Les 20 plus grandes fortunes de Rome au premier siècle de notre ère

Par • Publié dans : Empire romain

Dans le monde romain du Ier siècle ap. J.-C., un légionnaire reçoit un stipendium de 225 deniers puis de 300 deniers (Merci Domitien !). Un ouvrier perçoit un denier pour sa journée de travail et, compte tenu du nombre de jours fériés, il doit vivre avec 250 deniers par an.

Un maître d’école peut espérer 2 sesterces par mois et par élève. Avec une classe de 30 élèves, il pouvait compter sur 60 sesterces par mois, soit 15 deniers. S’il enseignait ainsi toute l’année, sans temps de repos, son salaire annuel atteignait à peine 180 deniers… une misère par rapport au soldat et à l’ouvrier.

Une lupa de la Suburra ou des abords du Cirque Maxime demande de deux à 8 as. Celles de Pompéi de deux à seize as.

Tout à l’autre bout de l’échelle salariale un chevalier déclare un patrimoine de 400 000 sesterces par an et un sénateur un cens de 1 000 000 de sesterces !

Nous allons faire une petite immersion dans l’univers des 20 plus grandes fortunes de Rome, elles s’étagent de 4 à 400 millions de sesterces au Ier siècle, selon les écrits de Cassius Dion, Pline l’Ancien, Pline le Jeune, Sénèque, Suétone et Tacite !

400 millions, un affranchi et un consul se disputent la première place

 1 – De l’esclavage à la lumière : Ancien esclave grec, Claudius Narcissus, dit Narcisse (mort en 54 ap. J.-C.), un des plus célèbres affranchis impériaux de Rome sous Claude et sous Néron, amassa 400 millions de sesterces (Cassius Dion, LX, 34).

2 – Avare, cupide mais riche : Cnaeus Lentulus Augur Cornelius, un contemporain d’Auguste et de Tibère dépeint comme un homme cupide et avare, posséda la plus grande fortune connue. De famille sénatoriale, il devint consul en 14 av. J.-C. puis proconsul d’Asie, poste fort lucratif, en 2 ou 1 av. J.-C.

« Cn. Lentulus Augur, l’homme le plus riche que l’on eût connu, avant que des affranchis le fissent passer pour pauvre, vit dans ses coffres jusqu’à quatre cent millions de sesterces. »((Sénèque, Des bienfaits, livre II, 27.))

Le club des cinq à 300 millions de sesterces

 3 – Une fortune acquise dans l’honneur : Lucius Volusius Saturninus

(né en 38 av. J.-C. et mort en 56 ap. J.-C) arriva à plus de 300 000 000 de sesterces selon Tacite, avec une fortune supérieure à celle de Sénèque :

« Cependant Volusius a plus acquis de biens par de longues épargnes, que ne peut t’en donner ma générosité » ((Néron à Sénèque, Tacite, Annales XIV, 56, 1.))

Ce haut personnage, Consul en 3 ap. J-C. puis Proconsul Asie (circa 9 -10), Gouverneur de Dalmatie (de 34 à 40), Praefectus urbi, mourut à l’âge de 93 ans, entouré de l’estime publique :

« Lucius Volusius, lui, laissa en mourant une réputation sans pareille, une vie de 93 ans, de grands biens légitimement acquis, tant de règnes cruels traversés sans disgrâce, tel fut son partage ». ((Tacite, Annales XIII, XXX.))

 4 – La philosophie rapporte gros : Lucius Annaeus Seneca dit Sénèque, précepteur de Néron, dut se suicider en 65 pour avoir, semble-t-il trempé dans la conjuration de Pison. Bien qu’adepte de la philosophie stoïcienne, il mourut fort riche :

« Quelle sagesse, quelles leçons de philosophie, avaient instruit Sénèque à entasser, en quatre ans de faveur, trois cents millions de sesterces ? »((Tacite, Annales, XIII, XLII.))

5 – Un affranchi, secrétaire des finances ! Marcus Antonius Pallas (mort en 62) se prétendait d’origine royale. Esclave d’Antonia, la mère de Claude, puis affranchi, il se trouva nommé secrétaire des finances dès 31. Il mourut vraisemblablement empoisonné en 62.

« Claude assura que Pallas, content de l’honneur, voulait rester dans sa pauvreté première et un sénatus-consulte fut gravé sur l’airain et publiquement affiché, où un affranchi, possesseur de trois cents millions de sesterces, était loué comme le parfait modèle de l’économie des anciens temps ».((Tacite, Annales, XII, L III.))

Orateurs talentueux mais délateurs à leurs heures

 6 Lucius Iunius Quintus Vibius Crispus (12- 93 ap. J.-.) parvint trois fois au consulat (61, 74 et 82). Cet homme affable, délateur au service de Néron fit partie des nouvelles équipes après l’élimination des soutiens de Sénèque et de Burrus.

” Je citerai des exemples modernes et récents, plutôt que des faits éloignés et vieillis : j’oserai prétendre que Marcellus Éprius, dont je parlais tout à l’heure, et Vibius Crispus, ne sont pas moins connus aux extrémités du monde que dans les villes de Capoue et de Verceil, où l’on dit qu’ils sont nés. Et ils ne le doivent ni l’un ni l’autre à leurs trois cents millions de sesterces, qui après tout peuvent être considérés comme une riche conquête de l’éloquence, mais à l’éloquence elle-même, dont la vertu puissante et céleste a donné dans tous les siècles tant de preuves de la haute fortune où l’homme peut s’élever par la seule force du génie ». ((Tacite, Dialogues VIII.))

7 – Né dans une famille pauvre, Tiberius Clodius Eprius Marcellus gravit un à un tous les échelons de son cursus honorum pour parvenir, à deux reprises au consulat (en 61 et 75).

Pourtant sa carrière fut entachée de soupçon de concussion (en 59) et il fut considéré comme le type même du délateur au service de Néron. De procès, souvent avec acquittement (59, 69), en conjuration (contre Vespasien), il dut s’ouvrir les veines en 79. Sa fortune s’élevait comme celle de son collègue Lucius Iunius Quintus Vibius Crispus à 300 millions de sesterces. 

Entre 200 et 300 millions de sesterces

8 – Encore un affranchi de Claude : Caius Julius Callistus, dit Calliste (mort en 52 ap. J.-C.) esclave d’origine grecque, affranchi par Caligula, exerça, avec Pallas et Narcisse, une influence considérable sur Claude

« Nous avons connu, dans la suite, des affranchis plus opulents que lui (Crassus); trois par exemple à la fois sous le règne de Claude : Pallas, Calliste et Narcisse. Mais laissons-les, comme s’ils étaient encore maîtres de l’empire, et parlons de C. Caecilius Claudius isidorus » ((Pline l’Ancien Histoire naturelle, XXXIII, 4.7))

9 – Fortuné mais malheureux en ménage ? Le banquier Caius Sallustius Passienus Crispus fut 2 fois consul (en 27 et en 44) mais il reste célèbre pour ses deux mariages, le premier avec Domitia, la tante de Néron et le second avec une jeune et célèbre veuve… Agrippine la jeune, mère de Néron. Des rumeurs accusèrent Agrippine d’avoir empoisonné son époux, en 47 ! Sa fortune atteignait 200 millions de sesterces (Syme, 329, n° 12).

 110 millions de Sesterces ?

10 – Un cuisinier de prix ! Marcus Gavius Apicius dit Apicius, contemporain d’Auguste et de Tibère, chérissait les arts de la table. Si sa cuisine fit l’unanimité, il n’en est pas de même pour le montant de sa fortune, estimée entre 70 et 110 millions de sesterces.

« Il avait prodigué pour sa cuisine un million de sesterces, absorbé en débauches une foule de présents dus à la munificence des princes, et englouti l’énorme subvention du Capitole: criblé de dettes, il fut forcé de vérifier ses comptes pour la première fois; il calcula qu’il ne lui resterait plus que dix millions de sesterces et, ne voyant pas de différence entre mourir de faim et vivre avec une pareille somme, il s’empoisonna ».((Sénèque, Consolation à Helvia, X.))

100 millions de Sesterces 

11 – Un banquier renommé pour sa fortune : Tiberius Claudius Hipparcus d’Athènes (mort en 81), le grand-père du célèbre mécène Lucius Vibullius Hipparchus Tiberius Claudius Atticus Herodes, celui qui offrit l’Odéon, adossé à l’Acropole d’Athènes.

« Il alla jusqu’à louer Salvius Liberalis d’avoir osé dire, en défendant un riche client: ” Qu’importe à César qu’Hipparque possède cent millions de sesterces? “.((Suétone, Vespasien, 13.))

12 – Bon marin mais piètre paysan : Lucius Tarius Rufus, consul en 16 ap. J.-C., combattit dans la flotte d’Auguste à Actium. Ami d’Auguste et de Tibère, il dépensa 100 millions de sesterces pour acheter des terres dans le Picenum. Il les fit cultiver, se ruina et son héritier refusa l’héritage !

« Tarius Rufus, qui, né dans la dernière classe, arriva par ses talents militaires au consulat , et qui du reste était d’une économie antique, dépensa à acheter des terres dans le Picentin, et à les cultiver pour la gloire, au point que son héritier refusa l’héritage, (environ cent millions de sesterces) qu’il avait amassées, grâce à la libéralité du dieu Auguste ».((Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XVIII, 7.))

60 millions de sesterces 

13 – Des funérailles à plus de 1 million de sesterces : Caius Caecilius Claudius Isodorus, établit son testament en 8 ap. J.- C.

« C. Caecilius Claudius Isidorus, qui sous le consulat de C. Asinius Gallus et de C. Marcius Censorinus, le 6 des calendes de février (27 janvier), rédigea son testament, où il déclare que, bien qu’ayant perdu beaucoup par la guerre civile, cependant il laisse quatre mille cent seize esclaves, trois mille six cents paires de bœufs, deux cent cinquante-sept mille têtes d’autre bétail, et, en espèces, 60 000000 de sesterces. Il ordonna que 1 100 000 sesterces fussent dépensés pour ses funérailles. »((Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXIII, XLVII.))

14 – Un consul malhonnête : Marcus Aquillius Regulus (mort vers 102 ou en 105), délateur sous Néron, devint consul (en 77).

« Voyez Regulus ! Il était pauvre et humble; il est devenu si riche à force d’infamies, qu’un jour, il me l’a dit lui-même, consultant les dieux pour savoir s’il arrondirait bientôt ses soixante millions de sesterces, il avait trouvé des entrailles doubles, qui lui en prédirent cent vingt millions. Et il les aura, si seulement il continue à dicter ainsi des testaments (la plus malhonnête de toutes les manières de commettre un faux) à ceux-là qui les possèdent. Adieu ».((Pline le Jeune, Epistulae II, XX, 13. C. Pline salue son cher Calvisius.))

15 – Une héroïne de BD : Lollia Paulina (morte en 49 ap. J.-C.), héroïne de la bande dessinée « Murena », troisième femme de Caligula, devint fort riche en héritant des biens appartenant à divers membres de sa famille, soit plus de 40 millions de sesterces.

« J’ai vu Lollia Paulina, qui fut la femme de l’empereur Caligula (et ce n’était pas une fête sérieuse, une cérémonie solennelle, c’était un simple souper de fiançailles ordinaires); je l’ai vue, dis-je, couverte d’émeraudes et de perles qui se relevaient par leur mélange alternatif sur sa tête, dans ses cheveux, dans ses cordons, à ses oreilles, à son cou, à ses bracelets, à ses doigts : tout cela valait 40 millions de sesterces; et elle était en état de prouver immédiatement par les quittances que telle en était la valeur. Et ces perles provenaient non pas des dons d’un prince prodigue, mais des trésors de son aïeul, trésors qui étaient la dépouille des provinces »((Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 58.))

20 à 30 millions de sesterces

16 – Ue médecin assassin ? Originaire de Cos, le médecin Gaius Sertinius Xenophon (né en 10 av. J.-C., mort en 54), servit Tibère, Claude puis Néron. Il reste suspect dans l’empoisonnement de Claude (Tacite An, XII, 67) le 12 ou le 13 octobre 54.

« Je passe sous silence beaucoup de médecins et de très célèbres, tels que les Cassius, les Calpetanus, les Arruntius, les Albutius, les Rubrius. Les honoraires qu’ils recevaient annuellement des princes montaient à deux cent cinquante mille sesterces. G. Stertinius voulait que les princes lui sussent gré de sa modération, parce qu’il se contentait de cinq cent mille sesterces par an ; et, en effet, il montrait, en énumérant les maisons, que la ville lui en rapportait six cent mille. L’empereur Claude donnait au frère de ce médecin de pareils honoraires; et les deux frères, quoiqu’ils eussent épuisé leur fortune à orner Naples d’édifices publics, laissèrent à leurs héritiers trente millions de sesterces ».((Pline l’Ancien, Histoire naturelle XXIX, 7-8.))

17 – Le médecin évergète : Le médecin et astrologue Crinas de Marseille (mort entre 54 et 68 ap. J.-C.), vécut sous le principat de Néron. Il offrit 10 millions de sesterces pour la restauration du rempart hellénistique de Marseille, vraisemblablement construit au IIe siècle av. J.-C. et, malgré cet évergétisme, laissa un fort bel héritage de 10 millions.

« Au milieu de cette vogue, son crédit (celui de Thessalus) fut éclipsé par celui de Crinas de Marseille. Celui-ci réunissant deux sciences à la fois (médecine et astrologie), sut se donner la réputation d’un homme plus circonspect et plus scrupuleux, en réglant la nourriture de ses malades sur le calcul des heures et sur le mouvement des Astres. Il a laissé, dans ses derniers temps, 10 millions de sesterces après en avoir dépensé presque autant pour restaurer les murs de sa patrie et ceux de plusieurs autres cités. »((Pline l’Ancien Histoire naturelle, XXIX, 9.))

20 millions de sesterces

 18 – Ses lettres témoignent : Caius Plinius Caecilius Secundus (né en 61 ou 62, mort entre 111 et 113 ap. J.-C.), dit Pline le Jeune, consul en 100, doit sa célébrité à sa correspondance. Plus de 225 lettres (dont 112 missives administratives à Trajan), nous dévoilent l’éruption du Vésuve, la vie et la pensée des classes dirigeantes sous les principats de Nerva et de Trajan, les aspects de l’administration provinciale romaine. Avec « une si petite fortune », Pline disposait d’au moins six ou sept villas : une à Rome, une à Vicus Laurentium (à 17 miles de l’Urbs), une ou deux à Tifernum Tiberinum et au moins trois sur le lac de Côme (Duncan-Jones, p. 20-30).

5 millions de sesterces

 19 – Blanchi par Tibère : Accusé d’avoir empoisonné Germanicus (mort le 10 octobre 19 ap. J.-C.), le neveu de Tibère, Cnaeus Calpurnius Piso se suicide. Son fils, Marcus Calpurnius Piso, un instant impliqué dans cette affaire fut absout mais exilé.

« Marcus, exclu du sénat, recevrait cinq millions de sesterces et serait relégué pour dix ans. La grâce de Plancine était accordée aux prières d’Augusta ».((Tacite, Annales III, XVII.))

4 millions de sesterces

 20 – Supplique pour un ami : Pline le Jeune sollicite l’entrée au Sénat pour son ami d’enfance, Caius Licinius Marinus Voconius Romanus, originaire de Saguntum en Tarraconaise. Voconius disposait ainsi du cens nécessaire et de l’appui de Pline mais nous ne savons pas si Trajan satisfit cette requête.

CONCLUSIONS 

Un monde de millionnaires dans lequel vous retrouvez, côte à côte, des affranchis impériaux (Narcisse, Pallas et Calliste), des médecins (Crinas et Xénophon), des consuls issus des grandes familles sénatoriales, un philosophe (Sénèque), un amateur de grande cuisine (Apicius) une femme de haute lignée croquée par la BD (Lollia Paulina).

Mais dans cet univers-là, que de disparités entre les plus grosses fortunes, entre celles qui comptent de 100 à 400 millions de sesterces et les autres qui ne disposent que de quelques millions, à peine.

A Rome, rien n’est écrit ni joué d’avance

  • Des esclaves, affranchis, parviennent aux plus hauts niveaux de l’État. Ces « affranchis impériaux » tels Narcisse, Pallas ou Calliste s’enrichissent et influent sur les décisions de Claude ou de Néron.
  • Un stoïcien (Sénèque) s’accommode tout de même de dame fortune.
  • Des médecins, par leur talent, amassent les sesterces mais savent se montrer prodigues envers leur cité d’origine (Crinas de Marseille).
  • Des délateurs (Crispus, Marcellus) tirent places, fortune et honneurs de leurs basses besognes.
  • Des consuls (Lucius Tarius Rufus) dilapident leur richesse dans l’achat de terres et ne trouvent même plus d’héritier. D’autres doivent leur patrimoine à leur malhonnêteté (Regulus).
  • D’autres enfin acquièrent gloire, honneurs et richesse dans l’estime publique (Saturninus).
  • Quant aux plus célèbres, Apicius, Pline le jeune, ils ne sont pas, et de loin les plus riches.

Avertissement :

L’auteur présente par avance ses excuses les plus sincères à ceux qu’il aurait pu omettre dans cette énumération. Qu’ils ne voient pas dans cet oubli un quelconque ostracisme mais la seule manifestation de son ignorance et/ou de sa distraction…

 

BIBLIOGRAPHIE 

DUNCAN-JONES R.P., The Economy of the Roman Empire. Quantitative Studies Cambridge, 1982 (2ème éd.) pp. 414.

Attention, cette édition comporte trop de références fausses pour les textes mentionnés, pages 343-344.

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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