Le prix des esclaves au 1er siècle de notre ère

Par • Publié dans : Empire romain

Le prix des esclaves au 1er siècle de notre ère

Chaque esclave représente, pour son « dominus », une double immobilisation de capitaux
complexe :

  • corporelle avec une durée d’utilisation limitée.
  • incorporelle, quand il acquiert un savoir-faire, tout autant perfectible que transmissible ou
    qu’il dispose de capacités dans le domaine des langues, de la comptabilité, de
    l’enseignement…

Et oui, un esclave s’use, transmet ses connaissances techniques ou intellectuelles, en apprend de
nouvelles et peut aussi se reproduire.

Que représente le prix d’un esclave dans ce monde romain du Ier siècle ap. J.-C. ?
Pour le découvrir, il faut se pencher, loin des fantasmes, des « Bandes dessinées » ou des films, sur :

  • De très rares inscriptions et les tablettes découvertes à Herculanum
  • Quelques passages de textes antiques, moins d’une vingtaine, dus à Columelle, Horace,
    Juvénal, Martial, Pétrone, Pline l’Ancien, Sénèque.
  • Une dizaine de papyrus découverts en Égypte.

Les sources épigraphiques ou littéraires restent donc très peu nombreuses pour le Ier siècle, les
trois tableaux suivants vous les précisent

Tableau 1 : Les prix à Pompéi et Herculanum.
Référence Lieu Date Vente de Prix total Prix unitaire
Tablette d’Herculanum, 59 = AE 1952, 162. Herculanum Avant la fin 79 ap. J.C. Une esclave 900 sesterces
Tablette d’Herculanum, 61 Herculanum Datée du 8 mai 63 ap. J.-C Un esclave mâle 4050 sesterces
Tablette d’Herculanum, 65 Herculanum Circa 54-68 ap. J.-C. Une jeune esclave (puella) 600 sesterces
Tablette d’Herculanum, 72 Herculanum Avant la fin 79 ap. J.C. Une jeune esclave (puella) 1400 sesterces
CIL IV, 3340 (154-155) Pompéi Circa 61 ap. J.-C Deux garçons esclaves 1450 sesterces 725 sesterces
CIL IV, 3340 (49) -Affaires Pompéi Avant la fin 79 ap. J.C. Deux vieux esclaves : « mancipia duo veterana vendita », mais que signifie exactement « veteranus » ici ? 5300 sesterces 2650 sesterces
Tableau 2 : Les prix dans les papyrus découverts en Égypte.
Sources Lieu Date proposée Nature de la vente Prix de la vente (1 drachme d’argent = 3 sesterces)
BGU IV 1128 Alexandrie 14 av. J.-C. Un esclave 1000 drachmes d’argent, soit 3000 sesterces
BGU IV 1114 Alexandrie 5 av. J.-C Un esclave 1200 drachmes d’argent, soit 3600 sesterces
BGU III 987 Arsinote 18- 19 ou 44-45 ap. J.-C. Un jeune esclave de 4 ans 2000 drachmes d’argent ou 6000 sesterces
P. Genn. 22 Hermopoulis 37-38 ap. J.-C. Une esclave et sa fille 1100 drachmes d’argent ou 3300 sesterces
P. Oxy. II 263 Oxyrhynche 77 ap. J.-C. Une esclave de 8 ans (?) 640 drachmes d’argent ou 1920 sesterces
P. Oxy. II 375 Oxyrhynche 79 ap. J.-C. Une esclave de 35 ans et ses deux (?) enfants 1800 drachmes d’argent ou 5400 sesterces
P. Oxy. II 336 Oxyrhynche 85-86 ap. J.-C. Une esclave donnée en gage d’un prêt d’argent 3000 drachmes de bronze ce qui ferait un prix incroyablement bas de 128 sesterces en tenant compte d’un rapport Argent/Bronze de 1 /70 ????
P.L.Bat. XIII 23, 11-15 Oxyrhynche Fin du Ier siècle, circa 70 ? Un esclave de 18 ans 600 drachmes ou 1800 sesterces
BGU III 859 Arsinoite Fin du Ier siècle-début du IIe siècle Un esclave de 3 ans donné en gage d’un prêt d’argent. 300 drachmes ou 900 sesterces
Tableau 3 : Les prix dans les textes antiques
Sources (auteurs et textes antiques) Lieu Date Vente de Prix total Prix unitaire
Columelle
De Re Rustica (De l’Agriculture), Livre III, 38.
Rome Milieu du Ier siècle Un vigneron habile 7000 à 8000 sesterces
Horace
Les Épitres, livre II, Lettre à Julius Florus
Rome Circa19-18 av. J.-C. Un jeune esclave né à Tibur ou à Gabiae.
« Cet esclave est blanc et beau de la tête aux talons ».
8000 sesterces
Horace
Les Satires, livre II Poème, 07,40)
Rome Circa 35-29 av. J.-C. Un esclave nommé Davus 2000 sesterces
Juvénal, 4, [4,0]
SATURA (Satires) IV : LE TURBOT
Sud de l’Italie ? Ier siècle Crispinus aurait acheté un turbot de six livres (soit presque 2 kg) pour 6000 sesterces,
soit plus cher qu’un pécheur ou un lopin de terre dans les Pouilles, selon Juvénal….
Moins de 6000 sesterces
Martial,
Épigrammes, Livre III, 62 – Contre Quintus.
Rome Ier siècle Jeunes esclaves ? 100 000 à 200 000 sesterces
Martial,
Épigrammes,
Livre VI, 66 – Sur un crieur qui vendait une jeune esclave
Rome Ier siècle Le crieur Gellianus embrasse une esclave pour convaincre le public… de sa pureté !
Il échoue dans sa promotion de la jeune femme.
600 sesterces étaient proposés
Martial,
Épigrammes, Livre VIII, 13 – A Gargilianus.
Rome Ier siècle 1 esclave adulte male censé être «morio », c’est-à-dire, bouffon ou fou… 20 000 sesterces
Martial,
Épigrammes, Livre X, 31 – Contre Calliodore.
Rome Ier siècle Calliodore aurait vendu un de ses esclaves pour s’offrir un bon souper… ce fut un lamentable échec ! 1200 sesterces
Martial
Épigrammes, Livre XI, 38- Sur un muletier sourd.
Rome Ier siècle 1 muletier sourd 20 000 sesterces
Martial,
Épigrammes, Livre XI, 70- Contre Tucca.
Rome Ier siècle Garçonnets servant à des plaisirs sexuels : « On inspecte leur membre (mentula) que ta main a façonné ». ? 100 000 sesterces
Pétrone
Satiricon, LVII – Où Ascylte se fait agonir
Rome Ier siècle Un affranchi de Trimalchion, devenu sévir, rachète sa concubine. 4800 sesterces
Pétrone
Satiricon, LXV – Entrée du Sévir Habbinas ivre
Rome Ier siècle Scissa fête la neuvaine de son esclave Misellus 50 000 sesterces
Pétrone
Satiricon, LXVIII – Intermède artistique et littéraire.
Rome Ier siècle 1 esclave acheté par Habinas cordonnier, cuisinier, pâtissier et orateur malhabile 1200 sesterces
Pétrone
Satiricon, XCVII – Rentrée d’Ascylte, flanqué d’un crieur et d’un esclave public.
Rome Ier siècle 1 jeune homme (un giton) de 16 ans perdu aux bains 1000 sesterces de récompense pour le ramener à son maître
Pline
Histoire naturelle, 9, XXXI
Rome 37-41 ap. J.-C. 1 cuisinier acheté par Asinius Celer 8000 sesterces
Pline
Histoire naturelle 7, XXXIX
Rome IIe siècle av. J.-C. ? Un grammairien : Daphnis acheté par le consul Marcus Scaurus Aemilius 700 000 Sesterces !

PRIX RECORD

Sénèque,
Livre III, Lettres à Lucilius, XXVII.
Rome IIe siècle av. J.-C. ? Calvinius Sabinus achète 9 esclaves capables de retenir chacun un auteur grec, Homère, Hésiode…. 900 000 sesterces

VENTE RECORD !!!

100 000 sesterces

Le prix record, 700 000 sesterces :

Pline affirme que « Le prix le plus élevé d’un homme né en esclavage a été jusqu’à présent, à ma connaissance, celui de Daphnus, grammairien : il fut vendu par Gnatius de Pilaure à Marcus Scaurus, princeps senatus (consul en 115 av. J.-C.), qui l’acheta 700.000 sesterces. »
(Pline H.N., VII, 3, XXXIX).

Une vente record, 900 000 sesterces :

Sénèque (Lettre XXVII. Seneca Lucilio Suo Salutem) nous raconte l’histoire suivante :

Doté d’une mémoire infidèle, Calvisius Sabinus ne parvenait point à retenir le nom des héros de
l’Hellade les plus célèbres. Ulysse, Achille, Priam et tant d’autres fuyaient ses souvenirs.
Désirant briller en société, il imagina un curieux stratagème : Il commanda et acheta neuf esclaves,
capable chacun de déclamer un poète lyrique grec à la demande ! Cela lui coûta tout de même
900 000 sesterces !

Deux exemples de manumission (affranchissements) au Ier siècle ap. J.-C. :

1) Publication:

CIL XI, 5400 = D 7812 = ERAssisi 41 = Gummerus-I, 247 = AE 2003, +29. Province: Umbria /
Regio
VI. Origine: Assise/ Asisium

P(ublius) Decimius P(ubli) l(ibertus) Eros
Merula medicus clinicus chirurgus
ocularius VIvir
hic pro libertate dedit HS L(milia)
hic pro seviratu in rem p(ublicam)
dedit HS II(milia)
hic in statuas ponendas in
aedem Herculis dedit HS XXX(milia)
hic in vias sternendas in
publicum dedit HS XXXVII(milia)
hic pridie quam mortuus est
reliquit patromoni(i)
HS DCCC(milia?)

« Publius Decimus Eros Merula, affranchi de Publius, médecin qui visite les malades, chirurgien pour
les yeux, sévir, a donné ici pour sa liberté 50 000 sesterces, a donné ici pour sa fonction de sévir
2000 sesterces au trésor public, a donné ici 30 000 sesterces pour l’érection d’une statue dans le
temple d’Hercule, a donné ici 370 000 sesterces au trésor public pour la construction de voies. Ici,
le jour avant sa mort, il a laissé en patrimoine 800 000 (?) sesterces »

Voici donc un ancien esclave, affranchi, capable de racheter sa liberté 50 000 sesterces puis de
devenir évergète en favorisant sa cité d’Assise.

Il offre une somme globale de 392 000 sesterces pour embellir Asisium et développer son réseau
de voies.

A la fin se sa vie, son patrimoine s’élève encore à 800 000 sesterces.

Ses talents de médecin lui permirent d’amasser une fortune de 1 252 000 sesterces sans compter
ce qu’il dépensa pour le quotidien…

Un esclave, affranchi, spécialisé pouvait donc bien, voire très bien, gagner sa vie.

2) L’affranchissement de Paris

appartenant à Domitia Lepida, la tante de Néron, revint à
10 000 sesterces (Digesta 12-4.3.5 ; Tacite, Ann. Livre XIII, 27)

Conclusions :

Le prix des esclaves apparait très variable.
Vous comprenez, en regardant soigneusement les tableaux proposés, qu’il existe deux mondes :

  • Celui de la rue souligné par les inscriptions d’Herculanum et de Pompéi (Tableau 1), avec des prix s’étageant de 600 à 4050 sesterces, une échelle de prix comparable à celle fournie par les papyrus égyptiens (Tableau 2). Les 15 données fourniraient une moyenne de 2418 sesterces pour « un esclave ».S. Mrozek retient un prix moyen de 2000 sesterces pour un homme adulte, au Ier siècle.
    R. Duncan-Jones estime sa valeur entre de 2000 et 2650 sesterces.
  • Celui des grandes familles de chevaliers ou des gens patriciennes illustré par les textes des auteurs antiques (Tableau 3).
    Dans cet univers là, la cote d’un esclave peut s’envoler et atteindre des sommes très élevées en fonction des lubies et des moyens du « dominus » (exactement comme dans le marché de l’Art actuel !) : 100 000 à 200 000 sesterces !La moyenne des prix indiqués dans ce tableau 3, tournerait autour de 73 000 sesterces par esclave acheté.
    Bien sûr, un achat record la tire vers le haut mais elle resterait supérieure à 34 000 sesterces si nous supprimons l’achat du grammairien Daphnis

Il faut considérer toutes ces données avec une énorme prudence, comme des indications.
Nous avons trop peu de données, à peine une trentaine d’occurrences, pour effectuer des moyennes valables et tirer des conclusions scientifiques.

Indications bibliographiques :

CORBIER M., Dévaluations et évolution des Prix (Ier-IIIe siècles), Revue numismatique, Année 1985, Volume 6, Numéro 27, pp 69-106.

DUNCAN-JONES R.P., Two possible indices of the purchasing power of money, Actes du Colloque “Les Devaluations à Rome”. Epoque républicaine et impériale (Rome, 13-15 novembre 1975),
Rome, 1978, pp. 159-168.

DUNCAN-JONES R.P., The Economy of the Roman Empire. Quantitative Studies Cambridge, 1982 (2ème éd.) pp. 414, p. 348-350.

MROZEK S., Prix et rémunération dans l’Occident romain : 31 avant notre ère – 250 de notre ère, Gdansk, 1975. p.45-48.

NUTTON V., Roman oculists, Epigraphica 34, 1972, p. 20 n° 21.

STRAUS A. J., Le prix des esclaves dans les papyrus d’époque romaine trouvés en Egypte, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, Dr. Rudolph Habelt GmbH, Bonn, Bd. 11, 1973, pp. 289-295.

NOTES : Qui sont-ils ?

  • Lucius Iunius Moderatus Columella, dit Columelle (né en 4 et mort en 70 ap. J.-C.) agronome, écrit les 12 volumes du « Res rustica », « De l’Agriculture ».
  • Quintus Horatius Flaccus dit Horace (né en – 65, mort en – 8)-, fils d’un affranchi, poète, lié d’amitié avec Virgile, protégé de Mécène le confident d’Octave.
  • Decimus Iunius Iuvenalis, dit Juvénal, apparait comme un poète satirique du Ier et du début du IIe siècle (probablment né sous Claude, mort vers 128).
    Il ignore tout du politiquement correct et s’en prend un peu à tout le monde.
    Dans ses satyres, souvent cruelles, il dénonce les vices et les ridicules de son époque, la corruption de la société romaine…
  • Marcus Valerius Martialis, dit Martial, (né en 40 et mort vers 104 ap. J.-C.), poète, auteur de 1500 Épigrammes répartis en 15 livres.
    Très en cour sous Titus puis sous Domitien.
  • Petronius Arbiter dit Pétrone (né en 14 , mort en 66 ap. J.-C. ???), auteur présumé du Satiricon, l’un des premiers romans de la littérature occidentale.
    Il décrit les errances de deux jeunes homosexuels, Encolpe et Ascylte.
  • Gaius Plinius Secundus, dit Pline l’Ancien, (né en 23 ap. J.-C. et mort en 79, lors de l’éruption du Vésuve) écrivain et naturaliste, auteur des 160 volumes de son « Histoire naturelle ».
    Cette encyclopédie regroupe l’essentiel des savoirs de son temps et fourmille de renseignements précieux et de petites histoires
  • Lucius Annaeus Seneca, dit Sénèque (né en 4 av. J.-C., mort en 65 ap. J.-C., acculé au suicide),
    philosophe de l’école stoïcienne, conseiller de Caligula puis de Néron, auteur des Lettres à Lucillius, vraisemblablement vers 63-64.

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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