Sextus Iulius Frontinus

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Aucune grande dédicace ne retrace la carrière de celui que Tacite décrit en quatre mots :

« C’était un grand homme autant qu’il était permis de l’être ». ((Tacite, Biographie d’Agricola, XVII)) ((Vir magnus, quantum licebat))

Nous devons glaner dans les sources littéraires (Tacite, Pline, Martial ou encore Aelien) des renseignements épars pour tenter de reconstituer son cursus honorum.

Le début de carrière

Né vers 35 et probablement originaire de Vienne, en Gallia Narbonensis ((R.SYME, Tacitus, Oxford, 1958. Syme (pp 654-655) suppose que Frontin, de rang équestre, aurait bénéficié d’une adlectio sous Galba et donc profité d’un début de carrière accéléré.)), Frontin étale une brillante carrière sous neuf Césars : Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus, Domitien, Nerva et Trajan. Nous ne connaissons rien de ses débuts et nous ne pouvons que supposer un cursus honorum ((Le cursus honorum, la marche vers le Sénat débute par deux échelons préparatoires, le Vigintivirat, pour les activités civiles et le tribunat militaire (autour de 20 ans) pour les fonctions militaires. Ces deux étapes peuvent se faire dans cet ordre ou dans l’ordre inverse. Le cursus comprend ensuite quatre magistratures sénatoriales proprement dites qui doivent être normalement gérées dans l’ordre: la questure (vers 25 ans), le Tribunat de la plèbe ou l’ édilité, la préture ( vers 30 ans), et enfin le consulat ordinaire ou suffect (remplaçant). Ces magistrats sortis de leur charge gouvernent une province avec le titre de propréteurs ou de proconsuls. Dés 52 avant J.-C., la Lex Pompeia impose un délai de cinq ans entre la magistrature et la promagistrature.)) semblable à celui de tous les jeunes gens se destinant à une carrière sénatoriale. Il commença donc par une année de « service militaire » en tant que Tribun laticlave, au milieu des années cinquante, et remplit des fonctions du Vigintivirat ((Le cursus sénatorial commence par des fonctions préliminaires, le tribunat de légion et le vigintivirat. Le vigintivirat comprend quatre commissions : des fonctions relatives à l’état civil des citoyens (X viri stlitibus judicandis), à la frappe de la monnaie au nom du Sénat (III viri auro argento aere flando feriundo), à la justice et à la police chargée des exécutions capitales (III viri capitales), enfin à la direction de la voirie urbaine (IV viri viarum curandarum). Avant les Flaviens la carrière débute par la fonction de Tribun, dans une légion, et se poursuit par le Vigintivirat. Après les Flaviens, le « cursus honorum » débute par le vigintivirat.)).

Quand Frontin écrit son Strategemata ((Le Strategemata fut probablement écrit entre 84 ( peut-être 88) et 96. Il comprend 583 anecdotes réparties en quatre livres et présentées de façon organisée ( au moins pour les trois premiers livres). Des passages du livre IV, en particulier IV, 1,21 ; IV, 1, 28 ; IV, 2,3 et IV, 7,2 donnent sur la guerre parthique de Corbulo des détails qui ne figurent pas dans Tacite ( Annales, XIII, 8,35 et 36).)), il nous apporte des précisions sur les campagnes de Cnaeus Domitius Corbulo contre les Parthes (58/62). Ces données ne figurent pas dans l’œuvre de Tacite (Annales, XIII,, I-XXI et XV, I-XXX) et nous laissent envisager sa participation à ces guerres parthiques.
Ces opérations terminées, trois des légions de Corbulo, les XV Appolinaris, X Fretensis et V Macedonica partent renforcer l’armée de Vespasien contre les Juifs (67/69). Alors que ce conflit se poursuit, Mucien et Antonius Primus quittent la Judée pour l’Italie. Ils partent affronter les troupes de Vitellius avec un détachement de 13 000 hommes vraisemblablement puisé dans ces trois légions ((Murray K. DAHM, The Carrer and Writtings of Sextus Iulius Frontinus, Master of Literature in Ancient History, University of Auckland, 1997. Mucien et Antonius Primus prennent aussi la totalité de La VI Ferrata.)). De la Parthie à la Judée, de la Judée à l’Italie, en suivant les légions, Frontin aurait ainsi poursuivi ses activités militaires sans jamais quitter l’orbite des Flaviens. Cette hypothèse expliquerait pourquoi il intègre si rapidement le groupe des « Amici Principis » de Vespasien ((John A. CROOCK, Consilium Principis. Imperial Councils and Consillors from Auguste to Diocletian, Cambridge, 1955. Frontin fait partie d’un groupe de 22 personnages entourant Vespasien.))

Préteur urbain vers 70

Enfin une source littéraire nous donne quelque chose de tangible en nous indiquant sa préture ((« Kalendis Ianuariis in senatu, quem Iulius Frontinus praetor urbanus uocauerat, legatis exercitibusque ac regibus laudes gratesque decretae; Tettio Iuliano praetura, tamquam transgredientem in partis Vespasiani legionem deseruisset, ablata ut in Plotium Grypum transferretur; Hormo dignitas equestris data. et mox eiurante Frontino Caesar Domitianus praeturam cepit. » ( Tacite, Histoires, IV, XXXIX).)):

« Le jour des calendes de janvier, le sénat, convoqué par Julius Frontinus, préteur urbain, décerna aux lieutenants, aux armées, aux rois ((Probablement Antiochus IV Epiphane de Commagène, Sohaemus d’Emèse, Agrippa II et sa sœur Bérénice (Tacite, Histoires, II, LXXXI).)), des éloges et des actions de grâces. La préture fut retirée à Tertius Julianus, sous prétexte qu’il avait abandonné sa légion lorsqu’elle passa sous les drapeaux de Vespasien, et Plotius Griphus lui fut substitué. Hormus reçut le titre de chevalier. Bientôt Frontinus ayant abdiqué, Domitien prit possession de la préture » ( Tacite, Histoires, IV, XXXIX).

Légat de la Legio VIII Augusta (70-73) ?

Vraisemblablement chargé de réduire la cité des Lingons, Frontin participe aux opérations de « rétablissement de l’ordre » en Germanie et nous livre son témoignage ((« Aupiciis Imperatoris Caesaris Domitiani Augusti Germanici bello, quod Iulius Civilis in gallia moverat, Lingonum opulintissima civitas, quae ad Civilem desciverat, cum adveniente exercitu Caesaris populationem timeret, quod contra expectationem inviolata nihil ex rebus suis amiserat, ad obsequium redacta septuaginta milia armatorum tradidit mihi » ( Frontin, Stratagèmes, IV, 3,14).)) :

« Pendant la guerre de Germanie, conduite sous les auspices de César Domitien contre Civilis, les Lingons (ceux de Langres) qui s’étaient déclarés pour l’ennemi, craignant d’être saccagés à l’arrivée des Romains, se rassurèrent quand ils virent qu ‘on ne commettait aucun désordre. Ils rentrèrent dans leur devoir et me fournirent soixante dix mille hommes. » (Stratagèmes, IV, 3,14).

Le premier commandement de la legio VIII Augusta pourrait donc être celui de Sextus Julius Frontinus ((René GOGUEY et Michel REDDE, Le camp légionnaire de Mirebeau, RGSM 36, Mayence, 1995. Ces deux auteurs soulignent la qualité du recrutement des légats de la VIII, pendant l’ère flavienne, puisque cinq d’entre eux deviennent gouverneurs consulaires et exercent d’importantes fonctions et responsabilités militaires.)) et c’est lui qui, en tant que légat, aurait choisi l’emplacement du camp de Mirebeau.

Une inscription atteste de son passage en Germanie et fait allusion à des problèmes de santé qu’il aurait du affronter :

[I(OVI) • O(PTIMO) • M(AXIMO) • I]VNONI
[MINER]VAE • PRO
[SAL(UTE) • S]EXTI • IVL(I)
[FRO]NTINI((CIL, XIII, 8624. Vetera Castra))
A Jupiter, très bon, très grand, à Junon
et à Minerve,
pour la santé (retrouvée) de Sextus Julius Frontinus.((Birten-Xanten))

Consul suffect puis Gouverneur de Bretagne (76-78)

Après ce commandement légionnaire il devient consul suffect vers 74, donc vers ses 39/40 ans, puis est nommé gouverneur de Bretagne par Vespasien ((Probablement Antiochus IV Epiphane de Commagène, Sohaemus d’Emèse, Agrippa II et sa sœur Bérénice (Tacite, Histoires, II, LXXXI).)) :

« Mais, dès que Vespasien eut, avec le reste du monde, reprit en main la Bretagne : y débarquèrent de grands chefs qui en imposaient, des armées d’élite, et l’espoir de l’ennemi s’amenuisa. Immédiatement Petilius Cerialis répandit la terreur en attaquant le territoire des Brigantes, qui passe pour le plus peuplé de la province. Il livra de nombreux combats, parfois sanglants, et neutralisa une grande partie des Brigantes par ses victoires ou par la guerre. Cérialis eût, à coup sûr éclipsé par son activité et sa réputation tout autre successeur. Mais Iulius Frontinus, grand homme autant qu’il se pouvait alors, accepta et soutint cette comparaison. Il soumit par les armes, les Silures, un peuple puissant et combatif, et il surmonta, en plus de la bravoure de l’ennemi, les difficultés du terrain. » (Tacite, Agricola, XVII)

Vers le Proconsulat d’Asie (86-87)

Nous ne possédons aucun renseignement concret sur les activités de Frontin pendant le règne de Titus ( 79-81) et une bonne partie de celui de Domitien ( de 81 à 86/87). Son nom figure sur les deux dédicaces (Grec/Latin) de la « porte dite de Domitien », à Hierapolis (Pamukkale,Turquie) et révèlent sa présence en tant que Proconsul d’Asie :

Sur le coté sud de cette entrée, l’inscription se lirait :

Caesare[re Augusto German]ico Pont(ifex) Max(imo) Trib(unicia) Pot(estate) / IIII Co(n)s(uli)[ XII P(atre) P(atriae) porta]m et t[vrres faciundas curavi]t [Sex(tus) Iulius Frontinus]
« A César Auguste Germanicus, Pontifex Maximus, investi de la Puissance tribunitienne pour la quatrième fois, Consul pour la douzième fois, Père de la Patrie. Sextus Julius Frontinus a fait construire cette porte et ces tours »

Et sur le coté nord, nous déchiffrerions :

C[aesa]r[e] Avg(usto) Ger[manico Trib(unicia) pot(estate) II]II Co(n)s(uli) XII P(atre) P(atriae) Portam et t[vrres faciundas cur]avit Sex(tus) Ivlius Front[inus].

La puissance tribunitienne, accordée la première fois lors de l’accession de Domitien au trône, se renouvelle chaque année à la date anniversaire du 14 septembre, elle indiquerait donc la fin de l’année 86. Quant au douzième consulat, il marque les années 86/87.
Envisager une disgrâce passagère ou encore une vie retirée serait en total désaccord avec la nomination de Frontin au proconsulat d’Asie, une province réputée pour sa richesse et dont le gouvernement marque souvent le couronnement d’une carrière.
Frontin aurait donc poursuivi ses activités et nous devons envisager sa participation aux campagnes militaires de Domitien contre les Chattes (82/84) probablement en tant que conseiller du Prince ((Murray K. DAHM, The Carrer and Writtings of Sextus Iulius Frontinus, Master of Literature in Ancient History, University of Auckland, 1997. Mucien et Antonius Primus prennent aussi la totalité de La VI Ferrata.)).

Curateur des eaux et écrivain (97)

Entre son retour d’Asie et sa nomination au poste de Curateur des eaux, soit de 87 à 96, de rares sources littéraires suggèrent que Frontin se partageait entre l’Urbs et ses villégiatures.
Il n’abandonne pas la cour impériale et fait toujours partie des « Amici Principis » ((John A. CROOCK, Consilium Principis. Imperial Councils and Consillors from Auguste to Diocletian, Cambridge, 1955. Frontin fait partie d’un groupe de 22 personnages entourant Vespasien.)) ce qui permet à Pline de le solliciter dans une affaire d’héritage.
Asudius Curianus se trouve déshérité par sa défunte mère Pomponia Galla, en faveur de Pline qui, pour trouver un arrangement à l’amiable, s’adjoint ((« Adhibui in consilium duos quos tunc ciuitas nostra spectatissimos habuit, Corellium et Frontinum. His circumdatus in cubiculo meo sedi. Dixit Curianus quae pro se putabat. Respondi paucis ego – neque enim aderat alius, qui defunctae pudorem tueretur , deinde secessi, et ex consilii sententia ‘Videtur’ inquam, ‘Curiane, mater tua iustas habuisse causas irascendi tibi. » (Pline, Epistularum, V, I, C. Plinius Annio Severo Suo S).)):

« comme conseillers deux hommes qui jouissaient alors dans notre cité de la plus haute estime, Corellius et Frontinus. Assis entre eux deux je donnai audience à Curianus dans ma chambre. Il dit ce qui, à son avis, était en sa faveur. Je répliquai en peu de mots moi-même (car il n’y avait là personne pour défendre l’honneur de la défunte); puis je me retirai. et sur l’avis de mon conseil je dis : « Il semble Curianus, que votre mère a eu de justes motifs d’irritation contre vous. » ( Pline, Epistularum V,I, C. Pline salue son cher cousin Annius Severus, cette lettre serait datée des années 93-96).

La faveur impériale se manifeste une nouvelle fois quand Nerva le nomme, en 97, Curator aquarum, directeur du service des eaux à Rome. Il succède à Acilius Aviola qui occupait ce poste depuis 74 !

L’inscription, découverte le long de la via Tiburtina, date probablement de cette époque:

SEX • IVLI • FRONTINI ((CIL, XV, 7474))

Dans « De aquis urbae Romae » il décrit les aqueducs, leur histoire, les règlements, les détails techniques concernant la qualité et la répartition de l’approvisionnement en eau.

De temps en temps Frontin quitte Rome pour une des villégiatures dont Martial vante les charmes (( « Charmante côte de Formies, au doux climat, toi qu’Apollinaris préfère à tout autre lieu, quand il fuit la cité du sévère Mars et que, fatigué, il dépouille les soucis et l’agitation, l’aimable Tibur, patrie de sa vertueuse épouse, les retraites de Tusculum et d’Algide, Préneste même ou Antium, sont moins admirés par lui. Ni Circé la caressante, ni Caïète, fondée par les enfants de Dardanus, ni Marica, ni Liris, ni Salmacis, baignée par les eaux du lac Lucrin, n’excitent ses regrets. A Formies, la surface de la mer est ridée d’un vent léger. L’eau n’est pas languissante, mais la vie calme de cette mer, avec l’aide de la brise, pousse la barque peinte. Une fraîcheur saine y règne, comme celle que se donne, en agitant sa robe de pourpre, la jeune fille qui craint la chaleur » (Martial, Epigrammes, X, XXX. – Sur la cote de Formies, Séjour d’Apollinaris).)) mais ses visites hors de Rome semblent de courte durée puisque le poète regrette les discussions passées avec un protecteur auquel il rappelle sa fidélité ((« Anxuris aequorei placidos, Frontine, recessus Et propius Baias litoreamque domum, Et quod inhumanae cancro feruente cicadae Non nouere nemus, flumineosque lacus Dum colui, doctas tecum celebrare uacabat Pieridas: nunc nos maxima Roma terit. Hic mihi quando dies meus est? iactamur in alto Urbis, et in sterili uita labore perit, Dura suburbani dum iugera pascimus agri Vicinosque tibi, sancte Quirine, lares. Sed non solus amat qui nocte dieque frequentat Limina, nec uatem talia damna decent. Per ueneranda mihi Musarum sacra, per omnes Iuro deos: Et non officiosus amo. » (Martial, Epigrammes, X, LVIII).)) :

« Frontinus, tant que j’habitais les paisibles retraites de la marine Anxur et Baies, plus proche de Rome, et la maison sur le rivage et les bois que, pendant l’ardeur du Cancer, ne connaissent pas les cigales impitoyables, et ces lacs fluviaux, j’avais le loisir de célébrer avec toi les savantes Muses. Mais aujourd’hui Rome, de tout son poids, nous écrase. Ici quand puis-je avoir un jour à moi? Ballotté sur cette haute mer qu’est la Ville, j’y perds ma vie en un stérile labeur, réduit que je suis à cultiver les ingrats arpents d’un champ de banlieue et à abriter mes Lares dans ton quartier, vénérable Quirinus. Mais il n’est pas le seul qui aime, celui qui nuit et jour assiège le seuil d’un patron. De tels dommages ne conviennent pas à un poète. Moi aussi j’aime (je le jure par le culte sacré que je rends aux muses et par tous les dieux) mais je n’aime pas en flatteur. » (Epigrammes, X, LVIII. — A Frontinus)

Lors d’un de ses séjours Frontin rencontre Aelianus le Tacticien et celui-ci consigne par écrit cet entretient qui s’est déroulé probablement en 96 :

« J’ai pu passer quelques jours à Formae, avec le distingué consul Frontin, un homme de grande réputation tant par ses qualités que par son expérience de la guerre » ( Aelianus, Tactica, circa 110 après J.-C.).

Trois fois consul (74, 98 et 100)

Frontin devient consul suffect pour la deuxième fois, en 98, et Martial (encore lui… !) se débrouille pour y faire allusion ((« Nuntiat octauam Phariae sua turba iuuencae, Et pilata redit iamque subitque cohors. Temperat haec thermas, nimios prior hora uapores Halat, et inmodico sexta Nerone calet Stella, Nepos, Cani, Cerialis, Flacce, uenitis Septem sigma capit, sex sumus, adde Lupum. Exoneraturas uentrem mihi uilica maluas Adtulit et uarias, quas habet hortus, opes, In quibus est lactuca sedens et tonsile porrum, Nec deest ructatrix menta nec herba salax; Secta coronabunt rutatos oua lacertos, Et madidum thynni de sale sumen erit. Gustus in his; una ponetur cenula mensa, Haedus, inhumani raptus ab ore lupi, Et quae non egeant ferro structoris ofellae, Et faba fabrorum prototomique rudes; Pullus ad haec cenisque tribus iam perna superstes Addetur. Saturis mitia poma dabo, De Nomentana uinum sine faece lagona, Quae bis Frontino consule trima fuit. Accedent sine felle ioci nec mane timenda Libertas et nil quod tacuisse uelis: De prasino conuiua meus uenetoque loquatur, Nec facient quemquam pocula nostra reum. » (Martial, Epigrammes, X, XLVIII , )) même dans la préparation d’un repas :

« La troupe consacrée à la génisse de Pharos annonce la huitième heure et la garde armée de javelots rentre dans ses quartiers. C’est l’heure où la température des bains est modérée, tandis qu’à la septième ils dégagent encore une vapeur excessive et qu’à la sixième la chaleur est trop forte aux thermes de Néron. Stella, Népos, Canius, Céréalis, Flaccus, je vous invite. Ma table est à sept places. Nous sommes six. Ajoutons-y Lupus. Ma fermière m’a apporté des mauves laxatives et des produits variés de mon jardin, entre autres de la petite laitue, des poireaux à fendre. Il ne manque pas la menthe flatteuse, ni la roquette aphrodisiaque. Des tranches d’œufs durs couronneront des anguilles bardées de rue, et il y aura aussi des tétines de truie, arrosées d’une saumure de thon. Ce ne sont là que hors d’œuvre. Comme petit dîner dans le grand et faisant à lui seul un service, on apportera un chevreau soustrait à la gueule cruelle du loup. Puis des hachis, qui n’auront pas besoin du couteau du maître d’hôtel et la fève des prolétaires et des choux nains. En outre, un poulet et un jambon, survivant de trois soupers. Au dessert, je vous donnerai des fruits doux et du vin de Nomente sans dépôt, qui a été mis en bouteille sous le second consulat de Frontinus. Ajoutez-y des plaisanteries sans fiel, une liberté qui ne craigne rien du lendemain, pas un mot que l’on regrette d’avoir prononcé. Mes convives pourront parler de Prasinus, de Venetus. Les santés que nous porterons ne compromettront personne. (Martial , Epigrammes, X, XLVIII, Le Poète prépare un dîner). »

Une inscription (CIL, VI, 2222, Cryptes vaticanes) témoigne d’un troisième consulat, en 100, apothéose d’une carrière bien menée et bien remplie. A cinquante sept ans, le voilà consul aux côtés de Marcus Ulpius Traianus dont il est aussi un des « Amici Principis » ((Le Strategemata fut probablement écrit entre 84 ( peut-être 88) et 96. Il comprend 583 anecdotes réparties en quatre livres et présentées de façon organisée ( au moins pour les trois premiers livres). Des passages du livre IV, en particulier IV, 1,21 ; IV, 1, 28 ; IV, 2,3 et IV, 7,2 donnent sur la guerre parthique de Corbulo des détails qui ne figurent pas dans Tacite ( Annales, XIII, 8,35 et 36).)) :

IMP • NERVA • TRAINO • CA
esare• AVG • GER• III• SEX• IVLIO
FRONTINO• III• COS • MAGISTRI
ANNI CVII

Pline, fort habile, ne manque pas de faire remarquer cette consécration, tout en s’adressant à Trajan ((« Equidem illum antiquum senatum contueri uidebar, quum ter consule assidente, tertio consulem designatum rogari sententiam cernerem. Quanti tunc illi, quantusque tu!… Quid? quod duos pariter tertio consulatu collegii tui sanctitate decorasti? ut sit nemini dubium, hanc tibi praecipuam caussam fuisse extendendi consulatus tui, ut duorum consulatus amplecteretur, et collegam te non uni daret. Uterque nuper consulatum alterum gesserat a patre tuo, id est, quanto minus quam a te? datum: utriusque adhuc oculis paullo ante dimissi fasces oberrabant: utriusque solemnis ille lictorum et praenuntius clamor auribus insederat; quum rursus curulis, rursusque purpura…Des quam plurimis tertios consulatus, et, quum plurimis tertios consulatus dederis, semper tamen plures, quibus debeas dare, supersint. » (Pline, Panégérique,LXI).)) :

« Je me croyais transporté au sein de l’antique sénat, lorsque je vous voyais, à côté d’un collègue trois fois consul, prendre l’avis d’un consul une troisième fois désigné. Que ces deux hommes étaient grands alors, et que vous étiez grand vous-même!…. Que sera-ce si, par le double présent d’un troisième consulat, vous communiquez à deux collègues à la fois la sainteté qui vous consacre? car l’on ne peut douter qu’en prolongeant votre consulat vous n’ayez voulu surtout en embrasser deux autres, afin que plus d’un magistrat vous eût pour collègue. Ces deux consuls avaient reçu naguère cette dignité de votre père, ce qui était presque la recevoir de vous; l’un et l’autre voyaient encore devant ses yeux l’image des faisceaux qu’il venait de renvoyer; l’un et l’autre croyait entendre résonner encore à ses oreilles le cri solennel du licteur annonçant sa présence; et voilà de nouveau la chaise curule, de nouveau la pourpre consulaire…! Donnez à beaucoup de citoyens des troisièmes consulats ; et, lorsque beaucoup en auront reçu, puisse-t-il en rester davantage qui en méritent encore! » (Pline, Panégérique, LXI).

Pas de tombeau !

Il meurt vers 103/104 ( ?), Pline nous fournit un dernier témoignage sur l’état d’esprit du triple consul ((« Equidem illum antiquum senatum contueri uidebar, quum ter consule assidente, tertio consulem designatum rogari sententiam cernerem. Quanti tunc illi, quantusque tu!… Quid? quod duos pariter tertio consulatu collegii tui sanctitate decorasti? ut sit nemini dubium, hanc tibi praecipuam caussam fuisse extendendi consulatus tui, ut duorum consulatus amplecteretur, et collegam te non uni daret. Uterque nuper consulatum alterum gesserat a patre tuo, id est, quanto minus quam a te? datum: utriusque adhuc oculis paullo ante dimissi fasces oberrabant: utriusque solemnis ille lictorum et praenuntius clamor auribus insederat; quum rursus curulis, rursusque purpura…Des quam plurimis tertios consulatus, et, quum plurimis tertios consulatus dederis, semper tamen plures, quibus debeas dare, supersint. » (Pline, Panégérique,LXI).)) face à la mémoire des Hommes :

« Vous me mandez que, dans une de mes lettres, vous avez lu que Virginius Rufus ordonna qu’on gravât ces deux vers sur son tombeau : Ci-git qui, de Vindex réprimant l’attentat, Voulut, non subjuguer, mais affranchir l’État. Vous le reprenez de l’avoir ordonné. Vous ajoutez que Frontinus fit et bien mieux et bien plus sagement, lorsqu’il défendit qu’on lui élevât aucun tombeau. Vous finissez par me prier de vous dire ce que je pense de tous les deux. J’ai parfaitement aimé l’un et l’autre, et j’ai plus admiré celui que vous reprenez; mais je l’admire jusqu’au point de ne pas croire que personne pût jamais approcher de sa gloire; et me voilà pourtant réduit à le justifier. Je vous avoue que tous ceux qui ont fait quelque chose de grand et de mémorable me paraissent dignes non seulement de pardon, mais même de louanges, lorsqu’ils courent après l’immortalité, qu’ils s’efforcent d’éterniser, par des épitaphes, un nom qui ne doit jamais périr. On aura peut-être peine à trouver un autre que Virginius qui, après avoir tout fait pour la gloire, ait parlé si peu de ce qu’il a fait. J’en suis un bon témoin. Quoique je fusse très avant dans son amitié et dans sa confidence, je ne l’ai jamais entendu s’échapper à parler de soi qu’une seule fois.

Il racontait que Cluvius lui avait un jour tenu ce discours : Vous savez, Virginius, quelle fidélité l’on doit à l’histoire. Pardonnez-moi donc, je vous en supplie, si vous lisez, dans celle que j’écris, quelque chose que vous ne voudriez pas y lire. A cela Virginius lui répondit : Vous ne savez pas, Cluvius, que, dans ce que j’ai fait, une de mes vices a été de vous assurer, à vous autres historiens, la liberté d’écrire tout ce qu’il vous plairait. Mais revenons. Comparons-lui Frontinus, en cela même en quoi celui-ci vous paraît plus modeste et plus retenu. Il a défendu de lui élever un tombeau; mais en quels termes a-t-il fait cette défense? La dépense d’un tombeau est inutile; mon nom ne périra point, si ma vie est digne de mémoire. Croyez-vous donc qu’il soit plus modeste de donner à lire à tout l’univers que la mémoire de notre nom durera, que de marquer par deux vers, dans un petit coin du monde, une action que l’on a faite? Ce n’est pourtant pas mon dessein de blâmer le premier, mais de défendre le second: et comment le faire plus solidement, qu’en lui comparant celui que vous lui avez préféré? Si l’on s’en rapporte à moi, aucun des deux ne mérite de reproches. Tous deux, avec une égale ardeur, mais par différentes routes, ont été à la gloire : l’un, lorsqu’il montre sa passion pour des inscriptions qui lui étaient dues; l’autre, lorsqu’il aime mieux montrer qu’il les a méprisées. Adieu » ( Pline, Lettres, IX, XIX, Pline à Rufon).

Soldat respecté, général et tacticien reconnu, Sextius Julius Frontinus reste une des figures marquantes de la fin du premier siècle après J.-C. Il apparaît dans l’histoire et obtient la gloire littéraire en composant des ouvrages sur les tactiques militaires (Strategemata), la géométrie cadastrale et les aqueducs de Rome ( De Aquis Urbis Romae ).

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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