Les tablettes de défixion

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Les tablettes de défixion sont dans l’Antiquité une pratique de sorcellerie destinée à maudire une personne ou à se protéger d’une autre, au moyen de l’invocation de divinités du monde souterrain.

Sources antiques

Nombreux sont les auteurs latins qui relatent diverses formes de magie, mais seul Ovide dans les Fastes (II, 575) semble évoquer la défixion : Tum cantata ligat cum fusco licia plumbo / Et septem nigras versat in ore fabas (Alors [la vieille femme] attache les liens enchantés avec du plomb obscur / Et fait tourner sept fèves noires dans sa bouche). Cependant tous les manuscrits ne donnent pas plumbo mais rhombo, rhombus désignant le fuseau, ce qui est complètement en lien avec licium qui désigne le fil de la trame, et ce qui change complètement la nature de cet acte magique ! Seule la suite du poème indique des similitudes avec les textes des fameuses tablettes. Par ailleurs le terme de tabulae defixionum est une création scientifique non attestée dans les textes antiques.

Découvertes

A travers tout l’Empire romain, on a actuellement découvert plus de 2000 de ces tablettes, dans des lieux aussi divers que l’Italie, l’Afrique du Nord, la Grèce ou le Proche-Orient. Une trentaine de sites de Gaule ont révélé ces objets. Les tablettes de défixion découvertes en Gaule sont rédigées dans différentes langues, dont le gaulois, ce qui est une mine d’information pour les recherches sur cette langue. Les exemples gaulois de ces tablettes se trouvent essentiellement dans le sud-ouest de la France, mais on en a découvert aussi bien à Autun qu’à Paris ou au Mans.

Tablette de défixion de Couhard (Autun)

La tablette de défixion d’Autun a été découverte au Champ des Urnes dans le hameau de Couhard, en surplomb de la ville. Plus précisément, elle a été retrouvée au pied de la pyramide de Couhard au cœur d’un cimetière de l’époque antique. Le fait que ce vestige ait une vocation inconnue a naturellement ajouté à la part de légende entourant les lieux, certains s’amusant à faire courir des histoires aussi mystérieuses que mystifiantes.

Ces objets ont fréquemment été retrouvés dans les nécropoles et au fond des puits, puisque ces objets invoquent les puissances du monde souterrain. En effet les puits sont considérés, en particulier dans la culture celtique, comme des portes vers l’Autre Monde. Cependant il convient de garder à l’esprit que ces tablettes ont une origine romaine et non celtique. Le fait de les déposer auprès des stèles funéraires, voire dans les urnes, vient de l’espérance que le défunt adresse la requête du jeteur de sort aux puissances des ténèbres.

La majorité de ces tablettes sont en plomb, mais on en trouve également faites dans d’autres métaux, en pierre, ainsi que sur du papyrus (qui à ce moment étaient rangées dans des petits étuis métalliques). L’utilisation du plomb est pratique car il permet de se conserver dans le temps, est facile à trouver et à graver ; de plus ce métal est associé aux puissances infernales.

Rôle et interprétation dans la société antique

Les dieux invoqués dans ces tablettes sont le plus souvent des divinités du néfastes ou du monde des morts. La répartition des noms des divinités montre que les gens qui en faisaient usage invoquaient toutes les divinités sans discrimination d’origine. On trouve aussi bien des dieux gaulois que grecs, romains et orientaux, de même que des démons (à prendre dans son acceptation antique) : Pluton, Orcus, les Érinyes, Hermès, Hécate, Typhon, Neptune, Achalemorphô, etc. sont mentionnés. La tablette d’Autun mentionne Abrasax, démon des cultes gnostique, dont le nom serait à l’origine du mot « abracadabra ». Par ailleurs il est fréquent d’avoir des mots ou expressions mystérieuses dont on ne peut avoir de traduction, et qui apparemment doivent singer le baragouinage de magiciens supposés, par exemple « BARBAPHORPHORBARPHORBARBORABORBORBARBAPHORBABAIÊ » trouvé sur l’Agora d’Athènes.

En raison de leur caractère maléfique, ces malédictions étaient bien évidemment interdites. Plusieurs lois ou édits reprendront ces interdits, montrant par-là que ceux-ci étaient naturellement peu suivis. On note cependant des modes, puisque la majorité des tablettes de défixion découvertes datent du Ier siècle ap. J.-C. Mais leur utilisation est attestée durant tout le cours de l’Empire romain et certaines datent même du début du Moyen-Âge chrétien : on a des tablettes qui invoquent le dieu des chrétiens ou certaines de ses épithètes telles que Sabaôth.

Ces pratiques étaient communes dans l’Antiquité, et les Romains attachaient une importance au fait de nommer les victimes de leurs maléfices. Nomen (le nom) se rapproche de numen (puissance divine). Par ailleurs on distingue à peu près 5 types de malédictions en fonction de la cible : la partie adverse d’un procès (defixiones judicariae), un rival en amour ou une personne désirée (defixiones amatoriae), le domaine du spectacle, du cirque (defixiones agonisticae), un concurrent «sportif» ou économique, un voleur ou un calomniateur.

Sources

Jaques A., La langue gauloise – Les tablettes de défixion, 2011.
Gaillet C., “Une approche des tablettes magiques en Gaule romaine”, Ephesio Grammata, 1, 2007, Varia.
Marcillet-Jaubert J., “Tabella defixionis Avgvstodvnensis”, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, Bd. 33, 1979, p. 185-186.
Martin M., Sois maudit ! Malédictions et envoûtements dans l’Antiquité, Paris, 2010.
Et un site qui recense un grand nombre de tablettes de défixion : http://tabellaproject.e-monsite.com/

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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