Gâteaux, crêpes et autres utilisations de la farine

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Si la farine servait essentiellement pour faire les galettes et le pain, ce n’est pas là leur seule utilisation. Elle servait notamment pour toutes sortes de gâteaux et pâtisseries. La distinction d’avec le pain est des fois dure à voir, car nous sommes culturellement habitués à une forme particulière de pain, alors que les Romains désignaient également sous le nom de panis bon nombre de préparations qui sont pour nous proches du gâteau ou de la brioche : ajouter du lait, du fromage, du miel ou des épices était monnaie courante.

Le culte impérial, qui se développe sous l’Empire, va également donner lieu à une place du pain dans les cérémonies qui ont lieu dans chaque capitale de cité. Il est en effet fréquent que ce culte s’accompagne de distributions gratuites de pain et de jeux du cirque, ces deux éléments contribuant au culte de la personnalité des empereurs romains. Après la cérémonie religieuse en elle-même, les festivités continuent souvent dans l’amphithéâtre et des distributions ont lieu dans l’enceinte même du lieu. Dans ces circonstances, on distribue souvent des crustula, sortes de biscuits cuits dans des moules particuliers, les moules à crustulum. Ces moules ont été retrouvés à travers tout l’Empire et en particulier en Pannonie qui est le centre des activités impériales aux IIe et IIIe siècles. Ces moules présentent très souvent des motifs qui ont trait aux cérémonies du culte impérial : dieux et déesses, empereurs et gladiateurs. Le culte impérial étant obligatoire en principe, il était certainement important de recevoir ce pain et de le conserver pour l’offrir aux dieux lares. Il pouvait ainsi attester de la participation du fidèle au culte. Des médailles frappées dans ces occasions pouvaient aussi remplir ce rôle, ce qui semble attesté par Alföldi qui a remarqué les similitudes des motifs de ces médailles et des moules à crustulum.

Pâtisseries et autres dulciae

À côté du pain figurent un très grand nombre de pâtisseries, dont le mode de préparation diffère assez peu de celui du pain. La seule grande différence vient dans l’utilisation du miel, souvent sous forme de sirop, ainsi que de fruits secs tels que les dattes ou les figues avec toutes sortes de noix, noisettes, amandes, pignons. Leur goût très sucré leur donne le nom de dulciae, dulciaria ou dulciolae. Parfois les crustula (‘biscuits’ en latin) rentrent dans cette catégorie puisqu’il est régulier de mouler les biscuits. Beaucoup de ces friandises portent des noms grecs et il est parfois difficile de savoir dans ces recettes ce qui est gréco-romain ou non. Certaines de ces pâtisseries sont typiques des fêtes qui les accompagnent. En particulier les crêpes que l’on faisait lors des Lupercaliae, et que nous faisons toujours à la Chandeleur.

Un des desserts les plus typiques de la Rome antique est la placenta, c’est-à-dire une galette qu’il était de coutume de manger à l’occasion des mariages ou des naissances et à la nouvelle année. Ainsi la galette de frangipane que nous mangeons autour de l’Epiphanie en est une lointaine descendante. La recette antique consistait en une pâte feuilletée sur laquelle on mettait du fromage frais et de nombreux fruits secs et qu’on recouvrait d’une couche de pâte feuilletée, on pouvait même faire plusieurs étages de la sorte, on mettait ensuite à cuire et on recouvrait de miel avant de servir des parts découpées en carré. Cette recette a de nombreux descendants, en particulier en Roumanie où on l’appelle encore plăcintă et qui reprend en particulier l’utilisation du fromage, ainsi que dans le monde grec et oriental avec le baklava (certains hellénistes ont même avancé que c’était exactement la même recette). Ces deux dernières recettes continuent de servir ce gâteau en portions carrées.

Le pain d’épices était également connu. Toute personne qui a déjà mangé un pain d’épices maison ou fait dans le Morvan, sait à quel point cette pâtisserie tient plus du pain que du gâteau puisque les épices ont un parfum léger et le côté douceâtre du miel ne sucre pas trop le pain. Aujourd’hui on a tendance à mettre de la cannelle et du gingembre, mais les Romains les utilisaient beaucoup plus rarement, il est probable qu’ils y introduisissent beaucoup plus de poivre ou de cardamone, donnant par là une autre saveur. Les globi étaient des boulettes faites à parts égales de fromage de brebis et de semoule que l’on faisait frire dans de l’huile d’olive : faire frire la pâte est un des éléments caractéristiques des dulciae. Ensuite elles étaient recouvertes de pavot ou de sésame ainsi que recouvertes de miel. Les gourmandises à la Hubelius sont une bouillie épaissie au feu que l’on laisse ensuite refroidir avant de les découper en cubes ensuite recouverts de miel ainsi que de poivre : ces mélanges de saveur poivré-sucré sont assez fréquents dans l’Antiquité.

Les dactyli (littéralement ‘des doigts’ ou même des ‘dattes’) sont des petits biscuits sablés à la semoule et à la poudre amandes qui tiennent leur nom de leur forme. Les anneaux au miel sont une variante d’autres pâtisseries dont on a retrouvé des traces dans le domaine gallo-romain au cours de fouilles. Ces divers petits gâteaux assez secs, qui devaient varier en forme et en ingrédients en fonction de ce qu’il y avait dans le garde-manger, ressemblent pour beaucoup aux pâtisseries que l’on retrouve encore aujourd’hui dans le Maghreb, ou plus proche de nous au Portugal.

Il semble que le dénominatif de pâtisserie doive surtout être attribué à la grande quantité de miel qu’on y ajoute. Les Romains n’ayant pas comme nous une culture du salé et du sucré bien distincts en tant que saveurs, leur cuisine est le plus souvent aigre-douce, ceci tend à relativiser la dénomination d’une pâtisserie en tant que tel.

Tracta

Comme son nom l’indique, la tracta est une pâte étirée en fine feuille puis séchée (voire cuite) et qui était utilisée dans des plats cuits au four. La différence d’avec la pâte de la placenta est mineure : la pâte de la placenta est fraîche et non séchée. Son nom grec, laganon, serait à l’origine de celui des lasagnes, car les plats d’Apicius l’utilisant ressemblent étrangement à ce plat. Pourtant, pour ce que nous en savons, il ne s’agit pas du même plat puisque la pâte restait plus ou moins sèche tandis que dans les lasagnes la pâte s’imbibe du jus de cuisson comme pour nos pâtes. Mais il semble assez certain que ces deux plats aient un lien direct : Isidore de Séville décrivant le plat antique montre que celui-ci a déjà évolué et correspond bien aux lasagnes, les tomates et la béchamel en moins, bien évidemment.

Si nous pouvons suivre l’histoire de cette tracta depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen-Âge, c’est grâce aux théologiens. Lorsque Saint Jérôme de Stridon écrit la Vulgate, il se sert justement du terme laganon pour décrire le pain utilisé par le Christ au moment de la Cène, qui est le pain azyme dont se servent toujours les Juifs pour Pessah. Cependant c’est aussi l’écueil de cette description : elle sert surtout des desseins liturgiques quant à l’utilisation de ce pain comme hostie lors du rituel de la messe, le questionnement principal étant justement si le pain doit être levé ou non, mais du coup ne décrivant pas sa préparation par les laïcs dans la cuisine familiale : sommes-nous donc en présence d’une même recette ou bien d’un raccourci, car il n’y a pas d’équivalent précis pour ce pain dans la langue latine ? Aujourd’hui les lagana sont toujours consommés en Grèce, mais ce sont des pains levés.

Il a aussi été avancé que ce type de pâte est à l’origine des biscuits de marin, mais sans certitude. Il s’agit peut-être d’itrion, un biscuit fait de la même manière que la tracta mais avec de la farine de sésame et du miel, il était nécessaire de briser ces biscuits et de les tremper dans un liquide pour éviter de se casser les dents, si on en croit la description d’Anacréon.

Quenelles

Il semble que les Romains aient prisé quelques recettes de quenelles, mais qui ressemblent moins à nos quenelles qu’aux knödel de la cuisine bavaroise, autrichienne ou tchèque. Les quenelles romaines pouvaient se faire soit à base de farine soit avec de la semoule, avec du lait ou simplement de l’eau. Mise dans le plat en fin de cuisson elles avaient l’avantage d’absorber le jus des fruits et des légumes, en particulier dans le cas du minutal. Dans ce plat les quenelles s’apparentent plus à des spätzel quant à la forme, puisque la pâte est passée au travers d’une râpe.

Sauces

On peut trouver chez Apicius un ancêtre de la sauce béchamel. Elle se faisait déjà avec du lait et de la farine. Apicius s’en sert pour napper un poulet, dans la recette du poulet à la Varda, mais elle était sans doute très liquide contrairement à la béchamel que nous connaissons. On ne connaît pas d’autres sauces faisant entrer la farine dans la préparation.

Sources:

http://histoiredepates.net/category/recettes-de-pates-anciennes/recettes-de-pates-greco-romaines/
https://books.google.rs/books?id=sJ5Ww8fUSTgC&pg=PA15#v=onepage&q&f=false
http://penelope.uchicago.edu/Thayer/E/Roman/Texts/Cato/De_Agricultura/E*.html
http://www.en-direct-dathenes.com/tag/fetes%20de%20paques/

Jacques Moreau

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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