De la VIII césarienne à la VIII Augusta
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Armée romaine
Pouvons-nous retrouver dans les textes antiques les preuves d’une filiation entre la VIIIe légion de l’exercitus césarien et la VIIIe légion Augusta ?
1 – Le taureau, un emblème spécifique de la VIIIe légion ?
A cause de son emblème, le taureau, de nombreux auteurs((Ritterling, Von Domaszewski (1892), Scmtthenner (1958), Keppie (1984), Watisse (2001).)) font remonter la VIIIe Augusta à l’ancienne VIIIe de César.
Ainsi formulée, cette hypothèse soulève deux questions :
- Quel était l’emblème de la VIII césarienne ?
- Quel était l’emblème de la VIII Augusta ?
Les III Gallica, IIII Macedonica, VII Claudia, VIII Augusta, X Gemina, qui servirent César possèdent toutes la même enseigne, un Taureau((Keppie, 1984, p. 139.)).
Le taureau apparait comme un emblème zodiacal associé au cortège de Vénus genitrix((Chevalier, Gheerbrannt, 1982, pp. 929-934)). César prétendait descendre de cette déesse par l’intermédiaire d’Énée et se son fils Iule, le premier représentant de la gens Iulia. Ainsi, le Taureau distinguerait et honorerait les légions de son armée. Un tout petit nombre d’occurrences permet d’associer le taureau à la VIIIe Augusta :
- Le grand umbo rectangulaire de scutum perdu par le légionnaire Junius Dubitatus (Fig. 1) dans l’estuaire de la Tyne, présente le taureau associé à la lune. Cette alliance se retrouve dans de nombreuses religions, ainsi en Égypte le taureau figure le dieu lunaire Osiris, en Mésopotamie il représente le dieu lunaire Sin, en Perse la lune conserve la semence du taureau…
- Les monnayages de Gallien (Fig. 2, RIC 352, 353, 354) et de Carausius (fig. 3, RIC 77). La VIII se trouve associée au bélier (RIC 78, 79) sur les Antoniniani de Carausius frappé dans l’atelier de Londres.
- Les autels votifs des bénéficiaires Lucius Pompeius Gratinus (fig. 4, daté de 179) à Jagsthausen-Olnhausen, et Caius Julius Servandus à Obernburg (Fig. 5, daté de 206) s’ornent de protomés de taureaux. Ces symboles peuvent évoquer l’emblème de la VIII Augusta ou référer au culte de Mithra.
Le symbole du taureau évoque donc la légende césarienne et semble glorifier les légions de César. Il ne peut, à lui seul, permettre de lier avec certitude la VIII Gallica et la VIIIe Augusta.
2 – Les témoignages des auteurs antiques :
La deuxième philippique de Cicéron nous apprend que César déduisit ses veterani à Casilinum, près de Capoue((Cicéron, Philippiques, II, 40, 102)) puis que Marc Antoine y effectua une deuxième déduction d’où les invectives de Cicéron (fin 44 av. J.-C.).
« Deduxisti coloniam Casilinum, quo Caesar ante deduxerat. Consuluisti me per litteras de Capua tu quidem, sed idem de Casilino respondissem, possesne, ubi colonia esset, eo coloniam nouam iure deducere. Negaui in eam coloniam, quae esset auspicato deducta, dum esset incolumis, coloniam nouam iure deduci; colonos nouos adscribi posse rescripsi. Tu autem insolentia elatus omni auspiciorum iure turbato Casilinum coloniam deduxisti, quo erat paucis annis ante deducta, ut uexillum tolleres, ut aratrum circumduceres; cuius quidem uomere portam Capuae paene perstrinxisti, ut florentis coloniae territorium minueretur.»
« Vous avez conduit une colonie à Casilinum, où César en avait déjà conduit une. A la vérité, vous me consultâtes par lettre sur l’affaire de Capoue; mais je vous aurais fait la même réponse au sujet de Casilinum. Étiez-vous en droit de conduire une colonie dans un lieu où il y en avait déjà une? Je vous dis que, sur un territoire où celle qui y avait été conduite sous d’heureux auspices subsistait encore, on ne pouvait légalement conduire une nouvelle colonie; j’ajoutai qu’on pouvait inscrire de nouveaux habitants au nombre des anciens. Mais vous, gonflé d’insolence, foulant aux pieds le droit des auspices, vous avez dirigé sur Casilinum une colonie où, quelques années auparavant, on en avait conduit une; et cela, pour le plaisir d’arborer le drapeau et de promener la charrue autour de l’enceinte. Vous avez même, avec le soc de cette charrue, presque effleuré la porte de Capoue, afin de diminuer le territoire de cette florissante colonie »
Quatre documents, une lettre de Cicéron et trois textes de Nicolas de Damas, de Velleius Paterculus et d’Appien nous suggèrent une filiation entre la VIIIe césarienne et la VIIIe Augusta.
a) Une lettre de Cicéron à Atticus
Lettre((Cicéron, lettre à Atticus, Livre XVI, 8. Bibliotheca Classica)) qui révèle la démarche osée du jeune Octave (à peine 19-20 ans).
En prévision d’une guerre imminente contre Antoine, Octave se rend en Campanie et, huit mois à peine après l’assassinat de César, réussit à se concilier les vétérans de Casilinum et de Calatia :
« Cum sciam quo die uenturus sim, faciam ut scias. Impedimenta exspectanda sunt quae Anagnia ueniunt et familia aegra est. Kal. Vesperi litterae mihi ab Octauiano. Magna molitur. Veteranos qui sunt Casilini et Calatiae perduxit ad suam sententiam. Nec mirum, quingenos denarios dat. Cogitat reliquas colonias obire. Plane hoc spectat ut se duce bellum geratur cum Antonio. Itaque uideo paucis diebus nos in armis fore. Quem autem sequamur? Vide nomen, uide aetatem. Atque a me postulat primum ut clam conloquatur mecum uel Capuae uel non longe a Capua. Puerile hoc quidem, si id putat clam fieri posse. Docui per litteras id nec opus esse nec fieri posse. Misit ad me Caecinam quendam Volaterranum familiarem suum; qui haec pertulit, Antonium cum legione alaudarum ad urbem pergere, pecunias municipiis imperare, legionem sub signis ducere. Consultabat utrum Romam cum ci-ci-ci ueteranorum proficisceretur an Capuam teneret et Antonium uenientem excluderet an iret ad tris legiones Macedonicas quae iter secundum mare superum faciunt; quas sperat suas esse. Eae congiarium ab Antonio accipere noluerunt, ut hic quidem narrat, et ei conuicium graue fecerunt contionantemque reliquerunt. Quid quaeris? Ducem se profitetur nec nos sibi putat deesse oportere. Equidem suasi ut Romam pergeret. Videtur enim mihi et plebeculam urbanam et, si fidem fecerit, etiam bonos uiros secum habiturus. O Brute, ubi es? Quantam geukairian amittis! non equidem hoc diuinaui sed aliquid tale putaui fore. Nunc tuum consilium exquiro. Romamne uenio an hic maneo an Arpinum (g-asphaleian habet is locus) fugiam? Romam, ne desideremur si quid actum uidebitur. Hoc igitur explica. Numquam in maiore g-aporia fui. »
Pouzolles, 2 novembre 44, Cicéron à Atticus :
« Aussitôt que je saurai moi-même le jour de mon arrivée, je vous en ferai part. Je suis obligé d’attendre mes équipages qui viennent d’Anagni; de plus mes gens sont malades. J’ai reçu une lettre d’Octave, le soir des calendes.
Il médite de grands projets. Il a su amener à lui tout ce qu’il y a de vétérans à Casilinum et à Calatia; ce n’est pas étonnant. Il leur donne à chacun cinq cents deniers; il se prépare à une tournée dans les autres colonies.
Son but est d’obtenir le commandement dans la guerre contre Antoine.
Ainsi, avant peu de jours, nous serons au milieu de combattants. De quel côté nous mettrons-nous ? Songez au nom ! Songez à l’âge! Il me demande à avoir en secret un entretien avec moi à Capoue ou dans le voisinage. C’est un enfantillage de croire que notre entrevue puisse demeurer secrète. Je lui ai expliqué par écrit qu’elle ne me paraissait ni nécessaire ni possible. Il m’a envoyé un homme à lui, un certain Cecina de Volterre, pour me dire qu’Antoine se dirige sur Rome avec la légion des Alaudes, levant des impôts sur les villes municipales et marchant avec enseignes. Il demande s’il doit partir pour Rome avec ses trois mille vétérans, ou rester en position à Capoue pour barrer le chemin à Antoine, ou aller au-devant des trois légions de Macédoine qui sont en route le long de la mer Supérieure, et sur lesquelles il compte. Ces légions, suivant Cécina, n’auraient pas voulu des gratifications d’Antoine; elles l’auraient injurié et laissé là au milieu de sa harangue. Que vous dire ? Il se proclame général, et ne suppose pas que nous puissions lui manquer. Je lui ai conseillé de marcher droit sur Rome : mon opinion est qu’il aura en effet pour lui le petit peuple de la ville et même les honnêtes gens, pour peu qu’il sache leur inspirer de confiance. Brutus, où êtes-vous ?
Quelle occasion vous allez perdre ! Je n’ai pas précisément, je l’avoue, deviné ce qui arrive, mais j’avais le pressentiment de quelque chose de semblable. Maintenant soyez mon guide : faut-il que j’aille à Rome, que je reste ici, que je me retire à Arpinum où je serai en lieu sûr ? A Rome, sans doute, pour qu’on n’ait pas à regretter mon absence, en cas d’événement. Décidez : je n’ai jamais été dans une perplexité plus grande. »
b) Nicolas de Damas
Ami d’Auguste, il expose les mêmes faits mais précise l’ordre des évènements allégués par Cicéron :
Octave « entra d’abord en Campanie, emportant une avec lui une somme considérable d’argent. C’était là que se trouvaient les septième et huitième légions… Il fallait sonder les esprits de la VIIe car c’était elle qui avait le plus d’importance… César se rendit à Calatia… César les remercia de leur zèle et les pria pour plus de sûreté de lui servir d’escorte jusqu’aux colonies voisines. Le peuple charmé de sa personne y consentit avec joie et l’accompagna tout armé jusqu’à la seconde colonie…((Piccolos, 1850, Nicolas de Dams, vie d’Auguste, 31, p. 77-81)) ».
c) Velleius Paterculus
Il reprend la même trame historique((Velleius Paterculus, histoire romaine, II, LXI, 2)) avec moins de détails que Nicolas de Damas.
Rome languissait écrasée sous la domination d’Antoine. On voyait chez tous de la colère et de la douleur mais personne n’avait assez de force pour résister. C’est alors que Caïus César à peine âgé de dix-neuf ans fit preuve d’une étonnante audace. Agissant de lui-même il exécuta les plus grandes entreprises et montra dans l’intérêt de l’Etat plus de courage que le sénat.
Il fit d’abord venir de Caillette et peu après de Casilinum les vétérans de son père dont l’exemple fut suivi par d’autres qui se rassemblèrent bientôt en une sorte d’armée régulière.»
d) Appien
Il relate((Appien, B.C. III, 40)) lui aussi l’adhésion massive des « vétérans » des deux légions césariennes à Octave :
« Ὡς δὲ τῷ Καίσαρι ὑπὸ τῶν κρύφα ἀπεσταλμένων ἀπηγγέλθη τὸν ἐν Βρεντεσίῳ στρατὸν καὶ τοὺς ἀπῳκισμένους ἐν ὀργῇ τὸν Ἀντώνιον ἔχειν, ἀμελοῦντα τοῦ Καίσαρος φόνου, καὶ σφᾶς ἐπικουρήσειν, ἂν δύνωνται, ὁ μὲν Ἀντώνιος ἐς τὸ Βρεντέσιον ἐξῄει διὰ τάδε. Δείσας δὲ ὁ Καῖσαρ, μὴ μετὰ τῆς στρατιᾶς ἐπανελθὼν ἀφρούρητον αὑτὸν λάβοι, χρήματα φέρων εἰς Καμπανίαν ᾖει, πείσων τὰς πόλεις οἱ στρατεύεσθαι, τὰς ὑπὸ τοῦ πατρὸς ᾠκισμένας. Καὶ ἔπεισε Καλατίαν πρώτην, ἐπὶ δ ‘ ἐκείνῃ Κασιλῖνον , δύο τάσδε Καπύης ἑκατέρωθεν· ἐπιδοὺς δ’ ἑκάστῳ δραχμὰς πεντακοσίας ἦγεν ἐς μυρίους ἄνδρας, οὔτε ὡπλισμένους ἐντελῶς οὔτε συντεταγμένους πω κατὰ ἴλας, ἀλλ’ ὡς ἐς μόνην τοῦ σώματος φυλακήν, ὑφ’ ἑνὶ σημείῳ. Οἱ δὲ ἐν ἄστει τὸν Ἀντώνιον δεδιότες μετὰ στρατιᾶς ἐπανιόντα, ὡς ἐπύθοντο καὶ τὸν Καίσαρα μεθ’ ἑτέρας προσιέναι, οἱ μὲν διπλασίως ἐδεδοίκεσαν, οἱ δ’ ὡς χρησόμενοι κατ’ Ἀντωνίου Καίσαρι ἠσμένιζον· οἱ δὲ αὐτῶν τὰς ἐν τῷ Καπιτωλίῳ διαλλαγὰς ἑωρακότες ὑπόκρισιν ἐνόμιζον εἶναι τὰ γιγνόμενα καὶ ἀντίδοσιν Ἀντωνίῳ μὲν δυναστείας, Καίσαρι δὲ τῶν φονέων. »
«A ce moment ses émissaires secrets rapportèrent à Octave que l’armée à Brundusium et les colons étaient remontés contre Antoine parce qu’il négligeait de venger le meurtre de César, et qu’ils l’aideraient (Octave) à le faire si on leur en donnait la possibilité. C’est pour cette raison qu’Antoine partit à Brundusium. Et Octave comme il craignit qu’Antoine, revenant avec l’armée, ne l’attaque sans protection, il partit en Campanie avec de l’argent pour enrôler les vétérans qui avaient été installés dans des villes par son père. Il persuada d’abord ceux de Calatia et ensuite ceux de Casilinum, deux villes situées de chaque côté de Capoue, en donnant 500 drachmes à chaque homme. Il rassembla environ 10.000 hommes, pas complètement armés et non rassemblés en cohortes régulières, mais lui servant simplement de gardes du corps sous une seule bannière. »
3 – Conclusions
En croisant les informations tirées de Cicéron, de Nicolas de Damas, de Velleius Paterculus et d’Appien nous pouvons situer les vétérans de la VIIe à Calatia et ceux de la VIIIe césarienne à Casilinum.
Octave réussit donc à persuader les vétérans de ces deux légions de le suivre et de passer par les autres colonies. Il offre à chaque homme un donativum conséquent de 500 deniers, un peu plus de deux années de stipendia((Alston, 1994, pp. 113-123)), soit une dépense globale de 1 500 000 deniers si nous suivons les données de Cicéron.
Il semblerait que César ait déduit en totalité ou tout au moins en grande partie les VIIe et VIIIe en Campanie, ce que semble confirmer Appien en proposant le ralliement de 10 000 hommes à Octave((Appien, B.C. III, 40)), soit un effectif global proche de celui de deux légions.
Cicéron ne chiffre ces « vétérans » qu’à 3000 et, d’après ses écrits, il tiendrait ses informations d’Octave lui-même. Donc plusieurs hypothèses s’offrent à nous:
- Octave dissimule-t-il l’importance des effectifs qui vont rentrer à sa suite, dans Rome, pour rassurer Cicéron, le sénat et la plèbe romaine ?
- Aurait-il laissé une partie de ses effectifs en arrière, en Campanie, pour couper la route d’Antoine qui se rapprocherait dangereusement avec ses légions((Gascou, 1982)) ?
- Les données d’Appien tiennent-elles compte des ralliements successifs, lorsque Octave traverse d’autres colonies ?
- Appien aurait-il quelque peu exagéré((Brunt, 1971, p. 322 et p. 688, n° 4. Cet auteur ne retient que les données de Cicéron et taxe Appien d’exagération.)) ?
Séduits par les discours d’Octave qui évoquent leur fidélité à César, par l’attrait d’un donativum de 500 deniers, poussés par l’inquiétude de voir annulées ou modifiées les dispositions avantageuses prises au moment de leur démobilisation, les « vieux soldats » de la legio VIII Gallica suivent Octave.
Et Cicéron ne manque pas de les louer((Cicéron, Philippiques, discours, XI, XIV.)) :
« Ego autem ueteranos tueri debeo quod iis quos quibus sanitas est, certe timere non debeo..Eos uero ueteranos, qui pro re publica arma ceperunt secutique sunt C- Caesarem, auctorem beneficiorum paternorum, hodieque rem publicam defendunt uitae suae periculo, non tueri solum, sed etiam commodis augere debeo. Qui autem quiescunt, ut septima, ut octaua legio, in magna gloria et laude ponendos puto. »
« Oui, je dois tous égards aux vétérans, quand ils pensent bien, mais je ne dois pas les craindre. Ces vétérans, qui pour la république ont pris les armes, qui ont suivi C. César en souvenir des bienfaits de son père, et qui défendent aujourd’hui la république malgré l’imminence des dangers, non seulement je leur dois des égards, mon devoir est aussi de concourir à augmenter leur bien-être. Ceux qui se tiennent en repos comme la septième et la huitième légion, me paraissent mériter de la considération et des éloges. »
Toutefois nous ne pouvons absolument pas discerner, derrière la propagande des textes, la véritable importance de ce ralliement.
Combien d’hommes de l’ancienne VIIIe choisirent le camp de Marc Antoine, un général d’expérience (plus de 40 ans), un des principaux lieutenants de César, un homme qui les commanda lors du choc décisif de Pharsale ?
Une adhésion totale des vétérans de la VIIIe césarienne à Octave nous semble tout simplement humainement impossible.
La succession des évènements ainsi rapportés par les auteurs antiques suggère bien une continuité entre la VIII de l’armée césarienne et celle de l’armée d’Octave.