La légion VIII, de César aux Flaviens

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 La VIII dans la Guerre des Gaules : 58-51 avant J.-C.

« Le plus grave, en ce moment, c’est la crainte d’une guerre contre les Gaulois »
( Cicéron, Correspondances, XXV, 2, lettre datée du 15 mars 60)

En 58, Helvètes, Rauraques, Boïens, Tulinges et Latobices quittent leurs montagnes d’Helvétie et de Norique ( Suisse et Bavière actuelles) pour notre Saintonge.

Le nouveau proconsul des Gaules, César, décide alors de s’opposer à la migration de cette multitude qu’il estime lui-même ((César, Commentarii de Bello Gallico, I, 5.)) à plus de trois cent soixante huit mille personnes dont quatre-vingt-douze mille guerriers bien entraînés par d’incessants combats avec les Germains. Dès la mi-mars, Il quitte Rome pour prendre à Genaba (Genève) le commandement de la Xe légion puis se rend à Aquilea où se concentrent trois autres légions : la VII, la VIII et la IX. La VIII entre ainsi dans l’histoire en même temps que dans l’armée et la vie de César. Elle le suit fidèlement dans la plupart de ses campagnes pendant quatorze années, de 58 à 45.
Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne connaissons rien de cette legio VIII avant avril 58.

L’année 58 : premières victoires

Intégrée dans une force de six légions comprenant la VII, la VIII, la IX, la X, la XI et la XII, la VIII participe aux deux premières batailles et victoires de César en rase campagne. Bibracte face aux Helvètes et « Mulhouse », face aux Suèves d’Arioviste.
Placée sous le commandement de Labienus, elle prend ses quartiers d’hiver dans le Jura, chez les Séquanes.

L’année 57 : face au danger belge

Bibracte brise la marche en avant des Helvètes. Mulhouse donne à Rome une nouvelle frontière économique et politique : le Rhin. Mais une formidable menace pèse encore sur la présence romaine : les « Peuples du Nord » . Avec leurs alliés germains, ils opposent plus de trois cent vingt six mille guerriers aux huit légions – dont la VIII – de César. Pourtant, légionnaires et auxiliaires – Crétois, Baléares et Numides – se battant à un contre cinq ou à un contre six, finissent par les écraser sur l’Aisne. Ils offrent au proconsul sa troisième grande victoire. Les légions poursuivent les vaincus, assiègent puis prennent Noviodunum, déferlent sur le pays bellovaque puis soumettent les Ambiens.
Reste un ennemi redoutable : le peuple des Nerviens, le plus belliqueux de tous les Belges. C’est pourquoi l’armée quitte Amiens et marche sur Bavay, leur capitale. Les VIII, IX, X, XI et XII avancent en tête et derrière suivent les impedimenta. Les XIII et XIV forment l’arrière- garde d’un immense convoi de plus de trente kilomètres de long ((C. GOUDINEAU, 1990, César et la Gaule, Paris.)) (soit une journée de marche).
La rencontre avec les Atrébates, Viromanduens et Nerviens se produit sur le Sabis. Dans cet affrontement très difficile, les anciens de la VIII et les bleus de la XI s’illustrent au centre de la ligne de bataille. Ils acculent les Viromanduens sur le cours d’eau et les taillent en pièces.
La victoire acquise, la VIII concourt au siège d’Atuatuca, la capitale des Atuatuques, arrivés trop tard pour renforcer les « Peuples du Nord » sur le Sabis. Avec le retour de la mauvaise saison, elle installe ses quartiers d’hiver soit à proximité de la Loire, soit en Belgique.

Les années 56-53 : Que fait donc la VIII ?

Le texte de César ne nous permet pas de connaître les mouvements de la legio VIII pour cette période.

L’année 52 : La grande guerre

En plein hiver, vers la mi-janvier et malgré la neige, la VIII traverse les Cévennes, ravage le pays arverne, gagne Vienne puis rejoint les autres légions à Sens. Vellonudunum, Cenabum, Noviodunum, Avaricum…les oppida tombent les uns après les autres. La VIII remonte l’Allier et, en quatre étapes, parvient devant Gergovie.
Au signal donné, les légionnaires avancent et enlèvent rapidement les premières fortifications. Les récompenses distribuées à Avaricum excitent centurions et soldats. Meneur d’hommes, Lucius Fabius, centurion de la VIII, ne veut laisser à personne d’autre l’honneur de passer en premier le rempart gaulois. Il l’a assez claironné dans tout le campement ! Il court suivi par sa centurie, arrive à l’enceinte, se fait hisser par trois de ses légionnaires, les tire à lui, un par un, et les fait monter sur le mur…Son collègue Marcus Petronius s’attaque déjà aux portes de la cité ! En pleine action, César modifie sa manœuvre ( ? ) et fait sonner le repli mais…

« Exaltés par l’espoir d’une prompte victoire, par la fuite de l’ennemi, par leurs succès précédents » (César, B.G., VII,47)

… les hommes de la VIII ne semblent pas recevoir cet ordre à moins qu’ils ne refusent d’obéir et poursuivent leur action ((J.P.BRETHES, 1996, César premier soldat de l’Empire, Villeneuve d’Ascq. Cet auteur évoque, 151-152, une perte de contrôle de la VIIIe par César.))…Coupés du reste de l’armée, ils se retrouvent en fâcheuse posture. Les Gaulois massacrent Lucius Fabius et les siens, les précipitent en bas de la muraille. Marcus Petronius, accablé par le nombre, perdant son sang, réalise la situation :

« Je veux pourvoir au salut de ceux que mon amour de la gloire a conduits dans le péril… » (César, B.G.,VII,50)

Il se jette alors au milieu des ennemis. Dans une ultime charge, il en tue deux, écarte les autres de la porte et donne son dernier ordre :

« Repliez-vous sur la légion ! » (César, B.G.,VII,50).

Il tombe, assurant le salut du reste de sa centurie. La X et la XIII dégagent enfin la VIII. Les pertes sont lourdes : sept cents soldats et quarante six centurions dont une bonne part de la VIII.
Renforcée, elle participe à la bataille décisive d’Alésia puis aux opérations de nettoyage de 51, en particulier contre les Atrébates.

Conclusions

Après huit ans de campagnes, de 58 à 51, la VIII termine glorieusement la guerre des Gaules . Elle y gagne son titre de Legio VIII Gallica et l’estime de tous :

« César avait avec lui ses légions les plus anciennes, d’un courage incomparable : la VII, la VIII, la IX puis une autre la XI…mais qui pourtant, après huit ans de campagnes, n’avait pas, comparée aux autres, la même réputation de solidité éprouvée » (Hirtius, B.G.,VIII,8)

Lorsque César prépare la conquête de l’Italie, en 49, Il réserve pour son propre usage la VIII, la XI et la XIII. Il semble qu’un lien se soit créé entre cette legio VIII Gallica et son chef charismatique.

La VIII dans les Guerres civiles : 49-31 avant J.-C.

Le 12 janvier 49, en plein hiver, César franchit le Rubicon avec la legio XIII. Ce petit fleuve coule entre Ravenne et Rimini avant se jeter dans l’Adriatique. Il forme la frontière entre la Gaule cisalpine, gouvernée par César, et le reste de l’Italie. Or, depuis la constitution de Sylla, aucun général ne peut franchir cette limite sans l’autorisation expresse du Sénat. S’étant ainsi placé dans l’illégalité, César marche dès lors sur le Picenum, une zone d’influence de Pompée.
La VIII le rejoint devant Corfinum, entre le 15 et le 17 février et participe à la traversée de l’Italie : à peine soixante jours, du 12 janvier au 17 mars, du Rubicon à Brindisi, en descendant le long de l’Adriatique.
La « terre-mère » maîtrisée, la VIII remonte toute la péninsule, traverse la Gaule, franchit le col du Perthus avec César, et rejoint enfin, sur la rive gauche du Sègre, les légions de Fabius à hauteur d’Ilerda. Elle y participe à toute une série de manœuvres, d’engagements qui aboutissent à la capitulation des Pompéiens ((R. ÉTIENNE, 1997, Jules César, Paris. Il désigne ces manœuvres et contre-manœuvres sous le nom de campagne d’Ilerda (Lérida), en Espagne, le 2 août 49 . De même Y. LE BOHEC, César chef de guerre, Du Rocher, 339-345.)).

Le 2 janvier 48, la VIII débarque avec six autres légions prés d’Oricum ((Eriko, sur le bord de la Mer ionienne, au sud de Durazo.)). La bataille de Dyrrachium ((Durazo ou Durrës, port d’Albanie sur la côte adriatique, à l’Ouest de Tirana.)) éprouve très sérieusement les légions VIII et IX qui sont, pour la suite des opérations, regroupées en une seule unité de façon à conserver l’effectif moyen d’une seule légion.

A Pharsale ((Aujourd’hui Fàrsala, en Thessalie, au sud de Larissa, en Grèce.)), le 9 août 48, la VIII et la IX occupent la gauche du dispositif césarien. Commandées par Antoine lui-même, elles affrontent victorieusement la légion d’Espagne et les cohortes de Cilicie, sous le commandement d’Afranius.
Renforcée par de très nombreuses recrues, la VIII rejoint ensuite César en Tunisie pour opérer dans la région de Ruspina (Monastir) : il faut d’une part fortifier la place et grignoter les positions ennemies et, d‘autre part, rafler tout le bois et le blé possibles. Ces opérations l’occupent de la fin du mois de novembre 47 au mois de janvier 46. À Uzitta, César choisit d’affaiblir son aile droite qu’il confie aux vétérans et aux tirones milites (les recrues) de la VIII, face aux éléphants et à l’infanterie légère numide de Scipion. Uzitta, Aggar, Tégea…les engagements successifs, les manœuvres ne parviennent pas à bout des Pompéiens….
A Thapsus ((Thapsus, en Tunisie, au sud-est de Sousse.)), la VIII et la IX, toujours associées et renforcées par des éléments de la V, occupent encore une fois, comme à Pharsale, l’aile gauche. La quatrième rencontre entre les deux camps, Thapsus, le 6 avril 46, s’avère décisive et offre l’Afrique à César.

Il accorde enfin un repos bien mérité à ses veterani milites dont certains le suivent depuis quinze ans ! Antoine les ramène en Italie et installe ceux de la VIII autour de Casilinum, en Campanie. C’est là que ces vétérans reçoivent une offre de réactivation après l’assassinat de César lors des Ides de Mars du 15 mars 44. Ces vieux soldats de la legio VIII Gallica suivent Octave par fidélité au nom de César mais aussi par peur de voir annulées ou modifiées les dispositions avantageuses prises au moment de leur démobilisation.
Ils marchent sur Modène où Brutus résiste aux légions d’Antoine. Ils participent au siège de la cité et la VIII y gagne le surnom de Mutinensis.
Elle achève ses campagnes à Philippes ((Philippes, ancienne ville de Thrace, prés de la mer Egée.)), en 42, puis probablement à Actium ((Sur la cote ouest de la Grèce.)) le 2 septembre 31, avant de retourner en Italie. Octave la récompense une nouvelle fois par des dons de terre à Teanum Sidicinum ((Teano, ville de Campanie, dans la province de Caserte, au nord de Naples.)).

La période des Guerres civiles achevée, un voile tombe sur l’histoire de la VIII, devenue Legio VIII Augusta par la grâce d’Auguste . Nous la retrouvons, avec Tibère, bien loin de ses anciens théâtres d’opération.

Soulèvement dans les Balkans : 6-9 après J.-C.

Balkans et Pannonie
Balkans et Pannonie

Un nouveau danger naît en Bohème, aux frontières de l’empire. Avec soixante dix mille fantassins et quatre mille cavaliers Maroboduus, roi des Marcomans, menace les vallées de l’Elbe et du Danube.
Auguste ne peut laisser grandir cette menace et intervient immédiatement. Il lance la plus grande opération militaire jamais mise sur pied par Rome : deux armées convergent sur le royaume marcoman.
L’armée d’Illyrie part de Carnuntum ((Carnuntum en Pannonie, aujourd’hui Deutsch Altenburg en Autriche.)). Sous le commandement de Tibère, les VIII Augusta, XV Apollinaris, XX Valeria Victrix, XXI Rapax, XIII Gemina, XIV Gemina, XVI Gallica et une autre unité dont le nom reste inconnu, foncent sur le Danube. En même temps, Sentius Saturninus conduit vers le Main les V Alaudae, XVII, XVIII et XIX.
La tenaille se referme quand…derrière les légions perdues en terre barbare, à cinq jours de marche de leurs objectifs, toutes les provinces frontières de l’Empire se soulèvent.

« Les peuples qui s’étaient révoltés comptaient au total plus de huit cent mille hommes et ils avaient sous les armes environ deux cent mille fantassins et neuf mille cavaliers » (Velleius Paterculus, Histoire romaine, II,110)

Plus de deux cent mille hommes défient la puissance de Rome ! Il faut traiter, d’égal à égal, avec Maroboduus, puis se retourner pour mater cette rébellion générale des Balkans.

« Tibère s’y rendit pour diriger cette nouvelle guerre, qui fut la plus terrible de toutes les luttes étrangères après celle de Carthage, et la fit pendant trois ans, avec quinze légions et un effectif égal de troupes auxiliaires, au milieu de graves difficultés de tout ordre et malgré une extrême pénurie de vivres » ( Suétone, Tibère, XVI ) ((Cela représenterait un effectif de cent soixante mille à cent quatre vingt cinq mille hommes…))

Intégrée dans l’exercitus Illyricum – l’armée d’Illyrie – au moins depuis 6 après J.-C., la VIII participe à l’expédition avortée contre les Marcomans et au Bellum Illyricum. Ses vétérans s’installent aussi bien dans le Norique, à Virunum et à Celeia ((Virunum se confond avec l’actuelle ville de Mariasaal et Celeia (Pline, 3, 146) avec la ville slovène de Celje, sur la Savinja, affluent de la Sava ou Save. Le Danube, au Nord, la Pannonie, à l’Est, la Dalmatie, au Sud et la Rhétie à l’Ouest, limitent le Norique, actuelle Autriche.)), qu’en Pannonie , à Emona et à Poetevio ((Poetovio, ou Ptuj sur la rivière Drava et Emona, ou Ljubljana, sur la Sava ou Save sont des cités de Pannonie – ouest de l’actuelle Hongrie et Slovénie. La Pannonie est bordée au Nord et à l’Est par le Danube, à l’Ouest par le Norique et au Sud par la Dalmatie. Une route directe relie Aquileia-Emona-Celeia-Poetevio.)). Aquileia, ville de presque cent mille habitants sous Auguste, constitue sa principale base arrière. Là, deux vétérans, Lucius et Quintus Titius sont toujours en activité après vingt cinq ans de service. Mensor frumenti, Lucius continue à mesurer et à distribuer les rations de blé ((B. OLDENSTEIN-PFERDEHIRT, 1984, Die Geschichte der legio VIII Augusta, R.G.Z.M 31, Mayence, 397-433.)).

Révolte en Pannonie : 14 après J.-C.

Voir la carte ci-dessus.

Pendant l’été et l’automne 14, les trois légions de Pannonie, la VIII Augusta, la IX Hispana et la XV Appolinaris occupent leurs quartiers d’été, sous le commandement de Q. Junius Blaesus.
Apprenant la mort d’Auguste lors du mois d’août 14, Junius croit bon de suspendre l’entraînement quotidien des légionnaires. Désoeuvrés, ceux-ci voient vite, dans le changement de souverain, une opportunité de manifester leurs doléances et leurs revendications. Que veulent donc ces mutins ?
Chaque légionnaire touche 10 as par jour et sur ce pécule, il doit payer ses armes, ses vêtements, participer à l’achat de la tente de son contubernium… Ils exigent une solde de 16 as par jour, soit une pièce d’argent, un denier !
Le service dure plus de 20 ans… Ils demandent qu’il soit ramené à 16 ans !
Des centurions, corrompus ou sadiques, leur rendent souvent la vie encore plus difficile… Ils se retournent contre eux et réclament même la mort d’un centurion, Sirpicus, protégé par les gars de la XV ! Les choses empirent et, pour éviter un affrontement armé, les légionnaires de la IX s’interposent entre ceux de la VIII et ceux de la XV.

Inquiet de la tournure des évènements, Tibère dépêche Drusus, son propre fils, et Silius Aelius Sijanus, le Préfet du Prétoire. Deux cohortes prétoriennes, une bonne partie de la cavalerie prétorienne et des Germains partent ainsi tenter de calmer les esprits. Centurions et prétoriens chassent les principaux séditieux aussi bien dans le camp que dans les campagnes. Des centuries livrent spontanément ( ? ) d’autres révoltés…Naturellement enclin à la rigueur ((Tacite, Annales, I, 29.)), Drusus accomplit sa tâche avec la plus grande fermeté et les fait exécuter.

Dame nature vient à son secours et parachève son oeuvre : l’arrivée précoce de la mauvaise saison, avec ses pluies froides et ses bourrasques de vent, maintient la VIII sous ses tentes, empêche les rassemblements et limite l’agitation. Dans cette ambiance confinée, l’anxiété religieuse ne tarde pas à s’emparer des soldats :

«… ils voyaient les astres pâlir, les tempêtes se déchaîner sur leurs têtes impies… » (Tacite, Annales, I, 30)

Le même sentiment leur inspire rapidement le moyen d’expier :

« …abandonner un camp dévoué au malheur et souillé… » (Tacite, Annales, I, 30)

Ne prenant pas ces signes du ciel à la légère, les soldats de la VIII décident donc de regagner leur quartiers d’hiver à Poetovio ((Poetovio, ou Ptuj sur la rivière Drava et Emona, ou Ljubljana, sur la Sava ou Save sont des cités de Pannonie – ouest de l’actuelle Hongrie et Slovénie. La Pannonie est bordée au Nord et à l’Est par le Danube, à l’Ouest par le Norique et au Sud par la Dalmatie. Une route directe relie Aquileia-Emona-Celeia-Poetevio.)). Leur départ met fin à la révolte et leur histoire se fait dès lors plus discrète. Trente ans plus tard, elle intervient sur les bord de la mer Noire.

Guerres dans le Bosphore : 44-62 après J.-C.

Mithridate, roi du Bosphore, rompt avec la politique pro-romaine de ses prédécesseurs. Il semble même préparer un guerre contre Rome. Les Romains interviennent pour la première fois, de 45 à 49, au nord de la mer Noire. Arrivée directement de Pannonie, La VIII participe aux campagnes de Didius Gallus, légat de Mésie, et à la chute de Mithridate. Elle concourt ainsi à une victoire militaire et politique car les monarques du Bosphore qui succèdent au roi déchu fondent leur légitimité sur leur statut d’amis et d’alliés des Césars.
Peu de temps après, la VIII s’installe à Novae, en Mésie inférieure, sur le cours inférieur du Danube. Les indices de sa présence dans son nouveau camp se réduisent à ce jour à un unique document : une stèle que Vitalis et Ferox firent élever sur la tombe de leur père, un cornicen de la VIII, Publius Farfinias Severus, qui mourut là à cinquante ans, après trente ans de service ((J. KOLENDO et V. BOZILOVA, 1977, Inscription grecques et latines de Novae -Mésie inférieure-, Bordeaux. Le camp de Novae se situe à quatre kilomètres de l’actuelle ville de Svistov, en Bulgarie.)).

Les répercussions du Bellum Mithridaticum provoquent de profonds changements dans la région du Bosphore. Néron nomme, en 60, un nouveau légat de Mésie : Tiberius Plautus Silvanus Aelianus. Dés 62, celui-ci doit faire face aux pressions exercées par les Sarmates sur sa province et à une dégradation générale de la situation sur les bords de la Mer Noire. Plautus Silvanus réagit énergiquement sur le Danube pour protéger sa Mésie mais aussi la Crimée. Il écrase dans l’œuf la révolte des Sarmates et force les Scythes à lever le siège de Chersonèse. C’est dans ces combats, entrecoupés de manœuvres de dissuasion, que la VIII aurait gagné son titre honorifique de Bis Augusta , une appellation perdue après la Damnatio memoriae de Néron ((M.REDDE, 2000, Legio VIII Augusta, in Les légions de Rome sous le Haut-Empire, Actes du Congrès de Lyon, 119-126, Diffusion De Boccard.)).

A peine sept ans se passent avant qu’elle ne soit appelée à jouer un rôle politique et à participer, de manière active, à l’élévation d’un nouvel empereur lors des convulsions qui marquent l’empire avec la disparition de la dynastie julio-claudienne.

De la Mésie à Argentorate : 68-90 après J.-C.

En 68, la rébellion de Vindex et la mort de Néron inaugurent une période de guerres civiles pendant laquelle, successivement, Galba et Othon, puis Othon et Vitellius, et enfin Vitellius et Vespasien se disputent l’Empire.
Toute une succession d’évènements amène alors la Legio VIII Augusta à quitter son camp de Novae pour s’installer à Mirebeau-sur-Bèze, au nord-est de Dijon, puis à Argentorate, l’actuelle Strasbourg.

68 : l’année charnière.

En mars 68, Julius Vindex, gouverneur de la Lyonnaise, se révolte et recherche un « César » capable d’arracher Rome à Néron. A l’age de 70 ans, Servius Galba, gouverneur de l’Espagne tarragonnaise, se sent investi d’une telle mission et s’autoproclame Empereur le 3 avril 68, à Carthagène.
Vindex ne dispose alors que de milices mais bénéficie de l’appui des Eduéns, des Arvernes et des Séquanes…Peu de choses devant les légions de Rhénanie commandées par Lucius Verginius Rufus et leurs alliés Trévires et Lingons. Rufus écrase les mutins au mois de mai 68, à Vesontio (Besançon) mais refuse l’Empire que lui proposent ses légions et décline les offres de Galba.
Galba, quant à lui, ne peut aligner qu’une seule légion mais ses agents gagnent à sa cause Nymphidius Sabinus, commandant de la garde prétorienne. Néron, renversé et déclaré ennemi public par le Sénat, le 8 juin, se suicide dès le lendemain. Galba devient officiellement Servius Galba Imperator Caesar Augustus.
En décembre 68, il nomme (mauvaise pioche !) Aulus Vitellius commandant de l’armée inférieure de Germanie et…

69 : l’année des quatre empereurs.

….les Légions de Germanie refusent de lui renouveler leur serment d’allégeance du 1er au 3 janvier 69 ! Toutes se déclarent en faveur de Vitellius. La Bretagne, la Rhétie, les Trévires et les Lingons se rangent à leurs côtés. L’armée de Vitellius se met en marche vers le Sud. Elle dévaste Metz, rançonne Vienne, pille, brûle et détruit tout sur son passage.
Vitellius contre Galba ? Non ! À Rome, Marcus Salvius Othon n’accepte pas l’adoption de Pison par Galba et sa désignation comme successeur. Lui, Othon, gouverneur de Lusitanie sous Néron, ne fut-il pas l’un des premiers soutiens de Galba ? Il s’empare du pouvoir : le 15 janvier, Galba meurt assassiné par Camurius, un soldat de la XV , sur le Forum même, tout à coté du Lacus Curtius. Vitellius devra donc affronter Marcus Otho Caesar Augustus.
Tandis que Vitellius s’installe à Lyon, deux de ses généraux, Valens et Caecina rassemblent leurs légions à Crémone. De son coté, Othon occupe une solide position défensive à Bedriacum (Piadena), au nord du Pô. Il attend l’arrivée des légions du Rhin. Il sait que les légions d’Illyrie et de Mésie viennent le renforcer. Elles lui sont profondément attachées ((Tacite, Histoires, I, 79.)) depuis leurs exploits, en plein hiver 68-69 : neuf mille cataphractes rhoxolans, appartenant à un peuple sarmate, déferlaient alors sur la Mésie inférieure. La neige, lourde et profonde, et la boue, favorisèrent l’infanterie romaine face à cette cavalerie lourde, lui offrant la victoire. Apprenant ce fait d’arme, Rome accorda la gloire d’une statue triomphale à Marcus Aponius Saturninus, légat consulaire de Mésie. Quant à Numisius Lupus, Aurelius Fulvius, et Tettius Julianus, légats respectivement de la VIII Augusta, de la III Gallica et de la VII Claudiana , ils reçurent le honneurs consulaires.

Mais ces légions sont encore loin lorsque Caecina et Valens entament la construction d’un pont sur le fleuve. Othon ne peut laisser faire : cela ouvrirait la route de Rome. Il envoie donc le gros de ses troupes vers l’Ouest, en direction de Crémone, le long de la voie Postumia et prend position à Brixellum. Las, son plan échoue, Caecina et Valens lui infligent une lourde défaite le 14 avril, et les restes de son armée concluent un accord avec les vainqueurs. Othon se suicide le 16 avril et Vitellius devient Aulus Vitellius Germanicus Imperator Augustus, le troisième empereur de l’année.
Les vexillations des légions d’Illyrie -la III- et de Mésie -la VII et la VIII- arrivent trop tard pour soutenir Othon. Elles malmènent ceux qui leur annoncent le désastre, lacèrent les enseignes de Vitellius, pillent la caisse militaire et se partagent ce butin ((Tacite, Histoires, II,85.)).

A l’autre bout de la Méditerrannée, en Judée, un vieux général de soixante ans, Vespasien, se voit proclamé empereur par les légions d’Orient, au mois de juillet 69. Les légions de Mésie se rallient d’autant plus vite à ce nouveau candidat qu’elles avaient soutenu Othon contre Vitellius. Poetovio, le camp de la XIII Gemina, devient le quartier général du parti flavien.
Nommé légat de la VII par Galba ((Tacite, Histoires, II, 86.)) et farouche soutien d’Othon, Antonius Primus ((Dont le portrait est parfaitement décrit dans l’ouvrage de C. Salles, 2002, la Rome des Flaviens, Paris, 46-47.)) devient le plus ardent partisan d’une action immédiate. Ce Toulousain à la voix tonnante a du feux dans les yeux ((Tacite Histoires, III, 3.)) Son éloquence, son art d’électriser aussi bien les officiers que les centurions et les simples soldats décident les plus réticents :

« Bientôt vous apprendrez que l’Italie est ouverte et la fortune de Vitellius ébranlée. Vous aurez du plaisir à me suivre et à marcher sur les traces du vainqueur ! » (Tacite, Histoires, III, 2)

Le conseil de guerre prend, à la mi-août 69, deux décisions capitales : Antonius Primus marchera sur l’Italie avec sa VII Galbiana et la XIII Gemina commandée par le légat Vedius Aquila. Aponius Saturninus devra amener promptement ses trois légions de Mésie, la III Gallica, la VII Claudiana et la VIII Augusta.

Antonius envahit l’Italie, occupe Aquilée à la fin du mois d’août, prend Padoue le 3 septembre, et décide de fortifier Vérone. L’arrivée de la VII Claudiana commandée par le Tribun Vipstanus Messala, de la VIII aux ordres du légat Numisius Lupus et de la III Gallica menée par le légat C.Dillius Aponianus, précipite les évènements.
Fort de ces cinq légions, Antonius Primus quitte Vérone. Il suit la via Postumia puis masse son armée à… Bedriacum, pratiquement sur les positions occupées par Othon, sept mois plus tôt.

L’armée de Vitellius approche. Après une marche forcée de trente miles (soit 45 km.), sans prendre de repos, elle se prépare à l’attaque le 24 octobre : quatre légions, sept vexillations des légions de Bretagne et du Rhin se rangent de part et d’autre de la via Postumia :

  • La IV Macedonica forme l’aile droite.
  • Les V Alaudae, XV Primigenia, avec les vexillations de la II Augusta, de la IX Hispana et de la XX Valeria Victrix (les trois légions de Bretagne) constituent le centre.
  • Les I Germanica, XVI Gallica et la XXII Primigenia tiennent l’aile gauche.
  • Les hommes de la I Italica et de la XXI Rapax se mêlent aux autres tandis que cavaliers et auxiliaires se placent comme bon leur semble.

Antonius Primus n’a plus le choix et dispose, lui-aussi, ses troupes des deux cotés de la voie :

  • La III Gallica sur la chaussée même.
  • La VII Claudiana, couverte sur son front par un fossé rustique et la VII Galbiana, en rase campagne, à gauche.
  • La VIII Augusta, à découvert, le long d’un sentier de traverse, puis la XIII Gemina protégée par un rideau d’arbres et un corps de prétoriens, à droite.
  • Les auxiliaires couvrent les ailes, la cavalerie protège les flancs et les arrières.
  • Les princes suèves, Sidon et Italicus, placent l’élite de leurs sujets aux premiers rangs des légions.

Commencée à la troisième heure de la nuit (21 heures donc), la bataille se poursuit jusqu’au matin :

« diverse, incertaine, affreuse, fatale tantôt aux uns tantôt aux autre… » (Tacite, Histoires, III, 22)

Dans la mêlée il devient vite difficile et parfois impossible de reconnaître l’ami de l’ennemi : les mêmes armes, des mots de passe demandés mille fois et connus de tous, des enseignes prises et reprises, emportées d’un coté puis de l’autre…
Sur la gauche, la VII Galbiana souffre : six de ses meilleurs centurions tombent, quelques étendards sont pris ! Atilius Verus, centurion primipile, sauve l’Aigle au prix de sa vie.
Les Vitelliens massent maintenant leurs machines de guerre sur la chaussée de la via Postumia. Sur ce terrain, libre et découvert, leurs traits deviennent beaucoup plus meurtriers. Dans cette véritable batterie d’artillerie, une formidable baliste de la XV écrase d’énormes pierres les lignes flaviennes. Deux légionnaires

 « osent un exploit éclatant » (Tacite, Histoires, III, 23)

ils arrachent deux boucliers de la XV à un monceau de cadavres, se faufilent dans la ligne ennemie, coupent les cordes et courroies de la machine et tombent percés de coups.
La lune se lève dans le dos des Flaviens, allongeant leurs ombres, mais éclairant bien l’adversaire : les tirs vitelliens deviennent imprécis alors que les scorpions d’Antonius ajustent leurs salves.
L’aube pointe enfin et la III Gallica, ancienne légion d’Orient, salue le soleil, à son habitude, d’une immense clameur…Pourquoi ce grand cri ? La III saluerait-elle l’arrivée des renforts ? Le bruit se répand vite : Mucien est là ! Galvanisés, les Flaviens chargent avec une audace toute nouvelle. Les lignes vitelliennes ploient, offrent des vides, se disloquent, refluent vers leur camp et s’y retranchent solidement…
Antonius les poursuit, donne les ordres, répartit la tâche de ses légions. Les VIII et VII Claudiana attaquent la partie droite du retranchement, la XIII Gemina fonce vers la porte de Brescia. Le camp résiste, Antonius dirige lui-même une puissante colonne d’assaut : la III Gallica et la VII Galbiana soutenues par l’élite des auxiliaires. Formée en coins, la VII pénètre une brèche tandis que la III brise une porte à coup de haches. Caius Volusius, légionnaire de la III Gallica, parvient le premier au sommet du rempart, culbute ceux qui résistent encore et s’écrie :

« le camp est pris ! Le camp est pris ! » (Tacite, Histoires, III,XXIX.)

Quant à Crémone, elle ne peut se défendre. Quatre jours durant, les vainqueurs ravagent la cité, pillent, brûlent, commettent toutes les horreurs.
L’armée de Vespasien marche sur Fanum Fortunae, le 20 novembre et sur Narnia , le 17 décembre. Elle atteint enfin Rome, où Vitellius meurt assassiné sur le Forum, le 20 décembre. Dès lors, l’Imperator Caesar Vespasianus Augustus, quatrième empereur de l’année, jadis compagnon officiel de Néron, disgracié puis nommé par lui gouverneur de Judée, reste seul maître de l’Empire. Pour récompenser les légionnaires de la VIII, Vespasien leur accorde des dons de terres en Thrace, à Deultum, où une colonie est créée.
Victorieuses ou vaincues, les légions regagnent leurs quartiers d’hiver. La VIII Augusta s’installe à Burnum, en Dalmatie. Elle n’y reste guère en repos et, rapidement, elle est appelée à participer au règlement de troubles d’un autre genre.

La révolte batave

De mars 68 à l’hiver 69-70, la marche des légions du Rhin vers l’Italie dégarnit progressivement la frontière rhénane et la prive de tout commandement stable. Après vingt-deux ans de service, Julius Civilis, batave de sang royal, commande alors une cohorte d’auxiliaires germains dans l’armée de Vitellius. Manipulé par le parti flavien, Civilis entraîne ses auxiliaires puis les Bataves, les Lingons et les Trévires dans un soulèvement : Vitellius ne recevra aucun secours de Germanie.
Malgré la défaite puis la mort de Vitellius, les troubles s’accentuent et se généralisent à tout le Nord-Est de la Gaule. Les insurgés remportent des succès, fondent un empire gaulois indépendant au début de l’année 70, et des légions rallient leur cause !
Réunis à Reims, les Gaulois se divisent : Les Tongres, les Nerviens, Les Trévires de Julius Tutor et Julius Classicus, les Lingons de Julius Sabinus choisissent de poursuivre leurs rêves d’indépendance aux cotés des Bataves de Julius Civilis. La majorité des Gaulois décide néanmoins de rester fidèle à Rome, sonnant le glas de la double insurrection batave et gauloise.

La reprise en main.

Vespasien séjourne alors à Alexandrie où il attend la chute de Jérusalem, assiégée par Titus, son fils aîné. A Rome, ce sont donc Domitien, son fils cadet, et surtout Mucien qui exercent le pouvoir et dirigent les opérations.
Mucien doit reprendre le contrôle de la frontière rhénane, une région stratégique par où transite une part notable des échanges entre la Germanie et la Bretagne. Il faut aussi rassurer les alliés traditionnels de Rome, Éduens et Séquanes, face à leurs « ennemis intimes », Lingons et Trévires.
Il prend les mesures nécessaires ((L. HOMO, 1949, Vespasien, L’Empereur du bon sens, Paris, 239-240.)) : huit légions convergent sur la Gaule et la Germanie. Celles d’Italie, la II Adjutrix, la VIII Augusta, la XI Claudia et la XXI Rapax traversent les Alpes. Celles d’Espagne, la I Adjutrix, la VI Victrix et la X Gemina ou de Bretagne, la XIV Gemina, marchent directement vers le théâtre des opérations. Plus de cinquante mille légionnaires sans compter les auxiliaires et la cavalerie -soit vraisemblablement près de quatre-vingts à quatre-vingt-cinq mille hommes- partent rétablir la Pax romana sous la férule de deux bons généraux.

Annius Gallus dispose des I, VIII et XI pour réduire les Lingons et pacifier la Haute- Germanie. Quintus Petilius Cerialis conduit les, II, VI, X, XIV et XXI contre les Trévires et à la poursuite de Civilis.
Petilius Cerialis associe pacification et amnisties. Sa politique, un mélange de fermeté et de conciliation, fait tomber les dernières résistances au début de l’hiver 70. Il relève ou dissout les troupes infidèles, disperse les auxiliaires germains, remplace leurs chefs par des officiers romains, et fait reconstruire les camps…

Le camp de Mirebeau-sur-Bèze.

Trévires et Lingons taillés en pièces, La Legio VIII Augusta s’installe à Mirebeau-sur-Bèze à 25 km à l’est de Dijon ((Les campagnes de fouilles sous la direction de R. Goguey et M. Reddé nous offrent l’image d’une véritable forteresse. Le camp légionnaire de Mirebeau, 1995, RGSM 36, Mayence.)). Implanté en rase campagne, au bord de la Bèze, sur une terrasse en légère déclivité, son camp contrôle les frontières de trois cités gauloises : celle des Lingons, sur le plateau de Langres, celle des Eduéns, à l’ouest de la Saône, et celle des Séquanes, à l’est.

Un fossé, un rempart de terre taluté de gazon et surélevé par une palissade de pieux, des tours de bois défendent un premier camp où les hommes dorment dans leurs papilio… Très vite, la légion remplace ses premières installations par une forteresse en dur qui présente la forme classique d’un rectangle (580x290m) aux angles arrondis et couvre une superficie d’un peu plus de vingt-deux hectares. Une triple défense pare à toute surprise et comprend, de l’extérieur vers l’intérieur :

  • Un champ de chausses- trappes, creusées dans l’argile. Au fond de chacun de ces lilia un pieu acéré dresse sa pointe vers le ciel.
  • Un fossé creusé en V, large de neuf mètres et profond de trois mètres.
  • Une puissante muraille crénelée (environ cinq mètres de haut et trois mètres soixante d’épaisseur) jalonnée, tous les quarante mètres, par une tour carrée (4,80m de coté) abritant des scorpio .
  • Les portes elles-mêmes présentent un aspect formidable : deux énormes tours en fer à cheval, construites en pierres de taille, dominent, de leurs neuf mètres de hauteur, une chaussée pavée. Dans les étages, des balistes et des scorpions interdissent tout assaut frontal et couvrent une bonne partie du rempart.
Porte du camp Mirebeau-sur-Bèze
Porte du camp Mirebeau-sur-Bèze

Abritant plus de six mille quatre cents hommes, l’intérieur du camp est une vraie ville et comprend :

  • Un hôpital militaire, le valetudinarium avec le service de santé.
  • Des écuries et services vétérinaires pour les milliers de mules, bœufs, chevaux dont dispose la légion.
  • Des ateliers. Ces fabricae produisent les armes nécessaires à la légion, réparent, améliorent…ils disposent donc de forges mais aussi de fours d’où sortent les briques et tuiles estampillées au nom de la LEG.VIII AVG.
  • Les horrea, gigantesques magasins, qui renferment, en principe, un an de vivres. Un légionnaire consommant environ 310 kg de blé par an, les greniers de Mirebeau auraient contenu plus de 20 tonnes de blé ! Cette estimation souligne l’énormité des stocks (blé, orge, huile, vin, eau…) indispensables à la bonne marche d’un légion, le problème crucial du ravitaillement et démontre l’importance du rôle économique de la VIII dans la région bourguignonne.
  • Un ou plusieurs marchés où les soldats peuvent s’approvisionner sous la surveillance des signifer.
  • Des latrines publiques. Un rapide calcul donne environ 1,5 kg d’excréments par individu et par jour soit plus de 9 tonnes par jour, pour toute la légion. Il faut donc de bonnes installations sanitaires !
  • Des citernes.
  • Deux établissements thermaux, l’un à l’intérieur et l’autre à l’extérieur du camp.
Plan du camp Mirebeau-sur-Bèze
Plan du camp Mirebeau-sur-Bèze

Les officiers logent dans des maisons à cour centrale le long de la via principalis tandis que les baraquements occupent la majeure partie du camp.
Construit en torchis et protégé par une toiture de tuiles à double pente, chacun d’entre eux abrite une centurie. Le long d’un portique à pilastres de bois, bordé sur la rue par un caniveau rudimentaire, s’alignent dix chambres et, en bout, un appartement plus grand, celui du centurion. Un contubernium dispose de deux pièces : une chambre (4,50×3,50m) et une antichambre plus petite (3,50×2,50m) où s’entassent armes et bagages. Moins de 16 m2 pour huit hommes qui vivent dans la plus grande promiscuité et cuisinent à même le sol de terre battue de leur pièce principale…Ils enterrent leurs détritus directement devant l’entrée de leur chambrée.
Leur alimentation n’apparaît pas si frugale que cela . A coté des produits de leur chasse tels que des cerfs, des blaireaux, et des renards, les légionnaires ajoutent au pain des galettes, des biscuits, du lard, du fromage, des légumes (lentilles, pois, fèves, radis, olives), de la viande de porc, du bœuf, du mouton, ou de la chèvre. Le porc représente plus de 40% des restes animaux, le bœuf près de 30%, les moutons et les chèvres environ 20%. Ces données ne nous renseignent malheureusement pas sur la quantité réelle de viande dont disposent les légionnaires. Ils consomment de l’huile d’olive venue du sud de l’Espagne, du vin de Provence de qualité secondaire. Des canards, des pigeons ou des oies agrémentent l’ordinaire.

Les principia, véritable centre administratif au cœur de la forteresse, se dressent au carrefour des via praetoria et principalis. Des portiques bordent tout l’extérieur de ce grand bâtiment carré (85 m de côté) dont l’entrée monumentale s’orne d’un arc et deux petites fontaines.
La porte franchie, une vaste cour bordée de portiques dessert les bureaux des officiers et l’armamentaria – l’armurerie. Dans l’axe de l’entrée, quelques marches donnent accès à la basilica, une salle de réunion à trois nefs séparées par deux rangées de colonnes. Au fond, dans l’axe du bâtiment, se situe la chapelle aux enseignes, un petit temple carré (10x10m) où sont conservées l’effigie de l’Empereur, les enseignes dont l’Aigle, l’argent de la solde et l’épargne des soldats.
Ce camp a donc été le cantonnement de la VIII pendant la plus grande partie de la période flavienne. Quoiqu’on ne puisse la dater avec précision, la fin du séjour de notre légion à Mirebeau paraît contemporaine d’une nouvelle révolte des troupes en Germanie.

L’affaire Saturninus : 88-89 après J.-C.

En 88, Lucius Antonius Saturninus, légat de Germanie supérieure, soulève les deux légions du camp de Mogontiacum -Mayence- la XIX Gemina et la XXI Rapax. Il se fait acclamer empereur et, pour asseoir durablement ( ?) sa popularité auprès des légionnaires, il puise largement dans les caisses des deux légions et dans l’épargne militaire des soldats.
Domitien réagit promptement : Il marche sans attendre vers la Germanie, à la tête de ses prétoriens, et Il ordonne à Trajan (tiens,tiens…) d’amener, à marche forcée, sa VII Gemina d’Espagne.
Les choses vont très vite, Lappius Maximus, le légat de Germanie inférieure, écrase l’usurpateur entre Coblence et Bonn, sur la rive gauche du Rhin et Saturninus meurt dans ce combat. Domitien poursuit sa route, arrive en Germanie et exerce une répression féroce.
Qu’elle soit encore à Mirebeau ou déjà installée à Strasbourg, la VIII reste fort proche du théâtre des opérations. Il nous paraît donc vraisemblable qu’elle joue un rôle, actif ou passif, dans l’échec de ce soulèvement. La minceur des sources littéraires relatant cet épisode ne nous permet pas d’apprécier clairement son attitude ((F. BERARD, 2000, La légion XXI Rapax, in Les Légions de Rome sous le Haut-Empire, Actes du Congrès de Lyon, 49-67. Diffusion De Boccard.)). Nous pouvons toutefois formuler deux hypothèses. Dans la première, sa neutralité, prudente ou bienveillante, contribue au maintien de Domitien. Dans la seconde, qui n’exclut pas la première, elle participe aux combats et à l’épuration. Hélas, l’état actuel de la documentation ne permet d’étayer ni l’une ni l’autre de ces deux versions et nos questions restent sans réponse.

Quoiqu’il en soit, c’est bien vers cette époque que la VIII part s’installer sur les rives du Rhin ((Les campagnes de fouilles sous la direction de R. Goguey et M. Reddé nous offrent l’image d’une véritable forteresse. Le camp légionnaire de Mirebeau, 1995, RGSM 36, Mayence.)).

L’importance du camp d’Argentorate-Strasbourg.

Vers 90, la VIII reçoit donc l’ordre de quitter ses cantonnements de Mirebeau pour s’installer à Argentorate ((Les campagnes de fouilles sous la direction de R. Goguey et M. Reddé nous offrent l’image d’une véritable forteresse. Le camp légionnaire de Mirebeau, 1995, RGSM 36, Mayence.)). Ce déplacement répond, semble-t-il, aux nouveaux objectifs des Flaviens : ils étendent l’Empire sur la rive droite du Rhin et ce dispositif exige la présence d’une garnison immédiatement en arrière de la nouvelle frontière. Une très forte armée, d’environ cinquante mille hommes conduits par Cnaeus Pinarius Cornelius Clemens, contrôle désormais les Champs Décumates, ces territoires germaniques situés entre Rhin et Danube. Dans ce contexte, la VIII participerait à la réalisation d’une liaison stratégique entre le Main inférieur et le Danube, comme en témoignerait le milliaire d’Offenburg ((Découverte en 1615 dans la rivière Kinsig et conservée aujourd’hui au Badisches Landemuseum.)).

La guerre civile avait souligné un problème majeur, celui des connexions entre le Bas-Rhin et le Danube. Aussi entre 72 et 74, l’armée entreprend la construction d’une route destinée à relier Augusta Vindelicorum (Augsbourg) à Mogontiacum (Mayence) et donc Argentorate à la Rhétie. Passant par Offenburg et la vallée de la Kinsig dans la Forêt Noire, cette voie directe évite le détour par le coude du Rhin et le cours supérieur du fleuve. La construction de nouveaux forts la sécurise immédiatement : Offenburg, Area Flavaea ( Rottweil)…Elle économise environ 200 km, soit plus d’une semaine de marche. Tout d’abord créée par les militaires pour les militaires, elle draine très vite une grande partie du trafic établi entre la vallée du Rhin et les Balkans, et par delà, les provinces orientales de l’empire. Elle joue donc un rôle non négligeable dans la diffusion des cultes orientaux.

route d'Argentorate vers la Rhétie
route d’Argentorate vers la Rhétie

S’intégrant à ce nouveau dispositif, la Legio VIII Augusta rétablit l’ancien camp de la II Augusta, partie pour la Grande-Bretagne en 43 et pratiquement détruit lors des événements de l’année 69.

Un rempart de terre, remplacé ensuite par un mur de basalte, protège cette forteresse, d’une superficie de vingt hectares (530x275m).

Porte du camp d'Argentorate
Porte du camp d’Argentorate

Ses vestiges occupent très exactement le centre médiéval de la ville de Strasbourg. La rue du Dôme court sur la via principalis et celle des Hallebardes, prolongée par la rue des Juifs, recouvre la via praetoria ((M. REDDÉ, 1996, L’armée romaine en Gaule, Paris, 203-207. « Le camp légionnaire d’Argentorate reste aujourd’hui encore l’un des moins connus de cette région »)).

Autour de ce camp s’installe puis se développe un vicus, des canabae avec toutes les activités artisanales (fer, cuivre, bronze, cuirs, poteries…), les boutiques, les marchés destinées à subvenir aux besoins d’une armée sédentaire mais aussi les tavernes, les lupanars, les lieux de spectacles variés, tout un univers dont les seuls revenus dépendent du pouvoir d’achat de la legio VIII Augusta. Elle fait d’Argentorate, de ce carrefour (stratae burgus ou la ville des routes), une ville prospère d’environ vingt ou trente mille habitants ((B. SCHNITZLER, 1996, Cinq siècles de civilisation romaine en Alsace, Strasbourg.)) placée sous la double tutelle de Mercure voiturier et d’Epona, la déesse des chevaux.

Plan du camp de la VIII Augusta à Argentorate
Plan du camp de la VIII Augusta à Argentorate

En relation avec ce centre, la légion s’emploie alors à de grands travaux d’aménagement, à la production de matériaux de constructions et à la fabrication d’objets plus modestes.

La VIII construit un aqueduc de 28 km de long entre la source de Kuttolsheim et son camp. Cet ouvrage franchit un dénivelé de soixante mètres et dessert, avec une pente régulière de 2%, les thermes légionnaires, les maisons des officiers, les fontaines. La tuilerie légionnaire du vicus de Strasbourg-Koenigshoffen produit plus de 8500 tubes en terre cuite – de 65 cm de long pour 30 cm de large- pour réaliser cette conduite faite d’une double file de tuyaux ((B. SCHNITZLER, 1996, Cinq siècles de civilisation romaine en Alsace, Strasbourg.))

Elle fabrique également des tuiles estampillées qui se retrouvent dans beaucoup de forts, tout le long du limes (Ladenburg, Saalburg…), dans les villes de la province (Rottenburg, Baden-Baden…), en Germanie inférieure, en Rhétie (Aalen). Elle alimente, essentiellement par voie d’eau, l’ensemble des sites militaires soumis à l’autorité de son légat mais aussi la Gaule, les Pays-bas… Taillés dans le Lœss, les batteries de fours de ce vicus, aujourd’hui situées sous la rue du Schnockeloch ou le long de l’actuelle route des Romains, cuisent les poteries ordinaires utilisées à Argentorate et aux alentours.

Une autre tuilerie de la VIII, établie à Nied, près de Francfort, témoignerait de l’implication de tout ou partie de la VIII dans la guerre contre les Chattes((M.REDDE, 2000, Legio VIII Augusta, in Les légions de Rome sous le Haut-Empire, Actes du Congrès de Lyon, 119-126, Diffusion De Boccard)), cette peuplade germanique implantée dans les monts du Taurus. Un soldat de la VIII, Caius Valerius Crispus, originaire de Berta, en Macédoine, aurait trouvé la mort à l’age de 40 ans, après 21 ans de service, dans les affrontements de 90. Sa stèle funéraire orne aujourd’hui le musée de Wiesbaden.
La VIII exploite aussi des carrières de grès comme celle de la Champagnermühle près de Reinardmunster qui a livré une inscription « Officina Leg.VIII Aug. » ou au Koepfel, du grès gris dans la région de Macviller, du poudingue dans le Mont Sainte-Odile, et du granite à Dieffenthal et Scherwiller.
La VIII aménagea ensuite les rives de l’Ill sous Hadrien, pour installer un port fluvial qui devint la clef de la navigation sur le Rhin. Elle contrôla ce trafic comme le laisse supposer une inscription dédiée à Rheno Patri Oppius Severus Leg. Aug. ((Conservée au musée de Strasbourg et datée de 130 après J.-C.)).

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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