Mulet du Ier siècle, qui es tu ?
Par Legion VIII Augusta • Publié dans : Armée romaine
Constituer un dossier pour les haras nationaux, afin de définir un profil de mulet du Ier siècle ne fut pas une mince affaire, tant les traces laissées par son passage dans l’Histoire sont confuses et embrouillées, car trop souvent confondu avec le cheval, son parent. De surcroît le terme régulièrement employé pour le designer est Iumenti (bête de somme), ce qui est trop souvent compris comme la « jument » ou le « cheval ».
Il a donc fallu rassembler de nombreuses données, tant historiques, iconographiques, qu’archéologiques, afin de cerner plus précisément ses caractéristiques physiques.
Quelques sources historiques
Les traités agricoles et vétérinaires laissés par les auteurs antiques, de Columelle à Pline en passant par Palladius et Végèce, démontrent leur connaissance parfaite de l’animal, de sa conception à sa manipulation, mettant en évidence tous les avantages de son utilisation. Des historiens comme Suétone ou des auteurs romains comme Martial ou grecs comme Ésope démontre l’usage répandu de l’hybride à travers de petite anecdote.
Quelques sources iconographiques
L’iconographie nous a laissé de nombreux témoignages sur l’existence de mulets dès la plus haute antiquité.
Représentation de mule bâtée datée de l’époque assyrienne, on voit bien que depuis cette époque, les mules avaient tendance à disposer d’un harnachement riche, avec des ornements métalliques ou textiles (pompons) d’après John Clark Ridpath Cyclopedia of Universal History (Cincinnati: The Jones Brothers Publishing CO., 1885); pp. 147 |
Vase attique à figures rouges représentant une mule bâtée (d’après P Hartwig, Die griechische Meisterschalen, Berlin 1883, pl.63). |
Voici un petit dessin qui permet de mieux se représenter (dans ses grandes lignes) le paquetage militaire d’une mule
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Voici des statuettes et des représentations originaires de Chypre, époque des royaumes hellénistiques, donc vers le IIIe – IIe s av. JC
Une photo prise au musée de Bavay, concernant une photo agrandie d’une plaque votive en bronze cassée, retrouvée en haut du col du saint Gothard et qui représente une mule avec son bât. |
Rhyton attique en forme de tête de mulet, céramique à figure rouge vers 475-450 av. J.C., nécropole préromaine de Casabianda. Musée départemental d’archéologie Jérôme Carcopino, Aléria |
Photographie d’une face de la colonne d’Igel reconstituée et colorisée conservée au musée de Trèves en Allemagne. On y voit un cisium charrette légère à deux roues tracté par deux mules. |
Quelques sources numismatiques
La mule et le mulet sont représentés dans de nombreuses monnaies romaines, souvent en train de tirer un chariot (Carpentum).
Avers : AGRIPPINA AVG GERMANICI F CAESARIS AVG : Tête nue d’Agrippine fille à droite.
Revers : Carpentum tracté par deux mules roulant à gauche.
Avers : DIVAE IVLIAE AVG DIVI TITI F / SPQR : Carpentum tiré par deux mules
Revers : CAES DOMIT AVG GERM COS XV CENS PER P P/ SC
Avers : IMP NERVA CAES AVG – P M TR P COS III P P : Sa tête laurée à droite
Revers : VEHICVLATIONE ITALIAE REMISSA / S C : Deux mules paissant, derrière, les deux timons d’un char avec les traits et les harnais.
Quelques données Archéologiques
L’identification de l’hybride est de plus en plus mise en évidence par l’archéologie, les découvertes d’ossements de mules sur sites civils et militaires sont dispersées à travers toute l’Europe.
Voici quelques caractéristiques anthropomorphiques
Pompéi, « maison des chastes amants » (casa amanti), maison 6 et 7, insula 12, région IX, Italie
D’après Genovese A, Cocca T; Internal organisation of an equine stable at Pompei, Anthopozoologica 31, 2000, pp. 119-123
- Dans l’écurie de la maison des « chastes amants » a été retrouvé in situ les restes de squelettes d’équidés
- Cinq squelettes d’équidés dont quatre ânes et un mulet, âgés entre 4 et 9 ans ont retrouvés
- Tous de sexe masculin, le mulet devait avoir entre 8 et 9 ans
- Les équidés étaient probablement utilisés comme bêtes de somme pour le transport des produits d’une boulangerie
- Une analyse de restes de fourrage présents dans l’étable a également été menée
Pompéi, insula 9, maison 12, salle 4, région I, Italie ( casa amarantus )
D’après Berry J, The conditions of domestic life in pompeii in AD 79: A case-study of houses 11 and 12, insula 9, region I, Papers of the British School at Rome, Vol. 65 ,1997, pp. 103-125
- Dans ce qui semble être l’écurie de cette insula (la pièce était à l’origine un cubiculum) ont été retrouvés les squelettes d’une mule et d’un chien enlacés.
- Lors du déblaiement de la pièce, des traces de bois imprimées contre le mur nord indiquent la présence d’une mangeoire. Les restes d’une soucoupe en bois est également à noter.
- L’étude palynologique des restes végétaux indique la présence d’une grande variété d’herbes ainsi que de mauvaises herbes mais aussi des céréales, des olives et des noix; le tout semblant montrer la présence de fourrage, de litière et de fumier.
- La présence de deux anneaux en fer à proximité de la tête de la mule indique qu’elle était attachée au moment de son décès.
- La présence massive d’amphores dans l’impluvium de l’atrium voisin, ainsi que les restes d’une amphore cassée dans l’écurie indique que la mule était destinée au transport d’amphores dans la ville. Les restes d’une caupona délabrée (sorte de « fast food » de l’Antiquité) dans l’insula 11 adjacente indiquent une ancienne activité commerciale. Par contre la présence d’une inscription sur la façade Ouest (AMARANTUS POMPEIANUS ROG(AT) ) et trois inscriptions peintes dont une sur le col ( SEX POMPEI AMARANTI ) et deux sur la panse de plusieurs amphores ( ‘SEX POMP ‘) retrouvées dans le bâtiment indiquent qu’Amarantus était négociant en vin , ce qui exigeait la présence permanente d’une mule au vu du turnover régulier des amphores à charger/décharger.
Londres (Angleterre)
D’après Armitage P, Chapman C, Roman Mules, The London Archaeologist, 3/13, 1979, p 339-359
- Une mâchoire de mule a été découverte dans des fosses dépotoirs.
- Les ossements sont datés de la période romaine (période II, phase 3) aux alentours 125-160 ap. JC.
- Age du décès de la bête : plus de 5 ans c’est sur, peut être entre 11 et 14 ans
- Age imprécis du fait d’une cassure de la mâchoire au niveau de la mâchoire portant les incisives, seule partie capable de donner un âge certain en étudiant l’usure des dents
- Impossible de déterminer le sexe, par absence de la partie de la mâchoire portant les canines, indice du sexe (très développées chez le mâle, peu ou pas développées chez la femelle)
- Une usure prononcée à un endroit de l’os de la mâchoire (ramus horizontal) semble indiquer le port d’un licol ou d’une muselière pour l’animal (avec peut être l’usage d’un mors, mais sans certitude)
- L’étude du profil des molaires de la mâchoire permet de rapprocher la mâchoire de Londres avec celle d’une mule (présence d’une forme en « V » très accentuée pour le sinus des premières molaires)
- Comparaison d’une mandibule avec une autre de mule retrouvée à Dangstetten, et similarité de la forme en V pour le sinus des premières molaires.
Kalkriese, Land de Basse-Saxe, Allemagne
d’après Rost A, Wilbers -Rost S; Weapons at the battlefiled of Kalkriese, Gladius XXX; 2010, pp. 117- 135 et Harnecker J, Franzius G, Kalkriese 4. Katalog der römischen Funde vom Oberesch. Die Schnitte 1 bis 22; Römisch-Germanische Forschungen Band 66. 2008 et Wells P.S, The battle that stopped Rome, emperor Augustus, Arminius, and the slaughter of the legions in the Teutoburg Forest, 2003
- Les archéologues ont identifié sur le site de la célèbre bataille ayant eu lieu en 9 ap. JC les ossements de 8 chevaux et d’une trentaine de mules dont deux squelettes en bon état dans ou à proximité des fossés réalisés par les Germains pour piéger l’avant garde romaine.
- La première mule a été retrouvée en partie dans le fossé, ses ossements (tête, cou et épaules) et ses harnachements sont conservés en position anatomique du fait d’un recouvrement rapide par l’effondrement du rempart. L’animal n’a donc pas été totalement exposé à l’action conjointe des charognards et de la décomposition naturelle (ce qui explique les bonnes conditions de conservation ostéologiques et anatomiques)
- La première mule retrouvée possédait un mors en fer et un harnachement avec présence d’éléments métalliques et pierreries ainsi qu’une cloche en bronze avec ardillon en fer. L’intérieur de la cloche était garnie de brins d’avoine enroulés autour de l’ardillon afin d’étouffer les bruits de la cloche en territoire ennemi; la présence de racines encore attachées aux brins indique une croissance des brins vers la fin de l’été -début de l’automne, ce qui permet de positionner la date de l’embuscade aux environs du mois de Septembre.
- En 1999, les restes fragmentaires d’une deuxième mule âgée de 4 ans ont été retrouvés, (voir illustration ci-dessous) . Elle possédait une cloche en bronze de plus petite taille ainsi qu’un mors en fer. L’animal est mort d’une rupture des os du cou, probablement lié à sa tentative d’escalader le mur germain dans l’affolement général des combats.
Carnuntum , Autriche
D’après Kunst G.K., Archaezoological evidence for equid use, sex structure and mortality in a roman auxiliary fort ( Carnuntum-Petronell, Lower Austria), Anthropozoologica 31; Ibex J. Mt. Ecol 5, 2000.
- Découverte d’ossements de chevaux et de mulets (uniquement) dans le fossé extérieur du camp et dans des fosses périphériques au premier fossé
- Les mulets sont uniquement présents dans les fossés extérieurs au camp
- Au total 4 mulets sont identifiés d’après les restes retrouvés
- Le sexe a été formellement prouvé par le développement de canines sur les mandibules retrouvées (que des mâles pas de femelles)
- L’estimation des âges est basé sur l’étude des dents des mâchoires, mais étant donné que les dents des mules et des hybrides sont plus dures que celles des chevaux, l’âge du décès des mules a du être sous-estimé et doit donc être ré-estimé.
- 2 mules décédées entre 6 et 7 ans, 2 autres entre 15 et 17 ans (environ)
- D’après une comparaison avec une banque de données européenne sur les provinces de Germanie et du Danube, les 3 eme métacarpes des chevaux et mules de Carnuntum se retrouvent toutes dans le haut de l’échelle de comparaison au point de vue de leur taille. Comparaison identique avec le 3ème métatarse
- D’après la longueur des ossements retrouvés, il semble que la hauteur au garrot des mules se situe entre un tout petit peu moins de 140 cm et 155cm
- A part une mule, les 3 autres sont atteintes de pathologies touchant les membres et/ou la colonne vertébrale résultant de pratiques de chargement assez régulière
- Une pathologie concernant une mule, touchant plutôt la colonne dorsale, indique qu’elle était également montée
- Une mule montre une pathologie (exostose) au niveau de la mâchoire, lié aux frottements répétés d’un mors ou d’un harnais
Weissenburg , Land de Bavière, Allemagne, fort romain de Biriciana
D’après Berger T.E, Peters J., Grupe G. Life history of a mule (c. 160 AD) from the Roman fort Biriciana/Weißenburg (Upper Bavaria) as revealed by serial stable isotope analysis of dental tissues, International Journal of Osteoarchaeology Volume 20, Issue 2,March/April 2010, pp. 158–171.
- 4 restes osseux de mules retrouvés dans une fosse dépotoir du camp romain.
- Datation autour de 160 ap JC (suite à la découverte d’un lot de 11 monnaies dans une pochette perdue par le fossoyeur des mules).
- L’article pose la question d’un élevage local possible ou d’une traditionnelle importation des mules issue des pays méditerranéens.
- Étude réalisée sur les dents d’une mule âgée de 8 ans au moment de son décès.- Étude montrant des changements dans le régime alimentaire et l’environnement de la mule , l’animal a passé une période de sa vie à haute altitude, probablement les Alpes, au vu de la proximité du camp avec ce massif.
- Les études tendraient à prouver que l’animal a du être né et élevé en Italie du Nord, avec une période de son activité passée dans les Alpes, puis une fin de vie dans les parages du fort de Weissenburg.
Alexandre Colot