Publius Aelius Coeranus

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Légat, circa 212-216 ?

Nous disposons d’un récit de Dion Cassius, d’une seule inscription mentionnant la carrière de Publius Aelius Coeranus et des Actes des Frères Arvales pour redonner vie à ce « personnage ».

Le récit de Dion Cassius(( LXXVII, 5)) ou l’épilogue de l’affaire Plautianus

Septime Sévère marie son fils Caracalla à Publia Fulvia Plautilla, la fille de son ami Caius Fulvius Plautianus. Commandant de la garde prétorienne, Plautien dispose d’une énorme fortune et d’importants pouvoirs. Il aurait projeté d’éliminer Caracalla pour s’emparer de l’Empire et ainsi succéder à Septime Sévère…Trahi, confondu, Plautien est exécuté ( en 205) ce qui permet à Caracalla de se débarrasser, à la fois, d’une femme haïe et d’un beau-père très encombrant ! Un certain Coeranus se trouve, comme beaucoup, plus ou moins compromis dans cette affaire et en danger de mort :

« Septime Sévère, plus tard, convoqua une réunion du sénat dans la Curie, là, cependant, il ne proféra aucune menace contre Plautien mais il déplora la faiblesse de l’âme humaine incapable de supporter de trop grands honneurs. Il se blâma lui-même d’avoir trop aimé ((Les méchantes langues, et il y en a, prétendent que Septime Sévère et Plautianus furent amants. Chris SCARRE, Chronique des Empereurs romains, Histoire chronologique des souverains de la Rome impériale, Casterman, 1995, un ouvrage bien pratique et très clair.)) et honoré cet homme. Puis, il ordonna à ceux qui l’avaient informé du complot de Plautien de tout lui révéler dans les moindres détails mais, d’abord , il chassa de la salle ceux dont la présence ne lui sembla pas nécessaire afin de leur indiquer clairement, par ce renvoi, qu’il ne leur accordait plus aucune confiance.
Beaucoup, en conséquence, mirent leur vie en péril du fait de leurs relations avec Plautien et quelques uns furent vraiment exécutés.
Quant à Coeranus, cependant, il admit qu’il faisait bien partie des intimes de Plautien mais qu’il feignait comme la plupart des hommes quand ils sont confrontés à ceux que la fortune favorise. Et que, chaque fois que les autres sénateurs suspects étaient invités dans sa maison (celle de Plautien donc) il les avait accompagnés jusqu’à la dernière porte, pourtant il nia avoir partagé les secrets de Plautien affirmant qu’il était toujours resté au milieu, donnant à Plautien l’impression qu’il était en dehors de ses plans et à tous ceux qui étaient étrangers à ses projets qu’il était dans la confidence.
A cause de cette attitude, il était considéré avec la plus grande suspicion d’autant plus qu’il y avait une raison supplémentaire. Quand Plautianus avait rêvé que les poissons jaillissaient du Tibre pour se jeter à ses pieds, Coeranus avait déclaré qu’il devait régner à la fois sur la terre et sur l’eau.
Mais cet homme, après avoir été exilé sur une île, sept années durant, fut rappelé plus tard à Rome et devint le premier Egyptien à entrer au Sénat puis devint consul, comme Pompée, sans avoir auparavant rempli d’autre charge » ((Dion Cassius, LXXVII, 5))

Qui est donc ce personnage que Dion Cassius campe en quelques lignes ?
Probablement issu de l’élite cosmopolite d’Alexandrie, Coeranus fait partie des familiers de Septime Sévère, de Plautianus, le commandant de la garde prétorienne et côtoie de nombreux sénateurs. Il accepte naturellement leurs invitations comme celles de Plautianus , entend beaucoup de choses, partage vraisemblablement leurs « petits secrets », et tient des propos imprudents. Dans cette intrigue, réelle ou montée de toutes pièces par Caracalla, il bénéficie d une mesure de clémence relative de la part de Septime Sévère….un empereur dont la mansuétude n’est pas la première qualité ! Septime Sévère se distingue par le refus de toute négociation, sa violence et la férocité de ses représailles ((Septime Sévère, qualifié de « Sylla punique », « purgea » le sénat, en 197, en faisant exécuter 29 sénateurs soupçonnés de sympathie envers Niger et Albinus, ses deux concurrents à l’Empire.)). Exilé puis rappelé, il jouirait d’une nomination au Sénat puis serait élevé au consulat !

Sous Septime Sévère des milliers de requêtes (plus de 1500 par an) affluent de toutes les parties de l’Empire ((Marcel LE GLAY, Yan LE BOHEC, Jean-Louis VOISIN, Histoire romaine, Presses Universitaires de France, 1991. b1, page 379 et page 389.)) et sont traitées par des secrétaires « a libellis ». Coeranus pourrait être un des Chevaliers peuplant les « scrinia » de l’administration impériale, probablement l’un des « a libellis » attachés au jeune Caracalla ((Tony HONORE, Emperors ad Lawyers, Duckworth, Londres, 1981.)).
Dans ce cas, il fréquenterait tout naturellement son épouse, Publia Fulvia et son beau-père, Plautianus, prenant trop de goût à des rencontres, des invitations et des discussions qui s’avéreront « imprudentes ».
A son retour d’exil, une « adlectio inter praetorios » ((La collation du Latus clavus ou adlectio devient, à partir de Claude et de la censure de 48, un nouveau moyen d’entrer au sénat. Ce procédé d’admission consiste à inscrire sur la liste un nouveau sénateur au moment de la révision de l’album sénatorial. Le Prince assigne lors de cette inscription un rang équivalent à celui des anciens questeurs, anciens tribuns ou anciens préteurs.)) de Septime Sévère ou de Caracalla (en 211 ou 212 ?) le propulserait au Sénat lui ouvrant la voie du consulat suffect. Un tel avancement de carrière n’apparaît pas comme une chose exceptionnelle sous la dynastie des Sévères ((Fergus MILLAR, The Greek East and Roman Law; The case of M.Cn. Licinius Rufinus, The Classical Review, Oxford University Press, 1984, pp. 90-108. Ce fut aussi le cas d’Aelius Antipater «ab epistulis Graecis » qui devint gouverneur consulaire sous Septime Sévère ou de Marcus Ulpius Ofellius Theodorus « a libellis » très tôt sous Caracalla qui finit lui aussi gouverneur entre 219 et 222.)) mais pose bien des questions : A Rome, la mode n’est absolument pas à la promotion d’ exilés soupçonnés de complicité dans un projet d’assassinat du Prince!

Une seule inscription commémorative

P(ublio) Aelio Coerano, / co(n)s(ulis), proco(n)s(uli) prov(inciae) Mac(edoniae), / leg(ato) leg(ionis) VIII Aug(ustae), iuridico / per Flaminiam et Umbri/am, praet(ori) urb(ano), trib(uno) pl(ebei), / kand(idato) quaest(ori), IIIIvir(o) iur(e) dic(undo), / frat(ri) Arvali, curat(ori) civit(atum) / Antiatium et Aquinatium, / patrono et flamini Diali Tib(urti), / decuriones Tiburtes.((CIL, XIV, 03586 = InscrIt-04-01, 00099 = D 01158. Latium, Tivoli/Tibur.)) A Publius Aelius Coeranus, consul, proconsul de la province de Macédoine, légat de la légion VIII Augusta, juge pour la Flaminia ((La Flaminia et l’Aemilia correspondent à l’ancienne Gallia Cispadana, c’est à dire à la région VIII d’Auguste.)) et pour l’Ombrie, préteur urbain, tribun de la plèbe, questeur « candidatus », quattuorvir disant le droit, frère Arvale, curateur des cités d’Antium et d’Aquinum, patron et flamine de Jupiter à Tibur, les décurions de Tibur.

Cette dédicace nous rappelle les étapes du « cursus honorum » de Publius Aelius Coeranus qui pourrait être le Coeranus dont nous entretient Dion Cassius.
Nous y trouvons mention d’un tribunat de la Plèbe. Cette fonction (dont les Patriciens sont exemptés) précède normalement la Préture dans la carrière des honneurs ce qui contredit le récit de Dion Cassius mais nous y découvrons les traces évidentes de la faveur des Sévères.

La faveur de Caracalla ?

La mention de « kand(idato) quaest(ori) » soulignerait la première faveur du Prince. Il recommande spécialement Publius Aelius Coeranus au choix des électeurs par la voie d’un message au Sénat. Ainsi patronné, le Candidatus Caesari se voit naturellement assuré de son élection et Caracalla peut donner ainsi à sa nouvelle noblesse, les membres de l’ordre équestre, l’accès aux magistratures et ensuite aux fonctions administratives dont ces magistratures ouvrent la voie.

Le poste de Préteur urbain marquerait une deuxième faveur puisqu’il permet à Coeranus de rester à Rome et lui évite un départ, en tant que préteur vers une province de l’Empire.

Le cursus prétorien

En tant que Préteur, il exerce deux curatelles puis des fonctions judiciaires :

  • curat(ori) civit(atum)/ Antiatium et Aquinatium : en tant que Curator rei publicae, il surveille les finances de deux cités du Latium, Antium (l’actuelle Anzio) et Aquinum ( aujourd’hui Aquino). Son contrôle des comptes des décurions demeure, probablement, plus ou moins lointain mais permet à l’Empereur de conserver des recettes locales ((François JACQUES, Le privilège de la liberté : politique impériale et autonomie municipale dans les cités de l’Occident romain (161- 244) , Paris, Ecole française de Rome, 1984. La fonction de Curator rei publicae semble apparaître au IIe siècle puis se généralise sous Marc Aurèle. Elle ne semble pas correspondre à une intrusion brutale de l’administration impériale dans les finances locales et le travail des décurions mais permettrait simplement à l’Empereur de conserver des recettes locales.)).
  • iuridico per Flaminiam et Umbriam : les cités de la Flaminia et de l’Ombrie (région VII d’Auguste) échappent au contrôle des magistrats de Rome pour dépendre de la tutelle judiciaire et administrative du Juridicus Coeranus ((Marcel LE GLAY, Yann LE BOHEC, Jean-Louis VOISIN, Histoire romaine, puf, 1991, pages 305 et 316. Hadrien « dans son désir, sans doute légitime mais mal compris, d’alléger le travail des magistrats romains » avait divisé l’Italie en quatre circonscription judiciaires confiées chacune à un consulaire. Son successeur, Antonin, supprima cette création impopulaire. Marc Aurèle rétablit ces consulaires sous la dénomination de Juridici, choisis parmi les anciens préteurs.)).

Par la suite, Publius Aelius Coeranus, remplit au moins deux fonctions prétoriennes :

  1. Le commandement légionnaire de la VIII Augusta, à Argentorate. Ce poste de légat l’occupe en principe deux ou trois ans (vers 212-216 ?).
  2. Un proconsulat dans la province sénatoriale de Macédoine dont le gouverneur est choisi par le sénat parmi les anciens préteurs.

Si nous nous fixons sur l’affaire Plautien, en 205, puis le rappel de Coeranus en 211 ou 212 au terme de 7 ans d’exil, d’après Dion Cassius. L’« adlectio inter praetorios » ((La collation du Latus clavus ou adlectio devient, à partir de Claude et de la censure de 48, un nouveau moyen d’entrer au sénat. Ce procédé d’admission consiste à inscrire sur la liste un nouveau sénateur au moment de la révision de l’album sénatorial. Le Prince assigne lors de cette inscription un rang équivalent à celui des anciens questeurs, anciens tribuns ou anciens préteurs.)) serait due à Caracalla. Ce dernier aurait rappelé Coeranus après la mort de son père, en février 211 puis l’aurait favorisé… reste à savoir pourquoi !
La légation à la tête de la VIII Augusta puis le poste de proconsul en Macédoine doivent logiquement se placer après cette élévation au rang de Préteur et l’année de prétorat urbain à Rome, donc dans les années 212-216. Le consulat qui semble couronner sa carrière ne pourrait alors intervenir que pratiquement à la fin du principat de Caracalla dans l’année 216 ou au début de 217.

Les fonctions religieuses

La dédicace mentionne deux sacerdoces, celle de Frère Arvale et celle de Flamen dialis.

Frère arvale

Ce collège de 12 flamines célèbre le culte de Dea Dia (Céres) chaque année, lors de la pleine lune du mois de mai. Le compte rendu de leurs actes, pour l’année 213 ( gravé en 214) ((J. SCHEID, P. TASSINI, J. RUPKE, Recherches archéologiques à la Magliana, Commentarii Fratrum Arvallium qui supersunt. Les copies épigraphiques des protocoles annuels de la confrérie arvale (21 av.-304 ap. J.-C.), Rome, 1998.)) mentionne, à plusieurs reprises, un Publius Aelius Coeranus, présent à Rome, les 19 et 20 mai 213 :

Extraits du CIL VI, 02086, Rome.
« …[XIIII Kal(endas) Iun(ias) in luco deae Diae L(ucius) Armenius Peregrinus praet(or) promag(ister) ad aram immolavit porcilias piaculares] n(umero)…. Armenius Peregrinus praet(or) promag(ister) riciniatus soliatus coro/natus supra carceres ascendit et signum quadrigis vigis desultoribus misit praesedente ad creta(m) Aelio / Coerano victores palm<i=A>s et coron<i=A>s argente<i=A>s honoraverunt deinde Romae in domo Aeli Coerani discumben/tes ture et vino fecerunt ministrantibus pueris patrimis et matrimis quibus supra adfuerunt L(ucius) Armenius Peregri/nus praet(or) promag(ister) Cn(aeus) Catilius Severus T(itus) Statilius Silianus C(aius) Sulpicius Pollio P(ublius) Aelius Coeranus L(ucius) Caesonius Lucillus / Le 19 mai : Le quatorzième jour avant les calendes de juin, au bois sacré de dea Dia, le préteur Lucius Armenius Peregrinus, vice-président, immola près de l’autel des jeunes truies expiatoires au nombre de deux pour l’élagage du bois sacré et le travail à faire ; il y immola une vache honorifique. Les prêtres revêtus de la prétexte s’assirent dans le tétrastyle et consommèrent les truies expiatoires. Ensuite ils montèrent la pente du bois sacré de dea Dia et immolèrent une agnelle grasse par l’intermédiaire de Lucius Armenius Peregrinus et Titus Statilius Silianus, le proflamine. Le sacrifice terminé, ils firent tous une offrande d’encens et de vin . Ensuite, après que les couronnes eurent été portées (dans le temple) et que les statues eussent été parfumées, ils élurent Marcus Iulius Gessius Bassanus président et Statilius Silianus flamine. Et ils s’étendirent dans le tétrastyle auprès du président Novius Severus Pius et prirent un second repas. Après les banquets, le préteur Armenius Peregrinus, vice président, portant le ricinium, des sandales et une couronne, monta au-dessus des barrières et envoya le signal aux quadriges, biges et cavaliers-voltigeurs ; sous la présidence d’Aelius Coeranus, près de la ligne blanche, ils honorèrent les vainqueurs de palmes et de couronnes d’argent. Ensuite, à Rome, dans la résidence d’Aelius Coeranus, ils s’étendirent et sacrifièrent par l’encens et le vin, le service étant assuré par les mêmes enfants ayant père et mère que ci-dessus. Etaient présents le préteur Lucius Armenius Peregrinus, vice-président, Cnaeus Catilius Severus, Titus Statilius Silianus, Caius Sulpicius Pollio, Publius Aelius Coeranus, Lucius Caesonius Lucillus.
XIII Kal(endas) Iun(ias) in domum Aeli Coerani fratres Arvales ad consummandum sacrum deae Diae convenerunt ibique inter / cenam Armenius Peregrinus praet(or) et promag(ister) Catilius Severus Stati<l=T>ius Silianus Sulpicius Pollio Aelius Coeranus / Caesonius Lucil<l=I>us discumbentes toralibus segmentatis ture et vino fecerunt ministrantibus pueris patrimis / et matrimis senator(um) fili(i)s pra<e=S>textati(s) q(ui) s(upra) fruges libantes cum calatoribus et public(is) ad aram ret(t)ulerunt deinde / lampadibus incensis pariter tuscanicas cont<i=E>gerunt quas per kalatores domos suas miserunt hoc anno cena/tum est in diebus singulis |(denariis) centenis…» Le 20 mai : Le treizième jour avant les calendes de juin, les frères arvales se réunirent dans la résidence d’Aelius Coeranus pour conclure le sacrifice de dea Dia. Au cours du banquet, Armenius Peregrinus, préteur et vice-président, Catilius Severus, Statilius Silianus, Caius Sulpicius Pollio, Aelius Coeranus et Caesonius Lucillus s’étendirent sur des dessus-de-lit ornés d’appliques et sacrifièrent par l’encens et le vin, le service étant assuré par les mêmes enfants ayant père et mère, fils de sénateurs, revêtus de prétextes, que ci-dessus. Ils portèrent les céréales offertes avec les appariteurs et les esclaves publics à l’autel. Ensuite après avoir allumé des torches, ils touchèrent de même les tuscanicae, qu’ils firent porter chez eux par leurs appariteurs. Cette année on banqueta chaque jour pour cent deniers par tête….

De même le compte rendu de l’année 214 ((CIL VI, 2103, Rome)) signale, à trois reprises, un Publius Aelius Coeranus junior (?) ((AE 1915, 00102 et CIL VI, 37165 font état d’un Publius Aelius Coeranus, respectivement en 239 et en 240, sous Gordien III donc. Il pourrait s’agir, avec 26 ans d’écart, d’un descendant homonyme.)).

« Flamen dialis » de la colonie de Tibur

Cette charge de « flamine de Jupiter » place Coeranus au sommet de la hiérarchie sacerdotale de la colonie. Elle lui enjoint de superviser aussi le culte de l’Empereur et nous révèle qu’il est un « homme marié » (son épouse est la flaminica).

Les curatelles et fonctions locales

L’ « ordo decuriones » de Tibur ( Tivoli) c’est à dire les notables, les Chevaliers, les grandes familles sénatoriales ou équestre sollicitent Coeranus qui devient Patron de leur colonie.

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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