Poste à responsabilités, être musicien dans la légion romaine, c’était occuper une place de choix au sein de la hiérarchie militaire. Ils pouvaient prétendre à une double (duplicarius) ou triple (triplicarius) solde en fonction de leur ancienneté. Leur grade de principalis les exemptait des corvées (immunis) et leur donnait un statut privilégié par rapport à la soldatesque. Pour souligner encore leur différence, ils avaient l’honneur de parader en tête de colonne, devant ou au niveau des enseignes, lorsque la légion se déplaçait ou se présentait devant l’empereur.

Détail de la colonne trajane
Détail de la colonne trajane

Cependant les carrières ne semblent pas avoir été fulgurantes ; qui rentre musicien, quitte musicien la légion. Et même si une hiérarchie interne fut mise en place, les postes de musicien au côté du légat étant plus prestigieux que les postes de musicien de la première cohorte, et ceux de la première cohorte plus prestigieux que ceux de la deuxième et cela jusqu’à la dixième, les seules évolutions consistaient en l’amélioration de la solde avec le temps de service.

En dehors du champ de bataille, les musiciens rythmaient la vie du légionnaire, par des sonneries appelant à la relève de la garde ou encore au réveil et au rassemblement dont les armées modernes ont conservé l’antique tradition. Il n’était pas rare que des cornicen ou des tubicen se rassemblent en collèges de musiciens. Et on peut imaginer autour des feux de camp, le temps d’une pause, des légionnaires écouter quelques hymnes «à la mode».

Tubicen et cornicen sur la colonne trajane
Tubicen et cornicen sur la colonne trajane

Enfin, dernière fonction qui avait une importance toute particulière dans le monde romain, le rôle lors des cérémonies religieuses. De nombreuses gravures montrent des scènes de suevotauriles, où l’empereur sacrifiait un taureau, un cochon et un bélier à Jupiter, entouré alors par plusieurs cornicen et tibicen, preuve en est de l’importance de la musique dans les rites sacrificiels romains.

La musique dans l’armée romaine avait donc toute sa place, aussi bien sur le front que dans la vie courante. On ne commençait la bataille que sur ordre des tubicen, et les manoeuvres ne pouvaient avoir lieu que grâce aux mélodies du cornicen. Charnière tactique indispensable au commandement romain, les musiciens occupaient une place enviable dans la hiérarchie militaire. La bataille pouvait être perdue s’ils se trompaient ou venaient à être tué. Dans une civilisation du paraître, la place d’honneur qui leur fut réservée montre à quel point ils surent se rendre indispensables en tant qu’ « officiers transmetteurs de l’antiquité ».

Textes : Rodolphe Lacroix
illustrations : Jori Avlis

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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