Le jardin romain

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Préambule

Le jardin en latin se dit hortus. De ce nom vient le nom latin pour la basse-cour, cohors (qui jouxte le jardin) qui veut également dire troupe ou cohorte. Il est possible que le mot ait un lien également avec horreum, c’est-à-dire le grenier. Il convient de différencier différentes formes de jardins : le jardin d’agrément, le jardin potager et le jardin botanique ou médicinal. Le jardin d’agrément nous est bien connu comme on a retrouvé nombre de demeures de l’époque romaine. Les deux autres le sont beaucoup moins, ils sont connus notamment grâce à des auteurs tels que Pline l’Ancien, Columelle ou Varron : ces deux derniers types de jardin étaient par ailleurs souvent liés. Il est également difficile de voir quelles étaient les espèces cultivées pour la médecine ou si l’on se contentait de les cueillir dans la nature.

Quelques auteurs

Varron

Varron évoque essentiellement la ferme. Il parle donc principalement des plantes céréalières et des arbres fruitiers ainsi que de la vigne, hors l’élevage des animaux, et très peu des plantes potagères si ce n’est pour la manière de faire les clôtures. On clôture de plusieurs façons : avec des haies d’arbustes, des clôture en bois, des murs maçonnés (en Gaule on utilise la brique cuite), avec un remblai (dans les lieux inondables ou près des grandes routes). Quand on ne peut pas clôturer on utilise des arbres comme le pin ou le cyprès, mais rien ne convient mieux que l’orme selon Varron car son charbon peut servir d’engrais et ses branches sont idéales pour faire les clôtures.

Si possible on cultive le roseau ou le coudrier car il permet de faire les échalas qui serviront à la culture des plantes grimpantes, notamment la vigne.

Il faut éviter de cultiver la vigne près du potager car elle prend toute l’eau, et de la même manière le noyer rend stérile la terre autour de lui.

Pline

Pline, dans son Histoire naturelle, dresse la liste des plantes du jardin et de leurs remèdes. Toutefois s’il parle bien des diverses plantes cultivées on ne voit pas toujours la différence d’avec les plantes sauvages et comme chez Varron on perd des fois la nuance entre la ferme villa et le jardin hortus. Ceci est sans doute dû à une confusion sur le sens de heredius, c’est-à-dire « héritage » mais également une parcelle de la villa dévolue à un héritier de la gens, celle-ci pouvant être alors cultivée soit comme un champ soit comme un jardin personnel puisque le hortus est normalement une possession commune de la gens et il n’est censé n’y en avoir qu’un seul par propriété.

Le jardin d’agrément

Les jardins domestiques jouaient un rôle dans les rites funéraires, lorsqu’il fallait apporter des offrandes aux morts, et leur confectionner des guirlandes. On a retrouvé des jardins aux abords des cimetières en particulier à Alexandrie et il semble que cette pratique avait cours dans l’essentiel de l’Empire. L’exploitation de ces jardins était soumise à un impôt de l’empereur : on pouvait utiliser pour le commerce ou sa consommation personnelle les produits de ces jardins pourvu que ceux-ci servissent en priorité à l’entretien des tombes des défunts. Les familles pouvaient cependant louer l’exploitation de ces parcelles à d’autres. Les jardins d’agrément avaient sans doute un rôle analogue : les plantes cultivées sont en grande partie des plantes à fleurs (roses et pensées en particulier), celles-ci étant nécessaires dans la confection des guirlandes qui décorent les effigies des dieux de la maison. N’oublions pas que de manière originelle les Indo-européens ne pratiquent pas leur religion dans des temples mais dans la nature. On peut donc peut-être voir dans ces jardins une forme de « temple » permettant le contact avec les dieux, notamment ceux de la maisonnée. Le jardin de la domus a trois niveaux :

  • les plantes en elles-mêmes,
  • les plantes représentées sur les fresques, le jardin d’agrément étant fermé par des murs,
  • et le panorama en dehors depuis les jardins via des fenêtres ou une ouverture.

On peut vraiment lier les trois car on a pu constater l’effet voulu par ces trois formes de représentations. Le lien entre l’intérieur et l’extérieur se retrouve dans les principes du jardin persan qui est le modèle d’origine de tous les jardins. D’ailleurs les fresques et mosaïques des jardins représentent souvent cette « trinité » : la forêt, la plaine, le marais.

  • La forêt (ou la montagne) est le domaine des origines de la nature (plantes et animaux sauvages) où se trouvent également les sources et le territoire des dieux, mais qui évoque aussi la sauvagerie des temps primordiaux ;
  • la plaine est l’espace dominé par l’homme, avec les plantes cultivées et les animaux domestiques, où l’eau est également contrôlée (elle symbolise la vie que les hommes reçoivent des dieux) ;
  • et enfin le marais où finissent les eaux usées et stagnantes, causes de maladies et de l’apparition des vermines (à noter que les marais ont souvent servi de déchetterie dans l’Antiquité), et où l’on trouve les poissons qui ne sont peut-être pas compris comme des êtres vivants (absence de sang et de respiration).

On retrouve ce schéma dans la cosmologie gréco-romaine : l’Olympe qui est la montagne des dieux, à ses pieds le monde des hommes qui reçoit la vie de la lumière et des eaux du ciel, et le monde des morts où sont les défunts et où finissent les eaux. En conséquence la place de Bacchus dans ces jardins est importante, puisque c’est un dieu de la « régénération » (plus précisément la palingénésie) : il est vu comme la force qui fait surgir la vie dans la nature en récupérant la putréfaction des plantes qui viendront féconder la vie nouvelle. Cette image est manifestée par les vignes, plantes de Bacchus, qui poussent et se croisent au-dessus de la tonnelle, là précisément où les eaux de pluie tombent avant de s’écouler du centre du jardin jusque sur les bords vers les racines de la vigne. Il y a donc un rapport très fort avec la religion dans le jardin d’agrément romain. D’ailleurs l’idée du passage de l’eau depuis le haut (les dieux) vers le bas (monde des hommes) est renforcée dans les jardins par l’impluvium de l’atrium par lequel est parfois mis en place un système de mur d’eau. Notons que le jardin est aussi un lieu de réception et de philosophie : on marche en faisant le tour de la galerie, on peut s’y assoir et manger à l’ombre des arbres fruitiers et à l’abri des regards : à noter que la philosophie est vue comme une activité directement liée à la religion comme le rappelle Plutarque dans le De Pythica, les péripatéticiens accomplissent ainsi des circumambulations. Sur le plan théologique on peut mettre tout ça en lien avec la notion d’arsha, c’est à dire vérité, de la religion indo-iranienne (le jardin étant d’origine persane) : le concept de vérité est lié au réel et à l’existence, ce qui est vrai c’est ce qui est, donc ce qui existe. Verus (vrai) en latin est directement en lien avec ver (le printemps) voire avec le germanique vera (être), et le jardin est alors une représentation théologique du cycle de la vie et donc de l’existence puisque ce cycle permet une perpétuation interne de la vie, le jardin est de cette manière une manifestation de la divinité. Les Amours dans les fresques des jardins romains, seraient ainsi l’image de la force fécondante qui amène la vie.

Le jardin potager

Le jardin potager est historiquement le plus ancien des jardins domestiques. C’est lui qui fournit au jour le jour l’essentiel de la nourriture des gens. En général il se trouve dans la cour arrière de la domus. Avec le temps et dans un contexte plutôt urbain, ce jardin a eu tendance à devenir le jardin d’agrément, mais en campagne celui-ci garde toute sa place. On peut répartir les plantes de ce jardin en quatre catégories principales : les plantes herbacées dont on mange les feuilles, les pousses ou les tiges comme les salades et les choux ; les plantes légumineuses comme les concombres et les pois ; les racines et les bulbes comme l’oignon ou la carotte ; et les plantes aromatiques qui servent à l’assaisonnement telles que le basilic, l’ail des ours ou la menthe.

Les plantes herbacées

Bettes ; fenouil ; chardon ; oseille ; arroche ; cresson ; roquette ; asperge ; chou commun ; chou pommé ; brocoli ; laitue ; poireau ; hibiscus ; câprier ; livèche ; mauve ; céleri ; fenouil ; chicorée ; maceron ; arum ; pourpier ; moutarde (on en mange les feuilles en saumure, la moutarde de nos tables est inconnue) ; houblon ; ortie ; etc…

Les plantes légumineuses

Lentilles ; pois ; pois chiches ; fèves ; lupin ; coloquinte ; concombre ; pompon (ancêtre de notre melon) ; gigérine (ancêtre de la pastèque) ; vesce ; etc…

Les racines et les bulbes

Jacinthe ; ail ; ail des ours ; oignon ; panais ; carotte ; raifort ; navet ; radis ; radis noir ; chou-rave ; aunée ; arachide ; glaïeul ; asphodèle ; etc…

Les plantes aromatiques

Coriandre ; pavot ; aneth ; anis ; origan ; cumin ; menthe ; basilic ; mélisse ; persil ; carvi ; romarin ; sésame ; fenugrec ; cerfeuil ; campanule raiponce ; myrte ; safran (crocus) ; curcuma ; gingembre ; etc… D’autres plantes comme les férules ou les roseaux sont régulièrement plantées dans les jardins, pour leur utilisation en perches ou en treillages, mais elles ne sont pas utilisées comme aliments.

Les champs

A côté des jardins potagers il ne faut pas oublier les champs qui produisent des ressources primordiales et qui nécessitent des cultures sur de plus vastes distances. En particulier les céréales telles que le froment ou l’orge, mais également les plantes textiles comme le chanvre ou le lin.

Les céréales

Orge ; blé ; épeautre ; millet ; amidonnier ; froment ; far ; seigle ; riz (rare) Les plantes textiles ^

Chanvre ; lin ; coton ; cardère (pour démêler les fibres textiles)

Les plantes tinctoriales

Bleu : pastel.

Brun/Noir : brou de noix ; sumac des corroyeurs ; henné.

Jaune : anthémis ; sarriette ; genêt des teinturiers ; réséda jaunâtre ; serratule des teinturiers ; tussilage.

Rouge/Brun : aspérule des teinturiers ; garance ; orcanette des teinturiers.

Violet : orchilla ;

Les plantes fourragères

Serpolet ; avoine ; luzerne ; lupin ; dragée ; vesce ; gesse ; fenugrec ; etc…

Les plantes médicinales

Ces plantes sont de deux catégories.

  • Il y a d’abord les plantes courantes que l’on cultive d’abord pour leur aspect nutritif mais qui peuvent être utilisées de manière secondaire pour leurs effets bénéfiques. A contrario celles-ci sont parfois à retirer de l’alimentation car l’effet qu’elles suscitent peut être en contradiction avec l’état de santé.
  • Les autres plantes ne sont pas nécessairement cultivées, mais sans doute cueillies directement en pleine nature car leur seul apport étant médicinal celui-ci présente peu d’intérêt à la culture, les traitements pour maladies étant ponctuels. La seule exception est sans doute le cas des herboristes qui ont besoin en permanence de ces plantes, mais leur variété est telle qu’il n’est pas assuré qu’elles soient cultivées dans un seul jardin, notamment car certaines plantes ne poussent qu’en certains milieux : le tussilage que Pline mentionne pour les problèmes de toux ne pousse en général pas en dessous de 500m d’altitude, d’autres plantes ne poussent qu’en bord de mer, voire d’autres ne poussent qu’en climat tropical (plusieurs plantes étaient importées d’Inde) ou encore sur certains sols seulement. Ainsi il est plutôt vraisemblable qu’il y eût des sites de production pour certaines plantes ou arbres et que ces denrées voyageassent à travers l’Empire jusqu’aux officines des médecins et herboristes.

Nielle ; rue ; séséli ; marrube blanc ; thym ; sorbier ; pavot ; scorpion ; plantain ; jonc ; curcuma ; narcisse ; lis ; digitale ; tussilage ; laurier ; lavande ; etc…

Arbres et arbustes fruitiers

Un grand nombre d’arbres sont plantés dans les jardins, pour l’ombre qu’ils prodiguent, le seul problème étant que les arbres ne s’accoutument pas avec toutes les plantes soit du fait qu’ils soient gourmands en eau, comme la vigne, soit qu’ils modifient la nature chimique du sol, comme le noyer. C’est pourquoi ils sont souvent plantés à l’écart des jardins ou bien dans des vergers. Un grand nombre de ces arbres sont connus des Romains, qui n’en connaissaient souvent que les fruits, ces arbres n’étant pas indigènes, voire ceux-ci se sont répandus tardivement. D’autres fruits sont issus d’une cueillette dans la nature et ne semblent pas faire l’objet de culture. Les Romains étaient cependant de grands agronomes qui maîtrisaient très bien le système de greffes et de marcottage, ce qui leur a permis en des laps de temps parfois très brefs de générer de nombreuses variétés d’une même espèce, par exemple ils connaissaient les brugnons.

Pommier ; poirier ; cognassier ; cédratier ; vigne ; olivier ; abricotier* ; pêcher* ; figuier ; palmier dattier ; grenadier ; noyer ; amandier ; coudrier ; pin parasol ; cerisier* ; prunier* ; fraisier des bois ; ronces ; châtaigner ; néflier* ; pistachier ;

*espèces asiatiques acclimatées à l’époque impériale

Plantes inconnues des Romains

Un grand nombre d’espèces qui sont couramment cultivées de nos jours en Europe n’étaient pas connues des Romains, soit que ces espèces viennent d’un autre continent, comme les oranges, soit qu’elles n’aient pas encore été développées par les agronomes, comme les carottes. Ce repérage est d’autant plus ardu que certaines espèces allogènes ont repris le nom de plantes indigènes qui ont parfois disparu à l’image des courges. Il est intéressant de noter que de nombreux aliments emblématiques de la cuisine méditerranéenne (anatolienne, grecque, crétoise, provençale, orientale, etc…) sont en réalité très récents.

Espèces extra-européennes

Haricots (haricot vert, flageolet, lingot, mogette, haricot rouge ou blanc, soja…) ; pomme de terre ; maïs ; poivron et piment ; courgette ; tomate ; agrumes (sauf le cédrat) ; citrouille ; potiron ; courges ; navet long ; aubergine ; épinard ; tournesol ; etc…

Espèces européennes

Estragon ; cassis ; framboise ; groseille ; artichaut (développé à partir du chardon au Moyen-Âge) ; carotte orange (développée au XVIe siècle) ; melon orange (développé au XVIe siècle) ; pastèque ; bettes à cardes ; chou-fleur ; chou blanc ; chou rouge ; chou de Bruxelles ; brocoli ; colza et rutabaga (ces plantes existent par hybridation naturelle du chou et de la navette depuis le IIe millénaire avant JC, mais ne sont développées pour la culture qu’au XIXe siècle) ; céleri-rave ; endive ; etc…

Sources:

http://www.umr5059.univ-montp2.fr/doc_poirier/doc5jardins2011.pdf

http://www.oldcook.com/medieval-legumes

http://lmarenco.free.fr/Articles/Legumes.htm

www.branche-rouge.org (site plus axé sur le haut moyen-âge viking mais il a de bonnes source sur la Gaule romaine)

Les noms des plantes dans la Roma antique, Jacques André, Belles Lettres, 2010

Varron, de Re agricolae

Pline, Histoire naturelle

Columelle, de Re agricultura, livre X-XI

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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