La Saint Valentin, une fête romaine ?
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Empire romain
De toutes les sources dont nous disposons, nous pouvons dire clairement que rien ne permet de rattacher la célébration actuelle de la Saint Valentin avec une quelconque fête romaine. Se célébrant un 14 février, qui est un jour néfaste, elle n’est proche que des ides de février et des Lupercales. Or ces fêtes ont peu de rapport avec la fête des amoureux, pas même l’histoire du saint éponyme.
Saint Valentin, qui es-tu ?
Il y eut plusieurs saints de ce nom, mais l’Eglise catholique ne conserve officiellement que celui de Valentin, évêque supposé de Terni, les autres étant des martyrs douteux partageant la même légende que le premier. Valentin de Terni aurait été décapité le 14 février 269, ce qui suppose qu’il était citoyen romain et peut-être de bonne famille, pour avoir guéri (et ainsi converti) la fille de Claude II le Gothique de sa cécité. Il fut enterré aux abords de la Via Flaminia.
Une tradition médiévale semble en avoir fait le patron des amoureux, mais sans qu’on en sache la raison. Peut-être y a-t-il eu une confusion avec la légende de Sainte Valentine, vierge qui fut brûlée vive en 308 pour avoir renversé le braséro sur lequel on voulait qu’elle sacrifiât aux dieux romains. Dans la mort, elle était enfin unie avec le Christ son divin « époux ». Cependant faut-il y voir le point de départ de la tradition avec cette sainte méconnue, martyre en même temps que Théa et Paul à Césarée de Philippe ?
Il semble plutôt probable que des légendes aient été accolées à Saint Valentin, parce que la fête des amoureux se passait ce jour-là, tout simplement.
Origines de la Saint Valentin
Les plus anciennes traces que nous avons de la Saint Valentin remonteraient au XVe siècle avec Charles d’Orléans. Des légendes racontent comment ce prince poète, prisonnier en Angleterre, aurait envoyé des lettres d’amour un 14 février à Marie de Clèves. Mais ce ne sont que des légendes, rien n’est sûr si ce n’est que Charles épousera Marie lorsqu’il reviendra de sa longue captivité : plus d’un quart de siècle. Ceci aurait pu provoquer l’émergence d’une célébration de l’amour en ce jour, et qui deviendra populaire en Angleterre. Car c’est bien d’Angleterre que nous vient cette tradition.
La plus ancienne trace certaine de célébration de cette fête se trouve chez Shakespeare, où dans Hamlet, la belle Ophelia chante :
To-morrow is Saint Valentine’s day. All in the morning betime, And I a maid at your window, To be your Valentine. Then up he rose and donned his clo’es And dupped the chamber door, Let in the maid, that out a maid, Never departed more. |
Bonjour ! C’est la Saint-Valentin. Tous sont levés de grand matin. Me voici, vierge, à votre fenêtre, Pour être votre Valentine. Alors, il se leva et mit ses habits, Et ouvrit la porte de sa chambre ; Et vierge elle y entra, Et puis jamais vierge elle n’en sortit. |
Ce poème du XVIIe siècle, dans la traduction de Victor Hugo, atteste d’une fête connue mais qui ne nous dit rien de ses origines réelles, si ce n’est qu’elle est reliée à Saint Valentin.
Les Lupercales
On rapporte souvent que le pape Gélase Ier en 494 aurait fixé la fête de la Saint Valentin au 14 février, pour mieux faire oublier la fête des Lupercales célébrée par les Romains les 13 et 15 du même mois. Que la fête ait été fixée ce jour-ci ne fait aucun doute, il est de tradition de fêter un saint le jour anniversaire de sa naissance dans les Cieux, mais que le but avoué fût d’éradiquer les Lupercales est plus douteux. Les sources qui parlent de cette volonté évangélisatrice remontent au VIIIe siècle.
La fête des Lupercalia célébrait la louve de Rome qui avait allaité Romulus et Remus, et donnait lieu à un sacrifice de bouc, les jumeaux ayant été découverts par Faustulus et Acca Larentia sous un figuier mâle, nommé aussi caprifiguier (figuier des chèvres). Le prêtre sacrificateur coupait également de son couteau le front de deux jeunes hommes, qui devaient alors rire aux éclats. Ceux-ci prenaient alors des lanières faites dans la peau du bouc sacrifié et parcouraient les rues de Rome pour fouailler les femmes qu’ils rencontraient afin de les rendre fécondes. Ce rite aurait été donné à Romulus par Junon Lucine (qui préside aux accouchements) afin de guérir les Sabines, que ses Romains avaient enlevées, pour les guérir de leur stérilité. Une survivance de cette tradition a pu découler éventuellement sur une célébration de la Saint-Valentin telle que nous la connaissons, mais on n’en garde aucune transmission à travers le Moyen-Âge, contrairement à certaines fêtes des Balkans célébrées au moment de la Chandeleur et qui survivent jusqu’à aujourd’hui.
A noter que lors des Lupercales de 44 avant Jésus-Christ, aux Ides de février, Jules César obtenait la dictature perpétuelle du Sénat et Marc-Antoine essaya par trois de ceindre une couronne royale sur la tête de Jules César, qui refusa systématiquement sous les applaudissements de la foule. César se prétendant descendant de Iule (Ascagne) comme le nomen Iulius s’en rapproche, et donc descendant d’Enée, on comprend bien le drame qui se joue là : en pleine célébration du fondateur de l’Urbs, on lui remet les pleins pouvoirs, ce qui aux yeux de certains a pu figurer une tentative de « Restauration » de la royauté romaine, alors que les Romains abhorraient la royauté. Mais le refus de cette couronne, portée dans le temple de Jupiter Capitolin, n’y fit rien : aux Ides suivantes, il mourait assassiné dans le Sénat.
Cupidon ou l’amour aveugle
S’il y a une chose que l’on peut relier entre la Saint Valentin et les légendes romaines, il s’agit bien de Cupidon (ou Eros pour les Grecs). Ce fils de Vénus et de Mars a la fâcheuse habitude de déclencher les passions, ou de les extirper, dans le cœur des hommes et des femmes au moyen d’une flèche tirée avec son arc. Mais pardonnons lui, il le fait le plus souvent sur injonction de sa mère. Précisons en passant que c’est bien Cupidon le dieu de l’amour-éros, et non sa mère Vénus qui est plutôt une déesse des passions au sens large, ce qui explique que cette dernière soit aussi une déesse guerrière et protectrice de la Légion VIII Augusta.
Cupidon est parfois représenté avec un bandeau sur les yeux, signifiant par-là que l’amour est aveugle dans ses cibles, et donc que l’amour rend aveugle également. Cette tradition est à rapprocher de la légende d’Eros (l’amour) et Psyché (l’esprit). Cette dernière qui est son épouse ne voyait pas son visage car il ne revenait que la nuit, c’est en essayant de le voir à la lumière d’une lampe à huile qu’une goutte tombe et le brûle, provoquant sa fuite : il est parfois dangereux de raisonner l’amour…
L’importance de Cupidon fut cependant moindre chez les Romains que chez les Grecs, la peinture romaine utilisant plutôt des Amours qui partagent les attributs de ce dieu, à la différence près qu’ils sont beaucoup plus nombreux. Les Amours sont souvent représentés comme la force active de la vie dans les peintures des murs des jardins où ils sont associés à Dionysos.
Mais d’où viennent ces cœurs ?
Pour finir, comment parler de Saint-Valentin sans évoquer les cœurs ? On a longtemps cherché l’origine de ce symbole, sans qu’aucune hypothèse ne semble déterminante. On a évoqué la forme stylisée du cœur humain, ou d’un cœur d’animal, mais sans grande pertinence. On a supposé également la ressemblance avec des fesses et un pubis féminin, rappelant les Vénus préhistoriques et leurs formes généreuses, mais ce symbole n’est pas aussi ancien ; ou même des testicules de taureau qui figurent par exemple sur le disque de Phaistos (IIe millénaire av. JC), interprétation plutôt olé olé si on peut se permettre ce calembour tauromachique, les linguistes penchant plutôt pour une abeille vue de dessus : mais rien n’interdit qu’il puisse y avoir un lien entre l’abeille et le cœur.
Actuellement on penche plutôt pour une graine de silphium, qui est la représentation la plus ancienne que l’on connaisse de notre symbole du cœur. Cette graine est représentée sur des monnaies d’argent de Cyrène au VIIe siècle av. JC. Le silphium, qui a aujourd’hui disparu (Néron en aurait reçu le dernier spécimen), a fait pendant des siècles la fortune de cette cité grecque de Libye, en particulier via sa résine connue sous le nom de laser et qui entrait dans la composition d’un grand nombre de médicaments : une véritable panacée. Cette plante étant également utilisée comme contraceptif et abortif, comme l’indique Soranos d’Ephèse : « Les femmes doivent boire le jus de silphium avec de l’eau une fois par mois car il empêche non seulement la conception, mais détruit aussi tout ce qui existe. » Connaissant les mœurs sexuelles des Romains de la haute société, qui veillaient à ne pas avoir trop d’enfants, il est possible que cette graine ait pu donner libre cours à leur volupté et ainsi en faire un symbole de l’amour.