Le prix des choses

Par • Publié dans : Armée romaine

Revenus et pouvoir d’achat du Légionnaire Flavien

La bataille d’Actium ( 2 septembre 31 av. J.-C.) fit d’ Octave le maître du Monde romain mais le laissa face à une difficile et nécessaire restructuration de l’ armée.

Les effectifs militaires dépassant de beaucoup les besoins et les moyens de Rome, il démobilisa progressivement 300 000 soldats et réduisit les troupes au minimum nécessaire pour garantir la paix dans l’Empire et sécuriser ses frontières.

Auguste institua la permanence des légions avec un service de longue durée. Elles constituèrent désormais le cœur d’une armée impériale répartie sur les frontières (voir le tableau ci-dessous) . Chaque année, leur renouvellement partiel, basé essentiellement sur le volontariat, mobilisa seulement quelques milliers d’hommes.

Lorsqu’il accède au pouvoir, en 69, Vespasien hérite des vingt cinq légions laissées par Auguste plus des trois crées par ses successeurs. Il dissout les I, IV Macedonica, XV Primigenia et XVI, toutes quatre coupables, à ses yeux, d’avoir prêté serment à «l’Empire des Gaules» et les remplace par cinq autres. L’effectif légionnaire se trouve ainsi augmenté d’une unité.

Région Nombre de Régions sous Auguste Nombre de Régions sous Vespasien
Syrie 4 3 L’armée d’Orient se renforce et aligne un total de six légions
Cappadoce 0 2
Judée 0 1
Egypte 2 2
Afrique 1 1
Bretagne 0 4
Espagne 3 1 La garnison de la péninsule ibérique se réduit à une seule légion.
Germanie 8 8 L’armée du Rhin retrouve ses effectifs traditionnels.
Mésie 2 4 L’armée danubienne passe de quatre à six légions.
Pannonie 3 2
Illyricum 2 0 Après la révolte de l’an 9, Auguste supprime cette province dont il répartit les terres entre la Pannonie, au Nord et la Dalmatie, au Sud.
Dalmatie 1 1
Total 25 29 Vespasien dispose de cent cinquante mille légionnaires.
Les réserves mobiles de Rome Au terme de ce redéploiement, restent seules en réserve : une légion en Espagne, une en Dalmatie, une cohorte à Carthage, une autre à Lyon, les flottes de Ravenne et de Misène, la garnison de l’Urbs avec ses neuf cohortes prétoriennes et ses trois cohortes urbaines.

Le maintien et le renforcement des frontières naturelles qui suivent les cours du Rhin et du Danube deviennent une préoccupation majeure pour les Flaviens. Ils mettent en place une véritable ligne de défense sur les berges des deux fleuves : fortins, camps-forteresses, retranchements, tours de guet : le limes ((Limes, itis, m. Ce mot, dans cette acception, est attesté pour la première fois dans Tacite (en 95) : « inter castellum Alisonem ac Rhenum nouis limitibus aggeribusque permunita » (Annales, 2,7) )). En arrière, un important réseau routier permet de déplacer rapidement les légions, d’acheminer matériel et vivres…

Auguste et Vespasien modifient la répartition du peuplement de l’Empire. De nouvelles concentrations urbaines se développent autour des forteresses du limes (comme Argentorate). Cette frontière crée une zone de prospérité car « payés avec régularité, sans parcimonie excessive et avec de beaux deniers, de belles pièces d’argent » ((Y.Le Bohec, L’armée romaine, Paris, 1998, p. 272.)) les légionnaires jouissent d’une certaine aisance.

Leur vie devient une vie de garnison. Elle s’écoule, pendant de nombreuses années, dans ces forteresses et leurs canabae où se mêlent deux mondes, celui des civils et celui des militaires.

Les revenus du soldat

Le stipendium ((Stipendium, ii, n. : ce terme désigne aussi bien la solde militaire que l’année de campagne.)), la solde, représente l’essentiel de la fortune du légionnaire flavien. D’autres sources de revenu, occasionnelles, la complètent : indemnités, donativa accordés lors d’un avènement ou d’un triomphe, parts de butin…

La solde de base : 250 puis 300 deniers.

Le soldat romain compte au nombre des rares salariés de l’Antiquité. Il reçoit sa paye annuelle en trois stipendia (versements) les 1er janvier, 1er mai et 1er septembre. Un seul texte, de Tacite, nous permet d’estimer son montant au début du premier Ier après J.-C. : A la mort d’Auguste les mutins de Pannonie (cf. Révolte en Pannonie) se plaignent de la maigreur de leur solde :

Dix as par jour, voilà le prix qu’on estimait leur âme et leur corps(( Tacite, Annales, 1, 17, 4))

Les soldats reçoivent donc 225 deniers par an et, malgré leur révolte, il n’est à aucun moment question pour Tibère de satisfaire cette revendication (( Gilles Mundubeltz: « Les séditions dans les armées romaines, de 218 avant J.-C. à l’an 14 de notre ère. » Thèse Université de Bordeaux , 2000 .)).

Soixante dix ans plus tard, après ses victoires en Germanie, sur les Chattes, Domitien accorde aux

soldats un quatrième terme de paiement en trois pièces d’or. (( Suétone, Domitien, 7, 5))

Ce « quartum stipendium » ((« Addidit et quartum stipendium militi aureos ternos » (Suétone, Domitien, 7,5)) de trois pièces d’or ou 75 deniers (un aureus vaut 25 deniers) porte la solde annuelle à 300 deniers, à partir de 83 ou 84 ((M. Alexander Speidel, Roman Army Pay Scales, J.R.S. vol.82, 1992.)).

Dion Cassius rapporte des chiffres semblables :

 Il a augmenté le salaire des soldats, peut-être à cause de cette victoire, commandant que 400 sesterces devraient être donnés à chaque homme, au lieu de 300 qu’il avait reçus((( Dion Cassius, 47, 3,5)).

Si les deux auteurs s’accordent sur le chiffre de l’augmentation, 75 deniers, ils divergent sur ses modalités: d’après Suétone, elle consiste en un quatrième versement, alors que d’après Dion Cassius trois termes de 400 sesterces (ou 100 deniers) remplacent ceux de 300 sesterces (ou 75 deniers).

Le « stipendium domitiani » n’aurait donc pas perduré. Il venait, dans un premier temps, en complément de la solde annuelle puis, dans un deuxième temps, il fut intégré aux trois stipendia, l’armée romaine reprenant sa routine.

Ces rares données ne doivent pas faire illusion : les textes latins contredisent l’image d’un légionnaire à solde unique. Ils mentionnent des sesquiplicarius (une solde et demi) des duplicarius (double solde), des triplicarius (triple solde) ((L’épigraphie ne révèle l’existence que d’un seul triplicarius, A.E.1976, 495.))… Ils font soupçonner l’existence de toute une hiérarchie basée probablement sur l’ancienneté, les rengagements volontaires, la valeur militaire, le degré de spécialisation et la fonction, de bonnes relations avec les centurions…(ça aide parfois !).

De même, cavaliers légionnaires ou cavaliers auxiliaires, fantassins auxiliaires ou matelots ne perçoivent pas les mêmes émoluments. Les Prétoriens sont, bien sûr, les plus choyés.

Le tableau suivant propose une estimation des salaires dans le monde de la Légion ((M. Alexander Speidel, Roman Army Pay Scales, J.R.S. vol.82, 1992.)), ((Y. Le Bohec, L’armée romaine, Paris,1998, p.227.)) :

Salaires annuels exprimés en deniers

D’Auguste à Domitien
avant 84
De Domitien à Septime Sévère
de 84 à 197
Speidel ((M. Alexander Speidel, Roman Army Pay Scales, J.R.S. vol.82, 1992.)) Le Bohec ((Y. Le Bohec, L’armée romaine, Paris,1998, p.227.)) Speidel Le Bohec
Miles legionis Legionnaire 225 225 300 300
Sesquiplicarius 337,5 462,5
Duplicarius 450 600
Centurion 3375 3750 4500 5000
Centurion Primus ordo 6750 7500 9000 10000
Centurion Primus pilus 13500 15000 18000 25000

(1 denier = 4 sesterces = 16 as)
L’échelle des salaires varie de un à soixante ou de un à quatre vingt selon les estimations. Le tiro (la recrue) et le primipile n’appartiennent donc pas au même monde !

La progression de la solde, sous Domitien, touche tous les échelons et pratiquement dans les mêmes proportions : un peu plus de 33,3% pour le « miles legionis », le centurion ou le primipile.

Elle représente autour de quatre années de la solde de base pour un centurion, quinze à trente – trois ans de cette même solde pour un primipile ! Pas le même monde, disions-nous!

Des indemnités à réclamer

Les textes littéraires évoquent d’autres sources de revenus. Le soldat peut bénéficier d’indemnités, comme le clavarium, une allocation pour renouveler les clous de ses caligae. Après leur victoire de Crémone, les troupes du parti flavien, engagées dans de longues marches, ne se gênent pas pour la réclamer :

« De plus on était dans un pays ruiné par la guerre et la disette jointe aux cris séditieux des soldats qui demandaient le clavarium , c’est une sorte de gratification » ((Tacite, Histoires, 3, 50))

Demander une indemnité à ses généraux est une chose, la solliciter auprès de l’Empereur lui-même, surtout s’il s’appelle Vespasien, en est une autre :

« Les matelots qui vont, tour à tour, à pied d’Ostie et de Pouzzoles à Rome lui demandèrent une indemnité pour les chaussures .Il les renvoya sans réponse. Il fit plus, Il leur ordonna d’aller désormais pieds nus, et, depuis ce temps, ils vont ainsi » ‘(Suétone, Vespasien, 8, 5))

Des gratifications particulières s’ajoutent à la solde. Donativa et liberalitates marquent les événements « heureux » tels l’avènement d’un César ou un triomphe mais restent des compléments occasionnels.

À Rome, le pouvoir monarchique se légitime par la victoire militaire. Avec la mort de Néron, chaque prétendant au titre suprême comprend que, dans leurs camp, loin de Rome, les légions font et défont les empereurs ((« Evulgato imperii arcano posse principem alibi quam Romae fieri » (Tacite, Histoires, I,4,2) ) ou « On peut faire un empereur ailleurs qu’à Rome, dans les camps militaires ».)). Chaque candidat à l’empire tente donc de sceller son avènement par des promesses, souvent non tenues, ou par l’octroi d’une gratification, notamment aux prétoriens.

Pour avoir refusé le donativum aux prétoriens (Tacite, Histoires, I, V) et ne pas tenir les promesses faites, Galba perd le pouvoir et la vie :

« Avant son arrivée, les chefs, en jurant de lui obéir, avaient promis une gratification plus forte qu’à l’ordinaire. Galba ne ratifia point cette promesse, et dit tout haut plusieurs fois qu’il avait coutume de lever les soldats et non de les acheter. » ((Suétone, Galba, 16,2))

Les légions de Germanie n’apprécient guère ces déclarations :

« privées des récompenses qu’elles attendaient de leurs services contre les Gaulois et contre Vindex. Elles osèrent donc les premières rompre tout lien d’obéissance . En même temps, elles arrêtèrent qu’on dépêcherait aux prétoriens pour leur dire qu’elles étaient mécontentes de l’empereur élu en Espagne, et les charger d’en choisir un qui eût le suffrage de toutes les armées. » ((Suétone, Galba, 16, 4 et 5))

et elles offrent l’Empire à Vitellius.

Quelques temps plus tard, Vespasien semble faire preuve d’une générosité mesurée avec sa légendaire « âpreté au gain qui, selon les circonstances, s’apparente à une avarice sordide ou est au service du bien de l’Etat » ((C. Salles, La Rome des Flaviens, Paris, 2002, p.91.)).

« Il n’offrit pas plus pour la guerre civile que d’autres en pleine paix : ennemi sagement inflexible de ces largesses qui corrompent le soldat et par cela même mieux obéi de son armée. » (Tacite, Histoires, 2, 82)

Formule flatteuse, mais bien vague, hélas ! Qui ne nous renseigne pas sur l’importance de ses « largesses ».

Les triomphes sont l’occasion de liberalitates . Lors de leur vingt- huit ans de règne (69-96) les Flaviens en organisent deux :

En juin 71, Vespasien et Titus, accompagnés de Domitien, célèbrent la victoire de Rome sur les Juifs. Flavius Josèphe appartient à l’entourage immédiat des Flaviens et nous décrit par le menu une somptueuse parade au terme de laquelle Vespasien

« envoya les soldats au repas que les empereurs ont coutume de leur faire préparer » (( Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, VII))

Mais Josèphe ne mentionne aucun donativum. Il est vrai que, après la prise de Jérusalem, tous les soldats des légions de Titus regorgeaient de butin ((Titus disposait de quatre légions ( V, X, XII et XV) et Flavius Josèphe prétend que tous les soldats regorgeaient de butin au point qu’en Syrie l’or se vendait à la moitié de sa valeur antérieure (Guerre des Juifs).)). Quant aux légionnaires de la VIII, ils avaient pillé Crémone pendant quatre jours.

Nous n’en savons pas plus sur les libéralités de Domitien qui, en 89,

« Après divers combat contre les Chattes et les Daces l’empereur célébra un double triomphe » ((Suétone, Domitien, VI, 2))

Le Butin, « PRAEDA !! »

Voila bien la plus lucrative mais la plus dangereuse, temps de guerre oblige, des rentrées exceptionnelles.

Des intérêts contradictoires opposent soldats et état-major : la « deditio in fidem », la capitulation, reste le seul moyen, pour une cité, d’éviter la mise à sac. Chaque général espère ainsi que sa clémence suscitera de nouvelles redditions économes en temps et en hommes. Le soldat de base, lui, pense tout autrement : il rêve au produit d’un bon pillage.

Concilier ces deux points de vue relève souvent du grand art (militaire, bien sur !). Parvenues devant Crémone, pourtant solidement fortifiée par les légions de Germanie, les troupes flaviennes, dont la VIII, expriment haut et fort leurs craintes de voir leur échapper la part de butin qu’elles convoitent :

« Si on attendait la lumière, ce serait l’heure de la paix, des prières, et qu’ils n’emporteraient d’autre prix de leur sang et de leurs travaux qu’un vain renom de clémence et de gloire tandis que les richesses de Crémone passeraient aux mains des préfets et lieutenants : Quand une ville est prise de force, le butin appartient aux soldats ; rendue il est aux chefs. Déjà ils méconnaissent centurions et tribuns, et, pour que nulle voix ne puisse être entendue, ils frappent sur leurs boucliers, tout prêts à braver le commandement si on ne les mène à l’assaut.» (Tacite, Histoires, 3, 19)

Ce butin peut revêtir une importance extraordinaire et Titus, après la prise de Jérusalem (septembre 70), n’hésite pas à combler ses soldats :

“Il [Titus] ordonna à ceux qu’il avait préposés à cette tache de nommer tous les soldats qui s’étaient distingués par des actions d’éclat dans cette guerre. Il les appelait successivement lui-même par leurs noms, et, quand il les voyait s’avancer, les louait comme si c’étaient ses propres exploits dont il était fier. Il mettait autour de leur tête des couronnes d’or, leur donnait des colliers d’or, de petits javelots d’or, des enseignes en argent [ phalères ?]; chacun d’eux était élevé à un rang supérieur.….Il leur distribuait en abondance de l’argent de l’or, des vêtements et autres objets, puisés dans la masse du butin. » ( Flavius Josèphe, Guerre des juifs, VII , 3)

Le légionnaire dont la valeur militaire est reconnue par ses officiers s’ enrichit de façon immédiate et conséquente. Il progresse aussi dans la hiérarchie de l’armée et nous pouvons imaginer des accès au statut d’immunis (dispensé de corvées) ou de principalis dont le sesquiplicarius constitue le premier échelon.

Des avantages fiscaux non négligeables

Les soldats et vétérans bénéficient d’exonérations fiscales et sont dispensés du tribu (tributum capiti ou capitation) et de toute charge personnelle ou publique (munera publica) ((A. Chastagnol, Armée et fiscalité dans le Monde antique, Paris, 1977.)).

Néron confirme ces privilèges mais souligne que :

« les soldats conservaient leur immunité excepté pour les objets dont ils feraient le trafic » (Tacite , Annales, 51,3)

Domitien les dispense du portorium (droits de douane) et du vestigial (impôts fonciers). Ce privilège s’étend à leurs compagnes ou femmes, à leurs enfants et à leurs parents ((Y. Le Bohec, L’armée romaine, Paris, 1998, p.234.)).

Le pouvoir d’achat du soldat Flavien :

Des retenues à la source, « ex eos solvi », amputent la solde.

Ses revenus réguliers, prévisibles, stables ( en principe…) confèrent au miles une certaine aisance matérielle mais ils sont réduits par des déductions :

« La dessus on devait se fournir d’armes, d’habits, de tentes, la dessus racheter la cruauté de certains centurions… » (Tacite, Annales, 1, 17)

Des papyrii égyptiens fournissent d’ excellents exemples du système de retenues sur solde, évoqué par Tacite, et intéressent l’époque flavienne.

Le papyrus Fink RM 68 (publié sous le nom de P.Gen.Lat. I), daté des années 81-83, concerne deux militaires du camp légionnaire de Nikopolis et appartenant probablement à la Legio III Cyrenaica : Q.Iulius Proculus de Damascus et C. Valerius Germanus de Tyre ((R. Alston, Roman military pay from Caesar to Diocletian, J.R.S., vol. 84, 1994, p. 113-123.)).

Source :
Fink RMR 68 ou
P.Gen.Lat.I
81/83 après J.-C.
Gaius Valerius Germanus Quintus Iulius Proculus
M.A. Speidel (1992) propose des stipendia (1, 2 et 3) de 250 sesterces, évaluation critiquée par R. Alston (1994) qui suggère des stipendia de 300 sesterces.
1 2 3 1 2 3
Foin 10 10 10 10 10 10
Nourriture 80 80 80 80 80 80
Caligae et  chaussettes 12 12 12 12 12 12
Saturnalia 20 20
Etendards 4 4
Vêtements 100 145,5 60 145,5
Retenue sur le stipendium «ex eos solvi » 222 106 188 182 106 247,5
Retenue totale sur les trois stipendia 516 sesterces soit de 68,8% à 57,3% de la solde 535,5 sesterces soit de 71,4% à 59,5% de la solde

Le papyrus Yadin 722.4, daté de 74/75 après J.-C., rapporte les retenues sur le premier stipendium et une partie du deuxième de Caius Messius, fils de Caius de la tribu Fabia de Berutensis ((R. Alston, Roman military pay from Caesar to Diocletian, J.R.S., vol. 84, 1994, p. 113-123.)) :

Premier stipendiumex eos solvi  ou déductions (en deniers)hordiaria (foin) : XVIsumtuarium (nourriture) : XXcalligas (chaussures) : Vlorum fasciarum (lanières de cuir) : IItunica linia (tunique en lin) : VII Deuxième stipendium :hordiar a (foin) : XVsumtuarium (nourriture) : XX

Ces deux documents, espacés d’une dizaine d’années, soulignent un même prélèvement « in victum » de 80 sesterces ou 20 deniers, sur chaque stipendium, qui pourrait donc être forfaitaire. La règle de retenir sur la solde le coût de la nourriture a du être un moyen de limiter les conséquences de la hausse des prix agricoles sur le niveau de vie des soldats par le gel de cette retenue forfaitaire à son taux coutumier ((M. Corbier, Armée et fiscalité dans le Monde antique, Paris, 1977, p.84.)).

La copie d’un autre papyrus (BGU 1564= SP395) venant d’Egypte et daté des environs de 138 après J.-C., mentionne l’achat d’une tunique militaire en laine (1,55×1,40m et 1,6 kg ) au prix de 6 deniers et l’achat d’un sagum (2,66×1,77m pour 1,6 kg) à 6 deniers.

L’acquisition d’ un manteau et d’ une tunique représenterait entre 4 et 5 % de la solde de base annuelle, soit autour d’un demi-mois de solde (18, 75 deniers avant Domitien ou 25 deniers après Domitien) une dépense non négligeable !

Les dépôts obligatoires ou volontaires

« Nos aïeux ont établi l’usage de garder en dépôt prés des enseignes la moitié des sommes que la largesse impériale accorde aux soldats…Chaque cohorte disposait de dix bourses en cuir dans lesquelles on mettait l’argent. On ajoutait un onzième sac dans lequel chaque légionnaire déposait une obole et, lorsqu’un soldat mourrait, on en tirait la somme nécessaire à sa sépulture. » (Végèce, De re militari, II, 20)

Le soldat doit consigner une partie de sa solde auprès de la caisse de son unité. Ces dépôts forcés, recouvrables en fin de service, reviennent aux héritiers, en cas de décès. Ils ne peuvent rester que modiques compte-tenu de toutes les déductions déjà opérées et ne nous semblent pas pouvoir atteindre la moitié du salaire, comme l’indique Végèce.

Cette épargne forcée présente des avantages et des inconvénients :

Elle empêche le soldat de dépenser ce qu’il lui reste de son stipendium dans les canabae, en boissons, au gré des rencontres de fortune dans l’inévitable course aux filles, ou encore dans les jeux de dés qu’il affectionne (et il peut cumuler les trois !) .
Elle immobilise une masse monétaire considérable et la retire du circuit économique.
Cette thésaurisation peut financer une révolte comme celle de Saturninus (cf. L’affaire Saturninus, 88/89 après J.-C.) si bien que, la sédition écrasée, Domitien

« défendit de doubler les camps des légions, et ne souffrit pas qu’on reçu des dépôts de plus de 1000 sesterces, parce que L. Antonius qui avait deux légions réunies dans un même quartier d’hiver, avait été encouragé à la révolte par l’importance des sommes mises en réserve » (Suétone, Domitien, VII, 4)

Nous pouvons remarquer que même en limitant les dépôts à 250 deniers par homme, cela constitue une réserve de un million deux cent quatre vingt mille deniers…pas très loin de la solde annuelle de base pour plus de quatre mille recrues…de quoi voir venir !

 

Computemus ! (faisons le compte !)

Nous pouvons tenter un petit calcul en prenant comme points de départ :

Une solde annuelle de 300 deniers.
Le tableau des retenues sur salaires.
L’épargne limitée à 250 deniers par Domitien.
Pour un « simple solde » le total des retenues sur salaire avoisinerait au maximum 72% de sa solde annuelle ou 216 deniers par an.

Il ne pourrait thésauriser que 250 deniers sur sa carrière, un peu moins qu’une année de solde, soit au maximum une épargne de 10 deniers par an (sur 25 ans) à 11 deniers (sur 20 ans).

Il lui resterait alors sur son stipendium 74 deniers ou 300 sesterces , c’est à dire autour de 3 as par jour comme « argent de poche ».

Le même calcul pour un sesquiplicarius nous conduirait à 5 ou 6 as par jour et pour un double solde à 6 ou 7 as par jour.

Déductions faites de toutes les retenues, le militaire flavien peut espérer disposer au mieux de deux à sept as par jour, suivant son statut, pour ses menues dépenses.

Stipendium et salaires civils de l’époque flavienne

A Pompéi, les journaliers et les ouvriers libres gagnent 16 as par jour soit 4 sesterces ou un denier ((Karl-Wilhem Weeber, La prostitution omniprésente, in Pour la Science, Dossier Pompéi, Août 2005, p. 45. K.-W. Weeber est Professeur d’Histoire ancienne à l’Université de Wuppertal (Allemagne).)) ce qui correspond au prix moyen des salaires en Italie.

A la même époque, en Palestine, les ouvriers engagés pour la culture de la vigne reçoivent 1 denier par jour ((Evangile selon Saint Mathieu (20, 1-16), probablement rédigé entre 80 et 90, donc entre la dernière année du règne de Titus (79-81) et les premières années de celui de Domitien (81-96) : « Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec eux d’un denier par jour, et il les envoya à sa vigne… »)) tout comme celui qui cueille des plantes médicinales. Ceux qui ramassent les épis dans le champ de moisson peuvent espérer jusqu’à 4 deniers ((Ryszard Pankiewicz, Les prix et l’argent dans le Nouveau Testament, Poemerium 1, 1994.))

La solde de base d’un légionnaire , 300 deniers ou 4800 as, paraît donc inférieure à des salaires qui tournent autour de 365 deniers par an ou 5840 as. Mais qu’en est-il de son pouvoir d’achat ?

Les graffitis de Pompéi nous renseignent sur le coût de la vie dans les années 70. Une famille modeste de 3 personnes dont un esclave dépense 225 as en neuf jours soit un peu plus de 8 as par jour et par personne ((R. Etienne, La Vie quotidienne à Pompéi, Paris, 1966.)). Il faut donc dans cette cité disposer de 8 à 9 as par jour pour assurer sa subsistance.

Si notre journalier ou notre ouvrier libre dépense , en moyenne, 8 à 9 as par jour pour sa subsistance ,il ne lui reste que 7 à 8 as pour régler tous ses frais : son loyer, payer ses impôts, acquérir et entretenir ses outils, acheter ses vêtements…une tunique lui revient à quinze sesterces ( presque quatre journées de travail) et son nettoyage à quatre sesterces (une journée de besogne ). Il n’est pas sûr de trouver tous les jours sa tâche, ne reçoit pas de prime de départ à la retraite et ne peut facilement capitaliser une année de salaire.

Ainsi « le pouvoir d’achat de la solde ne couvre pas seulement le nécessaire, il autorise une part de superflu »((J.-M. Carré, Le soldat, dans L’homme romain , Paris, 2002, page 152.)). Dans une société où « la simple subsistance est problématique pour le plus grand nombre » ((J.-M. Carré, Le soldat, dans L’homme romain , Paris, 2002, page 152.)) le légionnaire nous semble privilégié. Ses stipendia, stables et réguliers, lui confèrent un avantage. « Il fait donc partie d’une classe moyenne et ses revenus le rapprochent de l’élite des plébéiens » ((A. Chastagnol, Armée et fiscalité dans le Monde antique, Paris, 1977.)).

La solde et les prix du premier siècle

Avec quelques as par jour comme « argent de bourse » que peut désirer un légionnaire ? Que peut-il acheter en dehors du marché du camp étroitement surveillé par les signiferi ?

Améliorer son ordinaire ? L’agrémenter d’un peu de luxe alimentaire avec un bon garum ? Du vin dans une caupona ? Des femmes ?

Améliorer l’ordinaire ?

Les inscriptions de Pompéi fournissent des exemples de prix au premier siècle ((R. Etienne, La Vie quotidienne à Pompéi, Paris, 1966.)), ((J.-N. Robert, Rome, Paris, 2000, p. 138.)) :

Produits Tarifs
Une livre d’huile soit 0,328 kg 4 as ce qui met le litre à 12 as ou 3 sesterces
Une livre de lard 3 as
Un kg de porc de 6 as à 8 as (deux sesterces)
Une livre de fromage frais (0,328 kg) 2 as
Un poulet 1 as
Un lapin 2 sesterces
Cinq œufs 1 as
Deux pigeons 1 denier
Un moineau 5 pièces pour deux as ou 2 pièces pour 1as
Une livre de poivre (0,328 kg.) de 16 à 60 sesterces la livre
1 modius de froment 30 as
1 modius de lupin 3 as

un denier = quatre sesterces = seize as

Le prix du blé

A Pompéi, 1 modius de blé, soit 6, 5 kg, coûte 12 as ce qui met le kg de blé à 1,8 as et la livre de pain (0,328 kg) à un peu moins de 1 as. Au même moment, en Palestine, le Nouveau testament, nous indique que le modius se vend entre huit et seize as donc, là aussi, une livre de pain se négocie autour de 1 as ((Ryszard Pankiewicz, Les prix et l’argent dans le Nouveau Testament, Poemerium 1, 1994.)).

Le prix des céréales varie en fonction des aléas climatiques : la froideur de l’hiver 91-92, ou de l’hiver 92-93, provoque la perte des blés d’hiver dans une grande partie de l’Asie mineure. Bien conseillé par les décurions de la colonie d’Antioche de Pisidie, Lucius Antistius Rusticus, ancien légat de la Legio VIII Augusta, fixe le prix maximum du blé à peu prés au double de sa valeur normale : un denier (soit 16 as) au lieu de huit ou neuf as. Ces mesures énergiques portent leurs fruits et protègent la colonie d’une flambée des cours du blé et du marché noir.

Pour remercier son gouverneur, Antioche de Pisidie le choisit comme patron et fixe son édit dans le marbre ((M. Mc Crum and A.G. Woodhead: Select documents of the Principate of the Flavian Imperators, including the year of Revolution, A.D. 68-96, Cambridge, 1966, p. 139-140.)) ((M. Corbier: L’aerarium saturni et l’aerarium militare, administration et prosopographie sénatoriale, Paris, 1974. La grande inscription honorifique, découverte en 1923 (AE 1925, 0126 = 1926, 0078), célèbre le gouvernement de Lucius Antistius Rusticus. Ce document essentiel comprend trois colonnes : – La première, écrite en belles lettres de grandeur décroissante depuis le haut jusqu’au bas, présente, dans l’ordre inverse de son déroulement, toute la carrière de Rusticus ancien légat de la VIII (cf. Le commandement de la Legio VIII Augusta). – La deuxième fournit le texte de l’édit, probablement daté de 93, que nous présentons ici. – La troisième porte, en haut, le nom du procurateur impérial qui assiste Rusticus, Lucius Calpurnius Rufus et, en bas, la place d’Antioche de Pisidie où le monument s’élève, la Tiberia platea.))

Lucius Antistius Rusticus legatus / Imperatoris caesari Domitiani / Augusti Germanici pro praetore dicit / cum IIviri et decuriones / splendidissimae coloniae Antochiensis / scripterint mihi propter hiemis asperitatem / annonan frumenti exarsisse petierintque ut / pleps copiam emendi haberet bonum / factum omnes qui Antochiensis coloniae /aut coloni aut incolae sunt profiteantur / apud IIviros coloniae Antochiensis / intra tri censinum diem quam hoc editum / meum propositum fuerit quantum quisque / et quo loco frumenti habeat et qauntum / in semen aut in cibaria annua familiae suae /deducat et reliqui omnis frumenti copiam / emptoribus coloniae Antochiensis faciat / vendendi autem tempusconstituo in / Kalendas Augustas primas quod si / quis non paruerit sciat me quid quid contra / edictum meumretentum fuerit in / comissum vindicaturum delatoribus / praemi nomine octava portione constitua / cum autem adfirmatur mihi ante / hanc hibernae asperitatis per severantiam / octonis et novenis assibus modium / frumenti in colonia fuisse et iniquissimum / sit famen civium suorum praede cuiquam / esse excedere singulos I denariussingulos modios pretium frumenti veto. /
Lucio Luci filio Galeria Rustico /
Rufo procuratori Augusti Tiberia platea.((Inscription restituée d’après le CIL AE 1925, 0126))
Lucius Antistius Rusticus, légat, propréteur de l’Empereur César Domitien Auguste Germanicus déclare,
Attendu que les duovirs et les décurions de la très splendide colonie d’Antioche m’ont écrit qu’à la suite de la rigueur de l’hiver le blé avait connu une flambée de prix, et qu’ils m’ont demandé de faire en sorte que la plèbe ait la possibilité d’en acheter ;
Que tous ceux qui sont colons ou étrangers domiciliés dans la colonie d’Antioche fassent connaître aux duovirs de la colonie d’Antioche, dans le délai de trente jours à partir de la publication de cet édit, la quantité de blé que chacun détient et en quel lieu, et la quantité qu’il se réserve pour la semence et la nourriture de sa famille pour l’année, et qu’il mette tout le reste de ce blé à la disposition des acheteurs de la colonie d’Antioche. Je décide que le jour de la vente sera le premier jour des prochaines calendes d’août. Et que ceux qui n’auront pas obéi sachent que tout ce qu’ils auront accaparé en contrevenant à mon édit sera confisqué, les dénonciateurs en recevant en récompenses un huitième comme part ;
Et comme on m’assure qu’avant ce long et dur hiver le prix du blé était dans la colonie de huit ou neuf as le modius, et qu’il serait profondément injuste que la famine de ses concitoyens fasse le profit de quiconque, j’interdis de vendre le blé à un prix supérieur à un denier ((soit 16 as)) le modius. »

Toute instabilité politique influe sur les cours. En période de troubles, vers la fin du règne de Domitien, le blé se vend un denier pour deux livres ce qui ferait 6,5 deniers le modius ((Né en Palestine et mort à Ephèse (Turquie) en 101, l’apôtre Jean écrit L’Apocalypse probablement en 95, sous le règne de Domitien : « Et j’entendis au milieu des quatre êtres vivants une voix qui disait : Une mesure de blé pour un denier, et trois mesures d’orge pour un denier ; mais ne fais point de mal à l’huile et au vin. » (Apocalypse, 6 ,6 ).)), (soit 104 as) et multiplierait le prix du pain par 8 ou 9 ! A titre d’exemple, pendant la famine, sous Tibère, le modius de blé se négociait à 5,5 deniers. Les convergences sont donc frappantes aussi bien en temps normal qu’en période de difficultés temporaires. Le mérite de Lucius Antistius Rusticus qui protège la plèbe de sa colonie n’en est que plus grand.

Et le Garum , pour un peu de luxe alimentaire ?

Une inscription (CIL IV 5651) sur une amphore de Pompéi mentionne :

Garum sociorum

AIIIA

C C(ORNELI ) H(ERMEROTIS)

« le garum des alliés », ici une production vieille de trois ans, dont nous parle Pline, revient tout de même, à presque 150 sesterces le litre !!!( un conge ou congius équivaut à 3,1/4 litres)

Nunc e scombro pisce laudatissimum in Carthaginis spartariae cetariis- sociorum id appellatur – singulis mummum permutantibus congios fere binos. Nec liquor ullus paene praeter unguenta maiore in pretio esse coepit, nobilitas etiam gentibus((Histoire naturelle, XXXI, 93, sqq.))
« De nos jours, le plus réputé est tiré du maquereau en provenance des pêcheries de  Carthagène, celui que l’on appelle garum des alliés. Il est vendu au prix de mille sesterces les deux conges environ. Aucun produit liquide ou presque ne possède de valeur plus élevée, le parfum mis à part, même chez les gens de la noblesse »((traduction : Noctes Gallicanae))

 

Ce prix n’est plus à la portée de la bourse des légionnaires de base sauf si tous les hommes d’un contubernium se cotisent pour quelques gouttes du précieux condiment… Centurions, Tribuns, Légats agrémentent plus facilement leur table de tels produits de luxe. Heureusement il existe des saumures de moindre qualité et de prix plus abordables.

Du vin dans une caupona ?

A Pompéi, Edone affiche le prix de ses vins, de un à quatre as la mesure ( soit 0,547 litre, de quoi commencer à se réjouir !) et cible d’abord une clientèle de militaires.

invicte Castrens, habeas propitios deos tuos tres ! Item et qui leges ! Calos Hedone ! Valeat qui legerit ! Edone dicit : assibus (singulis) hic bibitur ; dipundium si dederis, meliora bibes ! quartos si dederis, vina Falerna bibes !
Calos Castrens
Texte restitué d’après le CIL IV,01679
Beau militaire (militaire invaincu), que tes trois dieux te soient favorables ! Et à toi aussi qui lis ça.Hourra pour Hédoné ! Longue vie à qui lira ! Edoné dit : ici on boit pour un as. Si tu en donnes deux, tu bois du meilleur.  Si tu donnes quatre as, tu boiras du Falerne ! Hourra, militaire ! »
(traduction Noctes Gallicanae)

Le prix des femmes

La stèle funéraire d’Aesernia ((D’époque augustéenne ,ou peut-être plus récente ( ?), La stèle d’Aesernia ( Aesenia, Samnium) sculptée dans un calcaire a pour dimensions : 0,930 m. de hauteur, 0,585 m. de largeur et 0,310m. d’épaisseur. Elle est conservée au Musée du Louvre ( n° MA 3165, n° œuvre RMN 197504, photo.rmn.fr/fr/bi/search.). Ici le terme de puella désigne aussi bien une jeune fille (Cicéron, Virgile, Horace..) qu’une jeune femme ( Horace, Tacite, Ovide, Properce..)…)) reproduit le dialogue entre le propriétaire d’une auberge, Lucius. Calidius Eroticus (si ! si !) époux de Fannia Volutptas ( cela ne s’invente pas !) et un voyageur. Lucius lui présente une addition détaillée. Couvert d’un cucullus ((Cucullus,i,m. Ce manteau à capuchon couvre les épaules et descend jusqu’à la taille. Il peut être porté sur un autre manteau.)), tenant son mulet bâté, prêt au départ, le voyageur acquiesce et s’apprête a payer.

Ce petit dialogue humoristique nous fournit le menu et les prix pratiqués dans cette caupona (auberge) fort accueillante qui sait réjouir le passant en lui offrant une mesure de vin 1 (soit 0,547 litre) et les plaisirs des sens.

Lucius Calidius Eroticus
sibi et Fanniae Voluptati vivus fecit
Copo computemus
habes vini I sextarium
panis asse I
pulmentarium assibus II convenit
puella assibus VIII et hoc convenit
faenum mulo assibus II
iste mulus me ad factum dabitinscription restituée d’après le CIL 09, 02689, = AE 1983, 0329F
Faisons nos comptes tu as eu une mesure de vin (offerte ?)
du pain pour 1 as du ragoût pour deux as, d’accord
une fille pour huit as, d’accord
du foin pour le mulet deux as
Ce mulet me ruinera !

A Rome, une lupa de la Suburra demande de deux à huit as ((C. Salles, Les bas fonds de l’Antiquité, Paris,1995. « Il y a longtemps que de Syrie, l’Oronte est venu se jeter dans le Tibre. Ce sont les flûtes et les tambourins barbares que ce fleuve charrie dans ses eaux. Sans oublier les filles condamnées à lever des hommes aux alentours du cirque. Allez à elles, vous autres qui aimez la mitre bariolée dont s ‘affublent ces étrangères. » ( Juvénal, Satires, III, V, 65, servi par une traduction de Henri Clouard).)) tout comme les Syriennes qui racolent sous les arcades du Cirque Maxime ou dans les parages de l’Amphithéâtre.

Quant aux courtisanes comme Galla, luxueusement installées dans les beaux quartiers de l’Aventin , elles restent hors de portée de la bourse des militaires :

Lorsqu’on peut baiser Galla pour deux pièces d’or et lui faire mieux encore en doublant la somme, pourquoi Eschylus lui donnes-tu dix pièces d’or ? Elle ne prend pas si cher, même pour prêter sa bouche : que fait-elle donc ? Elle est si discrète

Martial, Epigrammes, Contre Eschylus, livre IX, V

A Pompéi, vingt-huit inscriptions mentionnent le prix des amours vénales : de deux à seize as. Seize de ces vingt-huit graffitis indiquent le tarif de base, deux as, à peine le coût moyen de deux mesures de vin ordinaires ou le prix de deux pains.

Les autres filles demandent quatre, voire huit as. Attice exige seize as tout comme Drauca :

Aphrocas hic cum Drauca bene futuit denario.

Fortunata demande 23 as ! Et même ces tarifs ne semblent pas prohibitifs puisque les journaliers et ouvriers libres gagnent de 15 à 16 as par jour ((Karl-Wilhem Weeber, La prostitution omniprésente, in Pour la Science, Dossier Pompéi, Août 2005, p. 45. K.-W. Weeber est Professeur d’Histoire ancienne à l’Université de Wuppertal (Allemagne).)), ((Antonio Verone, Le Lupanar, in Pompei, La vie ensevelie , Paris, 2002, p. 194-207.)).

La fin du service

Durée du service et espérance de vie du soldat

Auguste fixa la durée du service en deux temps : d’abord seize ans plus quatre années comme vétéran (en 13 av J.-C.) puis ( en 5-6 après J.-C.) vingt ans assortis d’une période de vétérance de 5 ans qui devient, au moins dans les faits, obligatoire ((L. Keppie, Vexilla veteranorum, p.8 et 16.)). Il allongea ainsi, sans augmentation du stipendium, la « militia » de 9 ans!

Après cette réforme, le soldat romain embrasse le métier des armes pour plus de vingt cinq ans et les vétérans finissent parfois par trouver le temps long

« énumérant les trente années et plus qu’ils portaient les armes… » (Tacite, Annales, I, XXXV)

et par exprimer leur lassitude

« de courber trente ou quarante ans sous le poids du service, des corps usés par l’âge et généralement mutilés par les blessures… » (Tacite, Annales, I, XVIII).

Engagé à 18 ans, un légionnaire flavien sur qui veille « déesse Fortune » quitte sa légion à quarante trois ans ou plus après vingt cinq ou vingt six stipendia ((Les libérations se font tous les deux ans, tant pis pour les malchanceux, ils feront un stipendium de plus.)).

T(itus) Flavius T(iti) f(ilius) / Off(e)ntina(!) / Peregrinus / Mediolanni(!) / mil(es) leg(ionis) VIII / Aug(ustae) [|(centuria)] M(arci) P[ostu]/mi Celerini / vix(it) an(nos) XXV / stipendio(rum) IIII / f(rater?) h(eres) f(aciendum) c(uravit)
CIL 13, 05979.
Cette épitaphe, probablement du dernier tiers du Ier siècle, d’époque flavienne donc, concerne un pérégrin de Milan , Titus Flavius fils de Titus Flavius. Légionnaire dans la VIII Augusta, Il servait dans la centurie de Marcus Postumius( ?) Celerinus. Titus mourut à 25 ans, après seulement quatre stipendia ! Le terme de frater pourrait être pris au sens de commilito dans la forme idéale d’une célébration par un compagnon d’armes.

 

C(aius) Val(erius) C(ai) f(ilius) Berta
Men/enia Crispus mil(es)leg(ionis) VIII / Aug(ustae) an(norum)XL stip(endiorum) XXIf(rater) f(aciendum) c(uravit)
CIL 13, 07574
L’épitaphe de Caius Valerius Crispus, fils de Caius, de la tribu Berta, originaire de Macédoine, indique clairement que ce légionnaire de la VIII est décédé à l’age de 40 ans après avoir servi 21 ans. Engagé alors que la VIII était encore à Novae (Mésie) Caius serait tombé au combat dans la guerre contre les Chattes, vers 90. Comme dans le cas précédent, le mot frater pourrait être pris au sens de commilito dans la forme idéale d’une célébration par un compagnon d’armes.

Seules les données épigraphiques permettent, comme sur ces deux stèles d’époque flavienne de connaître l’age au décès et donc d’estimer l’espérance de vie de ces soldats.

Celle-ci ne peut être déterminée avec certitude en raison de la pauvreté des sources éparpillées sur une longue période de plusieurs siècles (( O. Richier, Centuriones ad Rhenum, les Centurions légionnaires des armées romaines du Rhin, De Boccard, Paris, 2004.)). Pourtant, en étudiant les épitaphes de la région du Danube, A.R. Burns ((A.R. Burns, « Hic breve vivitur, a Study of the Expectation of Life in the Roman Empire” , Past and Present, 1953, pp.1-31.)) constate une mortalité plus prononcée chez les militaires que chez les civils avant l’age de trente ans (pertes au combat et « accidents du travail »). Les décès sont plus nombreux entre la septième et la quinzième année de service, soit entre 27 et 35 ans, terme avant lequel aurait pu disparaître 50% des recrues d’un même contingent.

Dans ce cas un soldat sur deux n’arriverait pas à la retraite (( O. Richier, Centuriones ad Rhenum, les Centurions légionnaires des armées romaines du Rhin, De Boccard, Paris, 2004.)),((A.R. Burns, « Hic breve vivitur, a Study of the Expectation of Life in the Roman Empire” , Past and Present, 1953, pp.1-31.)). L’Etat ne tiendrait alors que la moitié de ses promesses et trouverait , tout naturellement, son intérêt à maintenir ses vétérans le plus longtemps possible sous les Aigles :

« Il accorda très peu de congés aux vétérans, espérant que la vieillesse amènerait la mort, et que la mort lui profiterait. » ( Suétone, Tibère, 48, 5)

Quant aux centurions des armées du Rhin (( O. Richier, Centuriones ad Rhenum, les Centurions légionnaires des armées romaines du Rhin, De Boccard, Paris, 2004.)), un tout petit nombre de stèles funéraires (moins d’une dizaine) d’époque flavienne nous donne un âge au décès compris entre 53 et 84 ans ( le centurionat conserverait-il son homme?).

W. Scheidel ((W. Scheidel, « The Demography of the roman imperial army” dans “Measuring sex, Age and Death in the roman Empire. Explorations in Ancient Demography ». Ann Arbor, 1996, pp. 93-138 et 118, 122.)), estime que ce sont 40% des soldats d’un même contingent qui ne survivraient pas aux vint-cinq années de service. La mortalité et les mises en congé imposeraient, d’après lui, la levée d’au moins 280 à 360 nouvelles recrues par an pour chaque légion.

Les commoda ((Les libérations se font tous les deux ans, tant pis pour les malchanceux, ils feront un stipendium de plus.)) , les primes et la terre

Le « vétéran » retrouve son petit capital épargne, plafonné à 250 deniers, et peut espérer bénéficier des « commoda » ((commodum , i, n. : ici, avantages attachés à la fonction de vétéran. Ce terme apparaît dans Suétone : « Quidquid autem ubique militum esset, ad certam stipendiorum praemiorumque formulam adstrinxit definitis pro gradu cuiusque et temporibus militiae et commodis missionum, ne aut aetate aut inopia post missionem sollicitari ad res nouas possent. » (Suétone, Auguste, 49) )) sous forme d’une prime de démobilisation ou d’une dotation en terre substituée à celle-ci. Il peut être déduit (installé) dans une colonie ou, tout simplement, finir sa vie à proximité de son ancien camp.

Praemia militiae, la prime de démobilisation

Auguste (encore lui !) avait chiffré la prime de retraite ((Dion Cassius, LX 23,1.)) à douze mille sesterces ou trois mille deniers (soit tout de même douze années de la solde de base pour un légionnaire flavien!).

Pour financer ces primes de démobilisation, Il créa ( en 6 après J.-C.) l’aerarium militare , le « Trésor militaire », et l’approvisionnait par de nouveaux impôts tels le «Vingtième », une taxe de 5% sur les héritages ((Ce nouvel impôt, le « vicesima hereditatium » ou « vicesima populi Romani », taxe de 5% touche les successions et les legs des citoyens romains. Dion Cassius, LX, 25, 5. CIL III , 2922.)) et le « Centième », une taxe de 1% sur toutes les ventes ((Nous ne connaissons cet impôt le « centesima rerum venalium », 1% sur les ventes aux enchères, que par ce seul texte de Tacite mentionnant la déclaration de Tibère (Annales, I, 38).)), apparemment peu appréciée puisque

« le peuple demandait la suppression de l’impôt du centième établi sur les ventes après les guerres civiles. Tibère déclara par un édit que ce revenu était la seule ressource du trésor militaire et que même la république succomberait si la vétérance n’était reculée jusqu’à la vingtième année de service » (Tacite, Annales, I, LXXVIII).

L’octroi de cette prime n’est en rien automatique : le futur retraité doit recevoir son « honesta missio », son congé honorable, et demander ses praemia ((praemium, ii, n. : récompenses ou avantages.)). Il fait alors l’objet d’une simple enquête menée auprès de ses camarades (jusqu’en 73-74) ou d’un examen diligenté par des employés de l’administration (après 73-74).

La récompense promise aux vétérans peut être un excellent moyen de pression quand le besoin en hommes se fait sentir, ainsi Vitellius opère un dilectus à Rome en promettant ((Vitellius use donc de cet argument pour recruter, en catastrophe, des légionnaires :  « non modo missionem post victoriam sed etiam veteranorum iustaque militiae commoda polliciretur » (Suétone, Vitellius, 15) )) aux volontaires :

« non seulement le congé en cas de victoire mais encore les récompenses accordées aux vétérans pour un service complet » (Suétone, Vitellius, 15)

Les vétérans et le problème de la terre

A la fin de la République, la pratique des assignations de terres à des colons militaires était rentrée dans les mœurs. Lorsqu’il allonge la durée de service à vingt cinq ans, Auguste bouleverse la vie des légionnaires.

La retraite bénéficie désormais, quand ils y arrivent, à des hommes de 40 à 45 ans. Avec l’espérance de vie du premier siècle, ces vétérans savent parfaitement que leur vie active est derrière eux. Beaucoup craignent le retour à la terre et ne se voient pas commencer une deuxième existence en tant que fermiers. Lors des mutineries de 14, en Pannonie, les vétérans de la VIII expriment leurs craintes de recevoir :

« dans des régions lointaines [ à Emona ? ] … la fange des marais ou les parties en friches des montagnes » (Tacite, Annales, I, XVII,3).

Préféreraient-ils un capital à investir à leur convenance plus qu’une terre qui resterait leur seul bien et dont l’emplacement serait choisi par l’Etat ? (( Gilles Mundubeltz: « Les séditions dans les armées romaines, de 218 avant J.-C. à l’an 14 de notre ère. » Thèse Université de Bordeaux , 2000 .)). Beaucoup souhaitent simplement s’installer prés de leur ancien camp dans leur contrée d’adoption.

Deux inscriptions démontrent que les Flaviens poursuivent la politique de fondations coloniales et les assignations de terres.

L’épitaphe de Caius Iulius Longinus ((M. Mc Crum and A.G. Woodhead: Select documents of the Principate of the Flavian Imperators, including the year of Revolution, A.D. 68-96, Cambridge, 1966, p. 139-140.)), originaire de Philippe , en Macédoine, est sans ambiguïté avec la formule« deductus ab divo Augusto Vespasiano ». Vespasien déduit dans sa ville natale, Réate, des vétérans de sa VIII Augusta.

Ce vétéran de la VIII aurait affranchi son esclave Helpis et l’aurait épousé. Elle prend alors le nom de son mari et devient Julia Caia.

Dis Manibus C. Iulio C.f. Longino domo Voltinia Philippis Macedonia veteranus leg. VIII Aug. deductus ab divo Augusto Vespasiano Quiri. Reate se vivo fecit sibi et Iulae C. libert. Helpidi coniugi suae et C. Iulo C. libert. Felici et (lib.) posterisque suis fec. et C.Iulo C.l. Decembro et Iulae C.l . Veneriae et C.Iulio C.l Prosdoxo
( ILS, 2460)
Aux mannes de Caius Lucius Longinus, fils de Caius de la tribu Voltinia de Philippe en Macédoine, vétéran de VIIIème légion Augusta, déduit par le divin Vespasien a Réate. Il a fait ceci de son vivant pour lui et pour Julia Caia Helpis, son affranchie et épouse et pour Caius Iulius Felix, affranchi de Caius, et il l’a aussi fait pour ses enfants et sa postérité et pour Caius Iulius December, affranchi de Caius et pour Julia Veneria, affranchie de Caius et pour Caius Iulius Prodoxus, affranchi de Caius.

Une tablette de bronze, informe les consuls de l’année 82 , Domitien et Titus Flavius Sabinus, que les vétérans de la VIII déduits à Deultum (Thrace) choisissent comme patron un de leurs anciens légats de Mirebeau sur Bèze, Titus Aviedus Quietus (voir : Le commandement de la VIII). Ce personnage très influent, dont ils ont gardé apparemment bon souvenir,  doit jouer le rôle d’intermédiaire entre  leur colonie et les administrations provinciale et centrale.

Im(peratore) Domitiano [ Aug(usto) VIII]
T(ito) Flavio Sabi[no co(n)s(sulibus)]
Idibus Iu[?]
in colonia Flavia Pacis Deultensium in [curia?]
talca et C(aius) Occeius Niger IIviri verba fec[cerunt] [Avi]
dio Quieto leg(ato) Aug(usti) ornatissimo viro [deferendum patrocinium]
coloniae nostrae esse q(uid) d(e) e(a) r(e) f(ieri) [p(laceret) d(e) e(a) r(e) i(ta) c(ensuerunt)]
cum militaverimus in leg(ione) VIII Aug(usta) et poti[ti honesta missione]
a sacratissimo imp(eratore) in coloniam Deultum [deducti simus ei quod non]
dum alicui secondum summam human[itatem dandum esse ut]
[velit] pat[rocinium] succipere coloniae n[ostrae tabulamque de]
[ea re con]scriptum in domu sua poni per[mittere ut sic colo]
[niae nostrae] humanitate sua increment[um addat quippe]
[cui omnia singula] que eius nota sint
[scri] bendo adfuerunt
[ ] Modestus C(aius) Sentilius Clemens
[ ]us Valentinus
[ ]ius Sentilius Cl(laudius) E[Inscription restituée d’après le CIL CIL 06, 03828 =CIL 06,31692 = AE 1950, 0004
A l’empereur Domitien, Auguste pour la huitième fois et à Titus Flavius Sabinus consuls (donc en 82). Lors des ides de ju. [ 15 juin ou 15 juillet ?]
les duovirs …[ ?](alca et Caius Occeius Niger réunis dans la Curie de la colonie flavienne de Deultum ont tenu ces propos :
D’un commun accord, ils demandent à Titus Aviedus Quietus, légat de l’empereur et homme très illustre, d’accorder sa protection à notre colonie.
Nous avons servi sous ses ordres dans la Legio VIII Augusta et avons reçu notre congé honorable puis avons été déduits par Vespasien (?) dans la colonie de Deultum.
Nous lui envoyons une pétition afin qu’il accepte, dans sa grande bienveillance, de défendre notre colonie et que soit placée dans sa maison la tablette faisant mention de notre démarche afin que nul n’ignore ces faits et que notre colonie en soit honorée.
Assistaient à la rédaction de cet acte :
Modestus Caius Sentilius Clemens,
[ ?]us Valentinus
[ ?]ius Sentilius Claudius
E[ ?]

Nous ne connaissons aucun document attestant l’achat de terres par l’aerarium militaire en vue d’une déduction coloniale ((M. Corbier: L’aerarium saturni et l’aerarium militare, administration et prosopographie sénatoriale, Paris, 1974. La grande inscription honorifique, découverte en 1923 (AE 1925, 0126 = 1926, 0078), célèbre le gouvernement de Lucius Antistius Rusticus. Ce document essentiel comprend trois colonnes : – La première, écrite en belles lettres de grandeur décroissante depuis le haut jusqu’au bas, présente, dans l’ordre inverse de son déroulement, toute la carrière de Rusticus ancien légat de la VIII (cf. Le commandement de la Legio VIII Augusta). – La deuxième fournit le texte de l’édit, probablement daté de 93, que nous présentons ici. – La troisième porte, en haut, le nom du procurateur impérial qui assiste Rusticus, Lucius Calpurnius Rufus et, en bas, la place d’Antioche de Pisidie où le monument s’élève, la Tiberia platea.)) et donc nous ne savons pas comment a été financée l’installation des vétérans de la VIII, tant à Réate qu’à Deultum.

Ont-ils accepté de convertir leur prime de démobilisation en terres ? Le vétéran de Philippe, maintenant installé à Réate, loin de sa ville natale, a-t-il profité d’un lot appartenant aux flaviens et généreusement distribué par Vespasien ? Ce dernier est ainsi sûr de disposer de vieux soldats expérimentés dont la plupart conservent leur panoplie à deux ou trois jours de marche, au nord de Rome (on n’est jamais trop prudent !).

Conclusions

Les soldats forment la masse des « salariés » de l’Etat. Ils touchent une solde, le stipendium, qui leur est allouée en trois termes. Après déductions, la somme qui leur reste entre les mains ne dépasse guère 25% de leur paye annuelle. Le nécessaire assuré par les retenues sur solde, le légionnaire dispose, chaque jour, de deux à sept as disponibles qui leur permettent de goûter à un peu de superflu. Il fait ainsi partie de ceux qui, dans le Monde romain, reçoivent, manipulent et dépensent de la monnaie ((M.Corbier, Salaires et Salariat sous le Haut Empire, in Les dévaluations à Rome, 1980, Paris, tome II, p.61- 101.)).

En garnison, assuré de manger à sa faim par les fournitures de l’intendance impériale, le soldat accède à un début de luxe alimentaire. Les fouilles récentes dans le camp de Mirebeau (( R. Goguey, M. Réddé et al, Le camp légionnaire de Mirebeau, Mainz, 1995, un article de S. Lepetz, p. 359-365.)) démontrent qu’il jouit d’une alimentation convenable, agrémentée de viandes (porc, bœuf, moutons, chèvres…), de fruits…(cf. Le camp de Mirebeau).

Il dispose de thermes, de spectacles dans l’amphithéâtre situé en dehors du camp, profite des canabae… vit dans un certain confort voir une certaine aisance.

Le légionnaire fait « partie d’une classe moyenne et ses revenus le rapprochent de l’élite des plébéiens » ((M.Corbier, Salaires et Salariat sous le Haut Empire, in Les dévaluations à Rome, 1980, Paris, tome II, p.61- 101.)). Son métier est bien le seul qui permette à un homme libre, dépourvu de biens et de qualification, de devenir quelqu’un en accédant à un statut privilégié, progressivement défini, celui de « veteranus ».

Réussir implique donc de survivre à ses commilitones , à ses compagnons d’armes dont la moitié n’arriveraient pas au bout de leurs vingt-cinq ou vingt-six années de service, pour recevoir la prime promise : 3000 deniers ! douze années de salaire d’un seul coup pour un légionnaire de Vespasien ou de Titus, dix années pour ceux de Domitien ! De quoi pouvoir profiter, vers ses quarante-cinq ans, d’une retraite bien méritée (ou rempiler, pourquoi pas ?).

A l’échelle d’une carrière militaire, les avantages sont nombreux et la militia peut se définir « comme une sorte de plan d’épargne avec versements de primes périodiques en cours de contrat et constitution d’un capital économique a terme échu, accru d’intérêts sous forme de prestige social » (( J.-M. Carré , Le soldat, in L’Homme romain, Paris, 2002, p.158-159.))

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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