Aulus Egnatius Proculus

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Légat, circa 241-243

Une inscription funéraire ?

l’inscription
A(ulo) Egnatio A(uli) f(ilio) Pal(atina tribu) Proculo, co(n)s(uli), / praef(ecto) aer(arii) Sat(urni), praef(ecto) f(rumenti) d(andi), leg(ato) leg(ionis) / VIII Aug(ustae) p(iae) f(idelis), leg(ato) Aug(usti) pro(vinciae) Afri(cae) dioeces(eos) /Numid(iae), cur(atori) r(ei) p(ublicae) Concord(iensium), cur(atori) r(ei) p(ublicae) Alb(ensium) Fuc(ensium), / cur(atori) r(ei) p(ublicae) Bovian(ensium), coniugi carissimo / et Egnatis Secundillae, Procliano, / IIIIvir(o) viar(um) cur(andarum), et Leonis filis, / Laberia C(aii) f(ilia) Galla, c(larissima) f(emina), fecit.((CIL, VI, 1406 = ILS, 1167, Rome, IIe siècle.)) A Aulus Egnatius Proculus, fils d’Aulus, de la tribu Palatina, consul, préfet du trésor de Saturne, préfet de l’annone, légat de la VIIIe légion Auguste Pia Fidelis, légat d’Auguste dans la province d’Afrique du diocèse de Numidie, curateur des affaires publiques de la cité de Concordia, de la cité d’Alba Fucens et de la cité de Bovianum, époux très cher et pour Egnatia Secundilla, Proclianus, Quattuorvir chargé de la voirie, et Leo ses enfants, Laberia Galla, fille de Caius, femme de rang clarissime, a fait ceci.

Laberia Galla fit graver cet hommage pour :

  • Son très cher époux, Aulus Egnatius Proculianus.
  • Sa fille Egnatia Secundilla, « Egnatia la petite seconde » ce qui nous laisse supposer qu’elle aurait eu aussi une fille aînée.
  • Son fils aîné ( ?), Egnatius Proclianus. Ce jeune homme avait commencé son cursus sénatorial par une des fonctions du Vigintivirat ((Le cursus sénatorial commence par des fonctions préliminaires, le tribunat de légion et le vigintivirat. Le vigintivirat comprend quatre commissions : des fonctions relatives à l’état civil des citoyens (X viri stlitibus judicandis), à la frappe de la monnaie au nom du Sénat (III viri auro argento aere flando feriundo), à la justice et à la police chargée des exécutions capitales (III viri capitales), enfin à la direction de la voirie urbaine (IV viri viarum curandarum). Avant les Flaviens la carrière débute par la fonction de Tribun, dans une légion, et se poursuit par le Vigintivirat. Après les Flaviens, le « cursus honorum » débute par le vigintivirat.)), celle de quattuorvir pour l’entretien des rues, et avait donc au moins 17 ans.
  • Son fils cadet, Egnatius Leo, probablement plus jeune et qui n’avait pas entamé sa «carrière des honneurs ».

Laberia Galla n’associe pas ses trois enfants à son hommage, sa dédicace pourrait donc être une pierre funéraire dressée pour son époux Aulus Egnatius Proculus et ses trois enfants décédés ((Catherine VIRLOUVET, « L’approvisionnement de Rome en denrées alimentaires de la République au Haut-Empire », in B. Marin, C. Virlouvet (dir.), Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Maisonneuve & Larose, Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Universidad Nacional de Educacion a Distancia, Paris, 2005, p. 61-82.
Le praefectus frumenti dandi, de rang sénatorial, gère les distributions gratuites de blé (les frumentationes) à la plèbe romaine. Il ne dépend pas du préfet de l’annone (un Chevalier), seulement chargé de lui remettre les quantités de grains nécessaires aux remises des rations. . Les deux services demeurent indépendants. Le terme de frumentatio désigne aussi bien l’action de s’approvisionner en blé que la distribution de grain au peuple (Le Gaffiot, page 696).)).

Les origines de la gens

Le gentilice Egnatius dériverait de l’Etrusque « ecnata » ou « ecnatica », il se rencontre très fréquemment en Etrurie et Ombrie et attesterait, comme la tribu Palatina l’origine italienne de Aulus Egnatius Proculus.
Son épouse, Laberia Galla, fille de Caius pourrait être la fille du consulaire Caius Liberius Quartus.

Le cursus prétorien

L’inscription nous fournit quatre étapes du cursus prétorien d’Aulus Egnatius Proculus, deux au service de l’Empereur, dans les provinces de Germanie supérieure et d’Afrique, deux à Rome même, au service du Sénat.
Si nous admettons l’ordre indirect donné par le lapicide, le déroulement de sa carrière serait le suivant :

Aulus Egnatius est probablement entré au sénat à la suite d’une « adlectio inter Praetorios » ((La collation du Latus clavus ou adlectio devient, à partir de Claude et de la censure de 48, un nouveau moyen d’entrer au sénat. Ce procédé d’admission consiste à inscrire sur la liste un nouveau sénateur au moment de la révision de l’album sénatorial. Le Prince assigne lors de cette inscription un rang équivalent à celui des anciens questeurs, anciens tribuns ou anciens préteurs.)).
En tant que haut fonctionnaire de rang prétorien il exerce ses compétences financières comme « Curator rei publicae » et gère les comptes des décurions de plusieurs cités :

  • Concordia Sagittaria, à la jonction des viae Annia et Postumia ( Vénétie), à mi-chemin entre Aquilée et Altinum.
  • Alba Fucens, à une centaine de kilomètres de Rome, dans les Abruzzes.
  • Enfin Bovianum (Samnium) sur la route reliant les viae Appia et Salaria, entre Bénévent et Corfinum.

Cette activité se fait de façon plus ou moins lointaines et permet à l’Empereur de conserver des recettes locales ((Sous les Sévères, un rôle considérable est donné à ces grands corps expéditionnaires organisés pour une seule expédition et commandées par un Dux.)).

La fonction de «legato Augusti provinciae Africae » correspondrait vraisemblablement à une mission extraordinaire en Afrique consulaire, dans le diocèse de Numidia Hipponensis ((H.-G. PFLAUM, Hommages à Albert Grenier, Coll. Latomus, LVIII, 1962.)).
En 238, les multiples exactions de Maximin cristallisent une vive opposition. La pression fiscale devient insupportable… au mois de janvier le procurateur fiscal de l’Africa Consularis surveille pour le compte de Maximin, les rentrées de la récolte d’olives à Thysdrus ( l’actuelle El-Djem). Un groupe de jeunes notables ou de membres des associations de « Juvenes » de la cité déclenche une émeute et provoque l’assassinat du Procurateur. Les coupables se précipitent à El-Djem chez le gouverneur de la province, Marcus Antonius Gordianus Sempronianus, et le pressent d’accepter le titre de César !
Gordien accepte avec réticence et se rend à Carthage. Le sénat reconnaît immédiatement ce nouvel empereur de quatre-vingt ans !
Capellianus, le gouverneur de la province voisine de Numidie, contrôle la Legio III Augusta. Il écrase facilement les milices populaires de Gordien I qui se pend en apprenant la mort de son fils, Gordien II, lors des combats. Leur règne n’aura duré qu’une trentaine de jours et s’achève brutalement, probablement en février 238 ((Yan LE BOHEC, La Troisième légion Auguste, Editions du CNRS, 1989. Le Bohec situe l’insurrection entre le 15 et le 20 janvier 238. Il pense donc que le Sénat de Rome reconnaîtrait le nouvel Empereur fin janvier ou début février et que sa mort interviendrait autour du 20 février.)). Maximin puis son successeur Pupien sont assassinés et Gordien III leur succède, vraisemblablement en mars 238.
Ce Gordien III (à moins qu’il ne s’agisse d’une décision du sénat) dissout la legio III Augusta et la remplace par une force locale :

Imp(eratori) Caes(ari) M(arco) / Antonio Gordi/ano Pio Felici In/victo Aug(usto) vexil/latio militum / Maurorum / Caesariens/ium Gordia/norum devo/torum num/ini maiest/atique / eius.((CIL, VI, 02716. Numidia, Tazoult-Lambese / Lambaesis. ))

Voilà dans quelles condition Aulus Egnatius Proculus prendrait, de 238 à 240 ((Eric BIRLEY, The Governors of Numidia A. D. 193-268, JRS, XL, 1950. Cet auteur place cette fonction prétorienne en premier tout comme Mireille CORBIER , L’aerarium saturni et l’aerarium militare, administration et prosopographie sénatoriale, Paris, 1974.)), à Hippo Regius ou Hippone ((Hippone, l’actuelle Annaba (Bône) se situe sur la côte est de l’Algérie.)) la place de Lucius Publilius Probatus (( AE 1933, 00155 = AE 1937, 00054 = AE 1976, 00143 = AE 1979, 00183, Latium et Campania, Somma Vesuviana : L(ucio) Publilio M(arci) [f(ilio)] / Probato c(larissimo) v(iro) [co(n)s(uli)] / cur(atori) r(ei) p(ublicae) municipi(i) E[burin(orum?)] / cur(atori) Beneventan[orum] / legato provinc(iae) [Afri]/cae per Numidiam [cur(atori) Lu]/nensium(?) et Volater[ranor(um)] / praet(ori) kandidato le[cto int(er)] / tribunicios IIIIvir(o) v[iarum] / curandarum pont(ifici) [3] / ordo popul[usq(ue)] / Nolanus)).

  • Le commandement de la VIII Augusta cantonnée à Argentorate ((G. ALFÖLDY, Die legionslegaten der röm. Rheinarmeen. Epigr. Studien, III, 1967. Cet auteur situe le commandement légionnaire d’Aulus Egnatius à Argentorate entre 222 et 234 soit sous Sévère Alexandre. E. RITTERLING, dans RE, XII, col.1660.)), donc après 240 et vraisemblablement pendant trois années (241-243 ?).
  • La praefectura frumenti dandi, la fonction de préfet de l’annone. Ce haut fonctionnaire, assisté d’un nombreux personnel, veille sur les distributions de blé à la plèbe romaine ((Catherine VIRLOUVET, « L’approvisionnement de Rome en denrées alimentaires de la République au Haut-Empire », in B. Marin, C. Virlouvet (dir.), Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Maisonneuve & Larose, Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Universidad Nacional de Educacion a Distancia, Paris, 2005, p. 61-82. ))((Le praefectus frumenti dandi, de rang sénatorial, gère les distributions gratuites de blé (les frumentationes) à la plèbe romaine. Il ne dépend pas du préfet de l’annone (un Chevalier), seulement chargé de lui remettre les quantités de grains nécessaires aux remises des rations. . Les deux services demeurent indépendants. Le terme de frumentatio désigne aussi bien l’action de s’approvisionner en blé que la distribution de grain au peuple (Le Gaffiot, page 696).)). Septime Sévère, Caracalla et Elagabal retirèrent cette prérogative au sénat pour la confier à des fonctionnaires impériaux de rang prétorien. Sévère Alexandre restaura ce privilège du Sénat. Donc, Aulus Egnatius travailla, pendant une année, à la frumentatio, soit à la fin du règne de Commode soit, plus probablement, après le principat de Sévère Alexandre ((H.-G. PFLAUM indiquait d’abord les dernières années du règne de Commode règne (Historia, II 1953-1954). Il modifie sa première hypothèse et propose le début de celui de Sévère Alexandre, Bonner Jahrbürcher, CLXIII, 1963, page 236,)).
  • Enfin, Il gèrerait, pendant trois ans, l’aerarium Saturni, le trésor de Saturne (de 244 à 247 ?) ce qui le conduirait tout naturellement à un consulat suffect qui apparaîtrait alors comme le couronnement de sa carrière.

Nous imaginons difficilement que la fonction prétorienne de « legato Augusti provinciae Africae » puisse inaugurer le cursus sénatorial d’Aulus Egnatius Proculus. Rome aurait dépêché, dans des moments de troubles, un tout jeune légat dans sa province d’Afrique, une région riche et sensible.

Nous proposons un parcours différent de celui indiqué sur l’inscription :

  • un première fonction prétorienne de légat de la VIIIe Augusta dans les années 222-224, sous Sévère Alexandre.
  • La praefectura frumenti dandi au début du principat de Sévère Alexandre.
  • En troisième position le poste de Préfet de l’aerarium Saturni.
  • Le consulat suffect.
  • Enfin la charge de « legato Augusti provinciae Africae ». Son rang de consulaire et son expérience le prédisposant à une telle fonction somme toute bien délicate.

Aulus Egnatius Proculus aurait alors construit l’essentiel de sa carrière sous Sévère Alexandre (222-235) puis sous Gordien III (238-244).

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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