L’apiculture dans le monde romain
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Alimentation
L’apiculture est un art ancestral qui remonte aux premiers temps de la civilisation. Elle a tantôt été comprise comme une forme de culture, le miel étant d’origine végétale et que les abeilles contribuent principalement à la pollinisation des fleurs nécessaire à la culture, tantôt comme une forme d’élevage. Unique source de sucre pour la plupart des hommes jusqu’il y a quelques siècles, le miel a joué un rôle central dans l’alimentation humaine, rôle qui s’est étendu à la médecine et également à la religion, le miel étant vu comme un aliment unique en son genre et digne d’être offert aux dieux. L’importance des abeilles dans la culture romaine se voit à bien des égards : Virgile leur consacre le livre IV des Géorgiques, Pline l’Ancien leur dédie la première place dans le livre XI de son Histoire Naturelle, et Columelle consacre un livre entier à l’apiculture dans son traité d’agronomie.
Aux origines de l’apiculture
Le miel est récolté par les hommes depuis la préhistoire. En général ce miel est récolté au sein de tronc creux dont les abeilles ont fait leur nid, mais il arrive que cela se fasse également dans des grottes ou des anfractuosités de la roche. Sur les parois d’une grotte en Espagne on a d’ailleurs quelques représentations de ce travail de récolte : on y voit une femme qui montée sur un arbre et entourée d’abeilles en récolte le miel. En observant les abeilles, les hommes vont ensuite préparer des troncs creux dans des lieux particulièrement fleuris afin de faciliter leur habitation par des essaims. C’est de cette manière qu’est sans doute apparue l’apiculture.
La plus ancienne trace connue d’apiculture provient du sud de la Turquie à Çatal Höyük, ville du VIIIe millénaire avant JC. Au cours de fouilles récentes on a retrouvé des vases avec des résidus de cire d’abeille et de graisses animales, de même que la représentation d’une ruche qui atteste de l’existence de l’apiculture à cette date.
Il semble que le développement de l’apiculture se fit de manière empirique à travers le temps, chaque peuple développant ses propres techniques, en particulier dans la construction des ruches ou pour la récolte du miel. Les agronomes romains ne seront pas en reste et tendront à diffuser des modèles d’apiculture, en s’inspirant des ouvrages d’autres grecs et en y ajoutant leur propre expérience. Il est d’ailleurs intéressant de voir que leurs connaissances sur les abeilles sont déjà très élaborées, au point que l’apiculture a très peu évoluée dans ses techniques depuis l’époque romaine.
Cet impact se voit au niveau du vocabulaire. La ruche se nomme aluus, c’est-à-dire « ventre » car on pensait alors que les abeilles apparaissaient dans le ventre des carcasses de bœufs. C’est ce mot qui a donné notre alvéole. Aluus a eu une survivance jusqu’en ancien français, mais il a été supplanté par le mot « ruche » qui est semble-t-il d’origine gauloise. L’essentiel des langues romanes italiques (corse y compris) ont gardé le mot apis pour désigner l’abeille, tandis que les autres à l’exception notable du roumain ont gardé le mot apicula (petite abeille). Le miel nous vient de mel, d’une racine commune à toutes les langues indo-européennes, à l’exception des langues germaniques.
Techniques apicoles
Pour concevoir leurs premières ruches, les hommes ont simplement recopié leur modèle naturel. Ils prenaient des troncs d’arbre qu’ils évidaient afin d’y loger les abeilles, prenant soin de les placer dans des lieux où les fleurs abondent et suffisamment loin des murets où se trouvent les lézards et les serpents pour éviter que ces derniers ne se repaissent de ces précieux insectes. Varron recommande également la proximité d’un point d’eau et d’ombre également. On recouvre les ruches de chaumes, d’osier, de branchages, de telle sorte qu’on puisse enlever ce toit facilement lorsqu’on récoltera le miel.
D’autres types de ruches voient le jour en fonction des régions. Certaines sont installées dans des murs, ce qui leur donne un aspect de fours. D’autres sont réalisées en céramique et percées de nombreux petits trous pour permettre le passage des abeilles. On les fait également en osier, ou en branchages enduits de bouse de vache, même si ce dernier emploi est déconseillé par Columelle. Pline rapporte également l’emploi de ruches en pierre spéculaire (sorte de verre) afin de regarder le travail des abeilles dans la ruche.
La récolte du miel se fait déjà par enfumage. On utilise pour cela la combustion de bouses de vache. Après quoi on prélève les gâteaux de miel, c’est-à-dire les rayons. On les suspend ensuite à l’obscurité dans des paniers de saule ou d’osier au-dessus d’une jarre dans laquelle coule le miel selon le témoignage de Columelle. Certaines ruches de l’époque romaine sont déjà équipées de systèmes pour recevoir le miel qui coule par le dessous, cette technique étant jugée moins traumatisante pour les abeilles. Il convient de laisser une partie du miel aux abeilles, les proportions varient selon les auteurs, ce qui montre que chaque apiculteur faisait à sa manière et sans doute selon les circonstances et la saison : à la veille de l’hiver il convient de laisser un maximum de miel. Le nombre de récoltes est d’environ trois à cinq par an, la dernière ayant lieu au lever des Pléiades (début novembre).
Les auteurs antiques mettent en avant le fait de planter les meilleures plantes possibles dans les environs des ruches, à commencer par le thym (qui donne le meilleur des miels selon eux), la cytise ainsi que la mélisse (dont le nom dérive justement du mot miel), cette dernière aidant particulièrement à la production d’un bon miel. Cependant les Romains cultivaient déjà bon nombre de plantes en vue d’obtenir des miels de telle ou telle saveur. Varron cite en exemple, en sus de celles citées, la rose, le serpolet, le pavot, les fèves ou les lentilles ; Virgile ajoute à cette liste d’autres plantes telles que la sarriette ou la violette ainsi que le tilleul même si le miel de tilleul est moins apprécié, car il a un goût moins sucré ; Columelle y ajoute entre autres le romarin, le narcisse, ainsi que différents arbres fruitiers. Les miels d’if et de bruyère sont à proscrire en raison de leur toxicité, même si ces miels restent comestibles pour les abeilles. Un exemple célèbre est rapporté par Hérodote lorsqu’il évoque la marche des 10 000 hommes de Xénophon où les populations locales laissent des ruches donnant du miel de bruyère sur le passage de la troupe ennemie afin d’empoisonner les soldats, trop contents d’améliorer l’ordinaire de leur ration.
À côté des miels nous avons les miellats. Les abeilles les produisent en certaines saisons à partir de la sève des arbres et non du pollen des fleurs, c’est pour elles une forme de complément alimentaire. Ce sont des miels plus sombres et produits conséquemment en forêt. Dans ces variétés de miel on retrouve les miels de sapin, de forêt, de chêne, etc.
Le miel et ses utilisations
Le miel se rencontre un peu partout dans la cuisine romaine, et c’est d’ailleurs son utilisation la plus courante. Le miel est en ce temps, et encore il n’y a pas si longtemps, la seule source de sucre à part les fruits. Et la cuisine romaine ayant un goût pour les plats aigre-doux, on le rencontre d’autant plus. Il faut ajouter à cela que le miel est un excellent conservateur : on a retrouvé des miels de l’époque antique qui sont toujours comestibles, grâce à une conservation en jarres scellées.
Le miel fait partie des mets que l’on sert au repas du matin sur des galettes ou des petits pains. On réalise toute sorte de pâtisseries, soit que le miel est incorporé à la pâte ou que les gâteaux soient après nappés de miel juste avant de les servir. Les viandes sont parfois nappées de miel lors de leur cuisson afin de les caraméliser. Et le miel étant un conservateur on s’en sert aussi dans les saumures qui permettent de conserver les fruits et les légumes plus longtemps. On réalise également des miels rosats en y ajoutant de l’eau de rose.
Avec le miel on réalise également de l’hydromel. Issu de la fermentation du miel dans de l’eau, c’est sans doute la plus ancienne des boissons alcoolisées. Pline nous en donne une recette : lorsque l’on a pressé les rayons pour en extraire le miel on met ensuite les rayons à bouillir dans de l’eau, ce qui finit d’extraire le suc des rayons dont il ne reste que la cire. La cire est conservée pour d’autres usages et l’on met l’eau et son miel à fermenter avec une grappe de raisin (la peau des grains étant recouverte de levures alcooliques). Après un mois de conservation exposée aux rayons du soleil et de la lune, le breuvage donne de l’hydromel. La proportion de miel par rapport à l’eau varie entre 1 pour 10 et 5 pour 10, en fonction des auteurs.
Les anciens avaient déjà remarqué les vertus médicinales du miel, et l’utilisaient de toute sorte de façon à cet effet. Ainsi sur plus de 900 recettes qu’il nous reste de l’époque antique, au moins 500 voient le miel entrer dans leur composition : pilules, onguents, pansements, emplâtres ou collyres, tout y passe. Hippocrate le considérait à juste titre comme un excellent cicatrisant et l’utilisait également comme excipient dans les préparations à base de plantes (comme piler des graines de nigelle avec du vin et du miel. Dioscoride recommande de l’utiliser cuit avec du sel gemme pulvérisé pour guérir les plaies, les douleurs d’oreilles et autres maux, et Galien pour combattre l’inflammation des tissus. À noter aussi que les Egyptiens utilisaient du miel dans leurs rites d’embaumement.
Déjà à cette époque on fait une distinction entre les qualités de miel, ceux-ci n’étant pas utilisés de la même manière en fonction de leur qualité. On distinguait en particulier le miel vierge (ou blanc) qui s’écoule directement des gâteaux (rayons), qui est d’une qualité supérieure dont on se sert en médecine et avant tout comme offrande pour les dieux ; et le miel commun (ou jaune) issu des pressions répétées exercées sur les gâteaux, et qui contient nécessairement un peu de cire, qui sert dans la vie quotidienne pour s’alimenter. De grands sites de production sont déjà réputés dans l’Antiquité, en particulier le miel des ruches du Mont Hymette à quelques kilomètres d’Athènes, dont la réputation est déjà acquise alors que Rome n’est encore qu’une jeune république ; ainsi que plus proche de nous le miel de Narbonne encensé par Strabon, dont la réputation est toujours prestigieuse aujourd’hui, même si ce miel n’est plus que rarement un miel de thym. Le miel de thym étant le miel le plus réputé et supposé le plus sucré de tous. Les ruchers de Corse sont également très connus, et il semble que la Gaule ait été une grande région productrice. Même si les sites de Gaule nous sont moins bien connus, il est probable que la grande diversité des miels de France aujourd’hui vienne d’une sélection très ancienne dont l’économie remonte aux temps de l’Empire romain.
Les autres produits de la ruche
À côté du miel, les ruches produisent d’autres produits très utiles. À commencer par la cire. Certaines régions pratiquaient l’apiculture mais produisaient des miels dont les goûts n’étaient pas forcément appréciés en dehors de leur aire de production. Aussi ces régions exportaient peu de miel mais par contre exportaient beaucoup de cire, comme la Corse déjà grande région productrice mais dont le miel était considéré de moindre qualité (il faut comprendre par-là que ce n’était sans doute pas du miel de thym).
La cire servait à beaucoup de choses, en particulier pour les tablettes de cire et les sceaux, ainsi qu’en médecine. Cette utilisation est pratique du fait que la cire garde la forme quand elle est dure mais peut-être remodelée à volonté quand elle est chauffée. Dans le cas des tablettes on purifiait la cire prélevée en la chauffant, ce qui brûle les impuretés, puis on y ajoutait du colorant sombre comme du charbon de bois. Il est en effet plus facile de lire sur de la cire sombre, les reflets de lumières faisant apparaître les caractères du message plus distinctement. En médecine et en cosmétique on l’utilise pure pour faire des emplâtres, ou alors pour rentrer dans la confection d’onguents, crèmes et savons. On faisait aussi des bougies, mais leur utilisation n’est pas très courante sauf dans les pratiques religieuses comme lors des Saturnales où elles symbolisent le retour de la lumière ; c’est au Moyen-Âge que cet emploi gagnera ses lettres de noblesse.
La cire servait également pour le moulage de pièces en métallurgie et en travail du verre. On modelait dans la cire la future pièce, qui une fois durcie était emprise dans de l’argile ; après avoir séché l’argile, on passait le tout au feu, la cire fondait et l’argile cuisait tout en gardant l’empreinte de la forme voulue ; il reste alors à couler le métal ou le verre, avant de briser le moule après refroidissement pour extraire la pièce.
La propolis est une matière cireuse extraite de bourgeons d’arbres donc les abeilles se servent pour calfeutrer la ruche ou alors pour « momifier » des animaux morts (oiseaux, souris) qui seraient rentrés dans la ruche et que les abeilles ne peuvent évacuer. Cette technique empêche l’animal de pourrir. Pline distingue trois couches de propolis du dessus vers le dessous : commosis, pissoceros et propolis. Elle sert dans des préparations médicamenteuses contre les ulcères ou les callosités, elle permet aussi de faire ressortir les échardes ou aiguillons d’insectes. Son odeur forte fait qu’elle peut remplacer le galbanum (ou férule gommeuse), plante aux propriétés antispasmodiques, expectorantes, stimulantes et carminatives (contre les flatulences en somme).
Différents aspects de la société des abeilles
Les abeilles ont fasciné les hommes de tous temps. Outre leur caractère unique à créer naturellement un aliment sucré, et toutes sortes de choses utiles, leur mode de vie en société a toujours été une forme d’exemple pour les hommes qui y voyaient une transposition dans le règne animal des structures sociales et politiques humaines.
Les anciens avaient remarqué le caractère industrieux de cette espèce, avec une société fortement hiérarchisée : chacun y a sa fonction et n’en change pas. Les auteurs font par ailleurs une nette distinction entre les abeilles pourvues de toutes les vertus et les guêpes pourvues de tous les vices qu’on puisse imaginer (paresse, irritabilité…).
Un roi est à leur tête (ils ignorent qu’il s’agit en fait d’une reine), une ruche ne peut en tolérer plusieurs à moins de tomber dans la guerre civile et il est ainsi recommandé aux apiculteurs d’examiner les ruches trois fois par mois afin de supprimer « les usurpateurs » s’il y en a, de peur que cela n’affecte la production de miel. Quand ce roi se déplace hors de la ruche, il est assorti d’une escorte qui se sacrifiera, intégralement s’il le faut, pour protéger le souverain. Les abeilles contrôlent leur territoire de production et n’hésitent pas selon les sources antiques à se faire la guerre au moyen d’abeilles-soldats. Ils ont déjà remarqué également les nourrices qui s’occupent des couvains, ainsi que les ouvrières qui œuvrent à la construction de la ruche et les butineuses qui s’occupent de l’approvisionnement en nourriture.
À côté de ces connaissances, les auteurs antiques ignorent d’autres choses qui les poussent à imaginer des explications plus ou moins farfelues. On pensait par exemple que certains miels étaient le produit de la rosée recouvrant les fleurs. Comme il y a un roi mais qu’il ne semble pas y avoir de reine, on imagine que les abeilles naissent d’une carcasse de bœuf ; par voie de conséquence les faux-bourdons sont vus comme des sortes de parasites inutiles chez Pline, par contre Columelle entrevoit un rôle des faux-bourdons dans l’apparition de nouvelles ruches mais ne donne pas plus d’explications. Cette conception de la génération spontanée des abeilles ainsi que de leur multiplication donnera lieu à des explications d’ordre mythologique et mystique.
Aspect religieux de l’abeille
Le monde grec, puis romain, a de longue date associé les abeilles aux dieux. Nombreux sont les auteurs qui ont été frappés que Virgile, qui se montre comme un auteur agronome sur la question des abeilles dans le livre IV des Géorgiques, finisse à la fin de son poème par rappeler le mythe de la naissance des abeilles dans la carcasse pourrissante d’un bœuf, ce qu’on appelle la bougonie. Cette image évoque peut-être les forces terrestres (bœuf) qui doivent mourir pour que s’élève l’esprit (les abeilles). A contrario, on pensait que les frelons, animaux à l’opposé des abeilles naissaient du cadavre d’un cheval, qui lui représente les forces chtoniennes (sous-terraines). Était-ce donc que les hommes y croyaient vraiment, ou alors était-ce que pour eux l’abeille était plus qu’un simple animal, qu’il était sacré, et donc que sa nature différait de celle des autres animaux ?
Une des raisons majeures à cela vient du fait que les abeilles sont considérées comme des vierges, elles sont stériles et ne connaissent pas de reproduction à l’exception de la reine dont ils ignorent le sexe et qu’ils appellent « roi ». Cette vision de la virginité se voit dans les termes qu’utilisaient les Grecs pour désigner les larves, à savoir νύμφη (c’est-à-dire la nymphe, mot que nous avons gardé en français) qui désigne à la fois une divinité de la nature et une jeune fiancée, de même que pour l’alvéole ils utilisent le mot θάλᾰμος qui désigne la chambre nuptiale. Ainsi les abeilles sont une image de la virginité, de la chasteté et de la pureté qui sont des vertus conjugales.
Ces vertus sont également celles des prêtresses au service des déesses, d’ailleurs les Grecs ne nommaient-ils pas les prêtresses de Déméter à Eleusis du nom de μέλισσης c’est-à-dire des « abeilles » ? Déméter, comme Cérès son homologue romaine, étant une déesse de la végétation et du cycle des saisons.
Aristée, le premier apiculteur
La mythologie nous enseigne qu’Aristée, un fils d’Apollon, fut le premier apiculteur et qu’il veillait sur ses ruches comme un bon père de famille. Il est connu pour avoir poursuivi Eurydice de ses assiduités le jour même de ses noces avec Orphée. C’est de cette manière qu’Eurydice, cherchant à lui échapper, marche sur un serpent qui la mord au talon, entraînant sa mort. Les amies d’Eurydice, qui sont des dryades, cherchent à venger sa mort et font périr les abeilles d’Aristée qui devient inconsolable, tout comme Orphée qui lui descend jusqu’aux Enfers pour tenter de ramener son épouse dans le monde des vivants.
Cyrène, mère d’Aristée, conseille à son fils d’aller consulter Protée qui lui demande d’offrir quatre jeunes taureaux et quatre génisses en sacrifice pour apaiser les mânes d’Eurydice. Après les avoir immolés, des abeilles sortent des carcasses des bovins avec lesquelles il va pouvoir reconstituer ses ruches. Virgile mentionne cet épisode pour mettre Aristée et Orphée en opposition : d’un côté l’homme qui ne contrôle pas ses pulsions mais qui cherche à arranger ses problèmes en acceptant les faits et en devenant industrieux, et de l’autre le poète qui quoique chaste ne parvient pas à faire son deuil et cherche à aller contre l’ordre naturel et finit massacré par les amies d’Eurydice qui n’en peuvent plus d’entendre ses lamentations.
Il semble également qu’Aristée soit un des noms de Zeus-Jupiter dans certaines localités de Grèce, or le père des dieux est également lié aux abeilles puisque celles-ci venaient le nourrir lorsqu’il était enfant, élevé par des nymphes dans une grotte de Crète, loin des appétits de son père Cronos. L’Omphalos, la pierre que Rhéa a donnée à manger à Cronos à la place de Zeus, se trouve encore aujourd’hui à Delphes. Mais ce n’est qu’une copie offerte par les Romains en remplacement de l’originale qui a disparu, et les Romains lui donneront la forme… d’une ruche.
L’ambroisie, miel divin
Quand on parle des abeilles et du miel en termes de mythologie, on pense généralement à la nourriture des dieux, à savoir le nectar et l’ambroisie. En fonction des auteurs l’ambroisie est une nourriture solide et le nectar un liquide, des fois c’est l’inverse (la poétesse Sappho parle d’un cratère d’ambroisie dans ses poèmes). Il semble que les mythes à ce sujet aient évolué en fonction des lieux et des époques. Ce qui reste certain, c’est que l’ambroisie est dite comme étant neuf fois plus sucrée que le miel, cette précision n’est pas anodine. Ces deux aliments composent la nourriture des dieux. On dit également qu’ils s’enduisent d’ambroisie pour se purifier, ou même se guérir de blessures : ces éléments tendent à rapprocher l’ambroisie du miel qui est un des rares produits (avec l’huile d’olive) à servir tant pour l’alimentation que pour la médecine, et avec ce caractère de panacée. C’est d’ailleurs sans doute à cause de ce rapprochement que le miel entre souvent dans les offrandes aux dieux, les autres offrandes étant des parfums (odeur de viande grillée, encens, fleurs…), puisque les dieux ne prennent pas de nourriture solide. Si les dieux sont privés de cette substance, ils s’endorment dans un sommeil qui ressemble à la mort.
Si on fait le lien avec les autres mythologies indo-européennes, on s’aperçoit que la boisson des dieux est très généralement l’hydromel et que comparativement elle tient lieu d’ambroisie. Le lien peut également être fait avec les pommes d’or du Jardin des Hespérides, qui sont parfois dépeintes comme étant des grenades, or les poètes anciens avaient remarqué également la similitude de la forme de l’enveloppe interne du fruit : les grains se disposent comme dans les alvéoles d’une ruche. Ces pommes d’or avaient également le don de rendre immortel, comme celles d’Iðunn dans la mythologie nordique et les pommes de l’île d’Avalon dans la mythologie celtique.
Abeilles et don de prophétie
Un lien a également été fait par les Anciens entre les abeilles et le pouvoir de la parole, et la prophétie en particulier. On n’en sait pas vraiment la raison, mais il est avancé que le bourdonnement des abeilles rappelle le babil des bébés. À ce sujet on rapporte de nombreux mythes. On raconte ainsi que des abeilles se seraient posées sur les lèvres de Socrate (ou Platon, ça dépend des auteurs) à sa naissance et que c’était là un signe annonciateur d’un don remarquable pour la parole. Cette légende fut reprise à l’époque impériale pour illustrer la naissance de Plutarque, et même à l’époque tardive pour Ambroise de Milan (il vécut au IIIe siècle et fut un professeur d’Augustin d’Hippone) même si dans ce cas c’est peut-être une influence de légendes bibliques de même sens (dvorar veut dire « abeille » en hébreu, de la racine davar qui signifie « parole »). Dans le même ordre d’idée, la Pythie était parfois appelée l’abeille de Delphes, sanctuaire oraculaire d’Apollon où se trouve l’Omphalos ou Nombril du Monde dont nous avons parlé plus haut.
Sources
Columelle, livre IX
Pline (XI, 4 – 23)
Varron, livre III 1-16
Virgile Géorgiques IV
http://www.catoire-fantasque.be/animaux/abeille/histoire-apiculture-antiquite.html
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2003_num_91_337_5474
https://www.cairn.info/revue-labyrinthe-2013-1-page-87.htm
https://books.google.fr/books?id=Lqz2aSxwxTsC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
- P.676 et sq. // P.491 et sq. (495)
https://lhomme.revues.org/2312
http://latogeetleglaive.blogspot.fr/2013/10/apiculture-dans-la-rome-antique.html
https://scribium.com/marc-ferec/a/diverses-utilisations-du-miel-dans-lantiquite/