Les mules : forçats de la route
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Armée romaine
Animal méconnu, bien souvent laissé dans l’ombre de son cousin le cheval, la mule apparaît comme l’une des bêtes les plus utilisées pour le transport des marchandises, mais aussi le transport des civils, que ce soit par le biais d’un attelage ou d’une selle.
Origines de la mule
Si cet animal est souvent ignoré, c’est à cause de ses origines, fruits d’une hybridation contre nature. En effet la mule (mulus pour le mâle, mula pour la femelle) est issue de l’accouplement entre un âne et une jument orchestré par le savoir de l’Homme. Le résultat de ce croisement étant stérile, l’Homme était le seul à pouvoir créer cette espèce (sauf cas d’accouplement non contrôlé dans la nature donnant naissance à un onagre).
Déjà mentionnée dans les récits d’Homère, poète grec du VIIIe s. av. J.-C., la mule est un animal répandu autour de la Méditerranée, même si ses foyers de prédilection restaient l’Asie Mineure, la Grèce et la péninsule italienne. C’est justement le cadre naturel de ces contrées, marqué par des reliefs accidentés qui va encourager l’Homme à créer un animal aux capacités physiques supérieures au cheval, mieux adapté de son côté pour la guerre.
Par le jeu de l’hérédité, la mule récupère les avantages du cheval : une stature lui permettant d’approcher les 1m55 au garrot, une encolure solide et des membres bien proportionnés. L’âne, de son coté, lui transmet ses capacités manœuvrières : le sabot agile et plus dur face aux terrains difficiles, l’endurance nécessaire pour les longues marches et surtout une capacité de charge supérieure de 30% à celle du cheval. Se sustentant d’une nourriture plus frustre et présentant une peau plus épaisse, la mule se garantit des maladies liées au transit intestinal et résiste mieux aux piqûres des insectes et autres nuisibles.
Tous ces avantages, vantés par les agronomes latins (Varron, Columelle), vont rapidement être exploités par l’armée romaine, d’autant plus aisément que la Sabine, région centrale et montagneuse de la péninsule italienne, disposait à Reate (La Rieti actuelle) d’un centre d’excellence pour la reproduction de cette espèce. Les grands éleveurs locaux profiteront même de cette manne pécuniaire née de la commercialisation de cet animal pour créer les assises financières de leur accession à la pourpre impériale: la dynastie flavienne en l’occurrence (de 69 à 96 ap. J.-C.).
Les mules et l’armée romaine
L’armée romaine sut à merveille tirer parti des particularités de l’animal. Dès le IVe siècle av. J.-C., le dictateur Caius Sulpicius fait dételer les bâts de 1000 mules et les fait monter par des valets d’armée (calones) afin d’effrayer au loin une colonne gauloise menaçante (Tite Live, Histoire romaine, VII, 14). L’illusion fournie par la ressemblance avec les chevaux est utilisée de manière tactique. César utilisera 300 ans plus tard le même stratagème durant le siège de Gergovie (Guerre des Gaules, VII, 45).
Toutefois c’est principalement le rôle logistique qui est attribué à la mule. La colonne trajane, enrichie par de nombreuses allusions littéraires, met en avant le rôle décisif joué par l’animal au cours des campagnes militaires. Tantôt utilisée pour convoyer le fourrage destiné au ravitaillement de la troupe, tantôt spécialisée dans le transport des impedimenta des légionnaires romains par l’intermédiaire d’un bât ou d’un attelage sophistiqué anticipant le collier d’épaule, la mule est aussi utilisée dans le déplacement de l’artillerie sur le champ de bataille (« scorpions » montés sur un brancard attelé).
L’archéologie est également l’une des sources qui éclaire d’un jour nouveau le rôle de la mule en contexte militaire. Les découvertes récentes de squelettes entiers de mules à Kalkriese ou Weissenburg en Allemagne vont permettre aux expérimentateurs que nous sommes de recréer les harnachements, cloches et autres décorations portés par ces animaux pendant les longues marches des campagnes militaires.