Un brin de mythologie : le voyage
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Religion
Souvenez-vous ! Souvenez-vous de moi et je serai immortel ! J’étais roi de Mycènes quand je suis parti pour le grand voyage. J’ai reçu tous les honneurs funéraires dus à mon rang. J’ai eu sépulture dans le grand cercle des tombes, près de la porte des Lionnes. Mes enfants ont mandé le meilleur artisan qui moula sur mon visage une feuille d’or pur… C’était il y a presque 3500 ans…
Tout dans notre sémantique, nourrie par plus de 35 siècles d’histoire et de légendes, renforce ces idées de départ, de voyage, de passage dans ce que nous souhaitons être une autre réalité, l’autre monde.
De mémoire d’Homme, nous avons admis ces notions, départ, grand voyage… parce que nous avons besoin, pour la plupart d’entre nous, de plaquer des mots, des concepts sur ce qui nous reste incompréhensible et que nous ne pourrions comprendre autrement : la mort.
Le principe même de l’immortalité des âmes est sûrement l’un des plus vieux concepts de l’Humanité, même s’il ne se manifeste pas partout en même temps, avec la même force et de la même façon.
Dans notre civilisation occidentale, les premiers témoignages écrits datent d’Homère((IIliade et Odyssée, VIIIe siècle avant J.-C. Homère serait né vers 850 et mort vers 800.)) et d’Hésiode((Théogonie, VIIIe siècle avant J.C.)). Ils formalisent bien sur une situation et des idées beaucoup plus anciennes.
Rappelez-vous, dans l’Iliade, les Hellènes pensaient que le séjour des morts, l’Erèbe, se trouvait caché dans les entrailles de la Terre, à mi-chemin entre la voûte céleste où règnent les Olympiens et le Tartare où sont enfouis les Dieux déchus et les réprouvés éternels. Un Tartare aussi loin sous l’Hadès que le ciel l’est au-dessus de la Terre.
Nous venons d’appeler Hadès, le royaume des ombres, le monde des morts, l’enfer. Pauvre Hadès honteusement défavorisé par un tirage au sort comme Poséidon le raconte lui-même
« Nous sommes trois frères, issus de Cronos, enfantés par Rhéa, Zeus et moi et un troisième, Hadès. Le monde a été partagé en trois, chacun a eu son apanage. J’ai obtenu pour moi, après tirage au sort, d’habiter la mer blanche à jamais, Hadès a eu pour lot l’ombre brumeuse, Zeus le vaste ciel en plein éther, en plein nuage »
Voilà donc comment Hadès commença à régner sur un monde de brumes, aux portes bien closes, un monde inaccessible, en principe, aux mortels comme aux immortels.
Les honneurs funéraires rendus, la sépulture scellée, les humains s’écartent, l’âme entame son voyage avec pour guide Hermès Psychopompe, le maitre d’Hypnos((Hypnos, personnification du sommeil et son frère Thanatos, personnification de la mort sont les fils jumeaux de Nux, la nuit)), « tranquille et doux pour les humains », et de Thanatos, « au cœur de fer et à l’âme d’airain ».
De nombreux chemins, cavernes et lacs, s’ouvrent à la surface de la terre pour ce départ : le lac Averne dans les Champs Phlégréens (au Nord de Pouzzoles, en Campanie, non loin de Naples) ou les grottes de Cumes, étaient pour nos anciens l’une de ces portes.
Guidée par Hermès, l’âme arrive devant l’Achéron((Description selon le poète comique grec Aristophane (445- 385/375 av. J.-C), le poète latin Virgile (70-19av. J.-C.), puis, beaucoup plus tard, le poète et homme politique florentin Dante (1265- 1321) )), ce fleuve qu’il faut traverser sur la barque du nocher Charon. Un fleuve parfois décrit comme un mixte chaotique de feu et d’eau stygienne glaciale((Théogonie)). Fils d’Erèbe, les ténèbres, et de Nux, la nuit, Charon peut refuser le passage à ceux qui dorment sans sépulture ou qui n’ont point d’obole pour payer leur traversée((Une pièce, l’obole, était placée dans la bouche du défunt ou sur ses yeux.)).
Quand la barque aborde sur l’autre rive, l’âme atteint enfin le terme de son « grand voyage ».
Après le débarcadère, au bout d’une allée de saules et de peupliers, apparait, entre deux colonnes de diamants, la lourde porte d’airain : la porte des enfers !
Là, Cerbère, le chien d’Hadès, monstre irrésistible à trois têtes, garde jalousement le royaume de son maître. Il flatte les arrivants de la queue et des oreilles, alors ils passent le seuil… puis il leur interdit tout retour. Cerbère n’a que peu échoué dans ses gardes, seuls Orphée et sa cithare, Psyché et Enée avec leurs gâteaux drogués ou encore Héraclès qui l’enchaîna puis le libéra, trompèrent sa vigilance.
L’âme pénètre donc enfin dans le royaume des morts pour affronter son tribunal, disposé sur une prairie d’asphodèles, et donc ses juges Minos, Rhadamanthe((Fils de Zeus et de la nymphe Europa.)) et Eaque((Fils de Zeus et de la nymphe Egine.)). Eaque, le seul à détenir le sceptre et à posséder les clefs du royaume des morts !
En fonction de la vie terrestre qu’elle a vécue, l’âme se trouve alors aiguillée :
- Soit vers la droite, vers le séjour des justes et des héros, qui recevront d’autant plus de lumière, vers les « Champs-Élysées » aux prairies fleuries qui bordent le palais d’Hadès et de son épouse, Perséphone((Corès, fille de Zeus et de sa sœur Déméter, la déesse de l’agriculture et des moissons, enlevée par son oncle Hadès.)).
« Les Immortels t’emmèneront chez le blond Rhadamante
Aux champs Élyséens, qui sont tout au bout de la terre.
C’est là que la plus douce vie est offerte aux humains ;
Jamais neige ni grands froids ni averses non plus ;
On ne sent partout que zéphyrs dont les brises sifflantes
Montent de l’Océan pour donner la fraîcheur aux Hommes »
(Trad. Frédéric Mugler, 1995)((Odyssée)).
- Soit vers la gauche, vers les mondes ténébreux, là où les réprouvés endurent des souffrances proportionnelles aux fautes commises.
Il reste aussi le Tartare, aussi loin sous l’Hadès que le ciel sur nos têtes ! Un triple rang d’airain enceint sa bouche étroite. Lieu d’une clôture irrémédiable, il est cet abîme immense dont on ne pourrait atteindre le fond, une année entière se fut-elle écoulée depuis qu’on aurait franchi sa porte. Là soupirent les Titans, les Géants, Tantale et Sisyphe…
Au bout de 1000 ans dans les enfers, les âmes purifiées se réincarnent. Avant de pénétrer leur nouvelle enveloppe charnelle elles doivent boire l’eau du fleuve Léthé(( Le fleuve de l’oubli)) pour oublier leurs vies antérieures.
« Mais moi, j’ai déjà été un garçon, une fille et un muet poisson qui bondit hors de la mer »((Philosophe et médecin d’Agrigente (Sicile) Empédocle, circa 490-435 av. J.-C.)).
Au fond, arrivée au bout de son voyage, l’âme n’a plus qu’à s’armer de patience… 1000 ans en salle d’attente avant de refaire le voyage à l’envers. Si nous comptons bien, notre roi mycénien s‘est déjà incarné 3 fois et piaffe d’impatience … En 2500, il sera de nouveau parmi nous ! Ce qui rend dubitatif le philosophe.
Il vient nous dire que la survie n’est au fond que le souvenir que l’on garde de nos morts, le temps figé que les rites s’efforcent de prolonger, la durée d’une fondation, d’un monastère ou d’un collège de prêtres…
Mais alors pourquoi faire survivre ou tenter de faire survivre ceux qui accèdent à l’immortalité ?
Chaque humain laisse une trace indélébile, creuse un sillon. Le souvenir s’efface, le nom s’oublie un jour, l’œuvre devient anonyme mais s’inscrit dans la noosphère((La sphère des connaissances, un monde crée et entretenu par l’Homme (média, livres, films, documents de toute sorte, monuments…), toute une information extra somatique qui caractérise l’Homme.)), c’est à dire dans l’accumulation de connaissances, de civilisations, de cultures qui naquirent dès le premier Homme. Dans cette noosphère-là chacun garde, possède une part d’immortalité.
Et, finalement, cette part d’immortalité ne disparaitra que lorsque s’éteindra la dernière mémoire humaine, quand il n’y aura plus personne pour se souvenir, ni matière à se souvenir, quand plus aucune prière ne s’élèvera vers les Dieux !